Chapitre 4
Daniel desserra lentement son étreinte, libérant la jeune femme de la chaleur de son souffle. Il lui tendit un verre de vin en se gaussant affectueusement de sa précédente agitation. Rassérénée, Justine s’empara de la boisson, contemplant d’un œil neuf son environnement. Un ensemble de personnes, connues pour la plupart, passait du bon temps dans un vaste appartement, certes un peu défraîchi, mais somme toute plaisant. Quelles drôles d’impressions elle avait eu en sortant de cette damnée salle de bain ! Riant de ses propres turpitudes, elle s’empressa de répondre aux boutades de son amant par quelques taquineries bien senties, puis, sans lâcher son bras, se mêla avec plaisir aux discussions que conduisait un groupe d’amis à côté d’eux.
Daniel et Justine virevoltèrent de badinages en badinages au sein de l’assemblée, accomplissant avec une facilité déconcertante leur rôle mondain en dépit de leur propension partagée à s’enivrer bien plus que de raison. Après tout, y avait-il vraiment meilleure manière de boire ? Daniel, en bon intellectuel de gouttière, s’empêtrait joyeusement dans des débats philosophico-musicaux sans fin, que Justine tempérait par des saillies à la drôlerie relative, le pressant pour qu’il abrège l’ample étalement de sa culture. Ils firent quelques arrêts auprès d’une table basse, où des mets colombiens étaient disposés librement à l’intention des invités. Leur débit de parole s’était grandement accéléré, et les conversations se transformèrent rapidement en monologues débridés, qu’ils finirent par ne tenir que pour eux, riant aux éclats lorsqu’ils butaient un peu trop longtemps sur un mot. Ils ne recherchaient même plus la compagnie des autres, se satisfaisant amplement de leur présence et de leur verbe intarissable. D’un commun accord, ils s’effondrèrent sur un canapé fatigué. Justine était toujours accrochée au bras de Daniel, ce qui ne semblait pas le gêner particulièrement. Ils observèrent un moment la foule qui s’agitait inlassablement dans la pièce bondée, véritable ballet désynchronisé de formes et de peaux luisantes. Justine entrepris de rouler deux cigarettes, répandant en gloussant la moitié du tabac sur les coussins, en tendit une à son galant puis les alluma d’une main tremblotante. Tout en fumant, le couple se lança dans une diatribe saignante sur le monde moderne, mesurant avec ironie leur propre position dans l’effondrement général des valeurs. Deux personnes vinrent les rejoindre, et le dialogue se mua en légers commérages sur les diverses coucheries en cours.
Justine se sentait bien, serrée contre le torse de son tendre ami, savourant l’instant présent dans toute sa fugacité. Elle percevait sous ses doigts les côtes saillantes de Daniel et la fièvre qui irradiait de son épiderme. Levant discrètement la tête, elle admira les ombres violettes jouant sur son front, et l’éclat fluorescent de néons bleus qui soulignait superbement le dessin de sa mâchoire, couverts des mouchetures brunes d’une barbe naissante. Sur son cou élancé se détachaient en contre-jour le contour de sa pomme d’Adam, détail qu’elle trouva inexplicablement émouvant. Il était beau, songea-t-elle en fixant le pli de ses lèvres pleines. Une vague de désir brûlant la saisit, le sang lui monta aux joues, cognant vigoureusement contre ses tempes. Blottissant son corps contre celui de Daniel, elle lui proposa dans un murmure de quitter les lieux afin de rallier son lit. Avec un sourire entendu, ce dernier se leva et lui offrit sa main, avant de l’entraîner vers la porte d’entrée située au fond du salon. Le battant claqua bruyamment derrière eux, emportant avec lui le tumulte tapageur de la fête. Bras dessus bras dessous, Justine et Daniel s’éloignèrent vers la fraîcheur nocturne du monde extérieur.
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