Toujours 1
Elle était assise sur le canapé du salon, sa peinture orange lui agressant désagréablement les pupilles. Les murs rouilles lui serraient la gorge comme si, par sa seule allure, la couleur était capable de lui gratter l’intérieur de l’œsophage. Comment diable se trouvait-elle encore là ? Elle était sortie, elle en était sûre. Elle était partie. Elle était partie n’est-ce pas ? Elle ne s’en souvenait pas bien. Pourquoi finissait-elle toujours à cette même soirée ? C’était comme si une volonté supérieure appuyait sur la touche « rembobiner » dès qu’elle claquait la porte. Elle n’en voulait plus de ces nuits.
Elle se sentait malade, le cœur au bord des lèvres. Elle remua faiblement. Tous ses os hurlaient de douleur. Levant avec effort le menton, elle fit courir son regard sur le décor. Les enceintes toujours en marche laissaient entendre des filets de cris distordus, écorchés, qui lui vrillaient les tympans. Ils semblaient provenir de sa propre cervelle. Plus de danseurs, seule une poignée d’âmes égarées se balançait encore en convulsant devant la platine. Certains riaient comme des dératés dans le vide, les hypnotiques néons éclairant sans complaisance leurs faces simiesques figées dans un rictus dément. La puanteur était insoutenable, remugle âcre de cendres froides, d’alcool frelaté et d’exhalations corporelles. Elle crut s’évanouir en se mettant sur ses jambes. Elle fit quelque pas chancelants, puis trébucha sur un objet mou. Le plancher était jonché de corps. À moitié nus, la plupart paraissaient être tombés inconscient à l’endroit même où ils se tenaient, gisant désarticulés sur le sol. D’autres en revanche, fusionnés dans des positions scabreuses, s’activaient frénétiquement en grognant. Justine réalisa avec répugnance que la moitié de la pièce baisait furieusement, image qui lui rappelait curieusement le grouillement des vers sur un cadavre. Elle enjamba comme elle put les enchevêtrements d’organes, remarquant en même temps que sa propre carnation était à découvert. Un frisson de dégoût la parcourue. Que s’était-il donc passé, sa mémoire n’était qu’un chaos décousu de sons et flashs nébuleux. Perdue, elle tenta de faire le point. La tâche était ardue, et son amnésie faisait figure d’abysse. Entre les aboiements fous des pendules humains qui s’agitaient sur la musique, les mugissements animaux des formes épileptiques au sol et les odeurs irrespirables, elle ne doutait cependant pas avoir atteint le septième cercle des Enfers. Justine continua néanmoins son exploration, se mouvant avec difficulté parmi les tas de chair flasque qui encombraient le passage. Sous les pavés, la viande. Le moindre espace disponible, placards inclus, s’était transformé en bordel de fortune, la fête s’étant muée en infernale bacchanale.
Dans l’encadrement d’une chambre, elle piétina Marine, et distingua plus loin la silhouette inerte de Daniel. Elle s’approcha doucement. Il clignait ses grands yeux mornes mécaniquement, complètement apathique. Elle essaya de lui murmurer quelques mots, mais il contemplait le néant de manière léthargique. Il n’avait même pas conscience de sa présence. Elle observa, inquiète, son teint livide. Sur son torse nu se dessinaient les autoroutes bleues de ses veines. Son visage s’était creusé, les marques de l’âge accentuées par les ombres. Justine nota avec étonnement des filets blancs dans le blé de sa chevelure. Elle ne les avait jamais remarqués avant. Il bougeait sporadiquement les lèvres, formant des onomatopées inarticulées dans l’air. Elle lui caressa la tête avec douceur. Elle l’aimait ce con. Elle l’avait vu triomphant et plus bas que terre. Elle l’avait vu ramper sur le sol en bavant, elle l’avait vu gerber ses tripes dans l’herbe, elle l’avait entendu fondre en larme pour des inanités, et elle l’aimait, de tout son être. Pour le meilleur et pour le pire. Surtout le pire. Elle s’allongea à ses côtés. « Ça va passer, tout va aller mieux… » répétait-elle comme un mantra. Elle s’assoupit.
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