Chapitre 3

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Elle ne le détestait pas, ce Daniel. Ils s’étaient rencontrés il n’y avait pas si longtemps de cela, à la sortie d’un concert quelconque. Oh, elle l’avait repéré de loin, ce grand escogriffe un peu trop maigre à la longue chevelure ondulée qui accrochait la lumière comme un rideau de soie. Absorbé qu’il était par le spectacle joué sur scène, elle avait eu tout le loisir d’observer sa moue boudeuse, qui aurait paru presque enfantine si elle n’avait été teintée d’un charmant soupçon d’arrogance. Dans chacun de ses gestes et postures se lisait une nonchalance affectée qui lui conférait une vague allure de dandy ; une élégance innée tenant de l’anachronisme au siècle du vulgaire sacralisé. Pourtant, Justine ne l’avait pas trouvé immédiatement séduisant. Certes, Daniel se distinguait aisément de la masse et n’était pas dénué d’atouts. Toutefois, l’attraction s’était créée autrement. Justine s’était sentie appelée sur un plan fréquentiel, l’homme émettait des ondes qui polarisaient irrémédiablement les siennes. Alors elle était allée le trouver, une fois la performance musicale achevée, et l’avait abordé en le titillant gentiment sur les lunettes de soleil qu’il avait vissé sur le nez malgré la nuit bien entamée. Avec un sourire en coin, ce dernier les avait baissés un instant, révélant en dessous une paire de grands yeux mélancoliques, si clairs que Justine cru y voir passer des nuages de songes.

Ils finirent la soirée ensemble, à boire des canettes tièdes sur le rebord crasseux d’un trottoir, palabrant de tout et surtout de rien, savourant simplement le son de leurs voix au gré des échanges. Elle portait à l’époque une veste de cuir rouge vif, qu’elle avait hérité d’un de ses frères, lui un perfecto noir couvert de logos de groupes. Un peu saouls, ils décidèrent ce soir-là les troquer afin de garder un souvenir de leur périple nocturne. Depuis lors, Daniel s’affublait crânement de ce fameux blouson amarante, un peu court sur les manches, tandis que Justine s’enveloppait dans son perfecto usé, bien trop grand pour elle. La manœuvre avait été inutile, ils ne s'étaient plus quitté depuis le concert. Ils s’entendaient bien tous les deux. Sans y prendre garde, ils avaient développé une rare complicité que seule la profonde connivence d’esprit apporte, alimentée par les feux d’une discrète mais solide passion. Non, Justine ne le détestait pas, ce foutu type.

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