Chapitre 2
Loïc observa les voiles gonflées par la brise de mer, mit sa main sur le coeur et commença à chanter, des trémolos dans la voix, l’air pénétré.
“Gwelas-te morverc'h, pesketour
O kriban en bleo melen aour
Dre an heol splann, e ribl an dour ?
Gwelous a ris ar morverc'h venn,
M'he c'hlevis o kanann zoken
Klemvanus tonn ha kanaouenn.
Na varnit kéd hervez ann doaré
c'hoariel ar ré all éo”
Puis il se tourna vers son épouse, pour lui traduire les paroles qu’il venait de prononcer :
As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer,
Peignant ses cheveux blonds dorés
Au grand soleil sur le bord de l'eau ?
J’ai vu la blanche fille de la mer,
Je l'ai même entendue chanter,
Plaintifs étaient l'air et la chanson
Méfie-toi des apparences,
Tu es son jouet.
Sur le visage de Marie, l’inquiétude laissa place à la perplexité, puis à un sourire énigmatique. Sans un mot, elle se leva et tituba vers la cabine au gré des mouvements du bateau. Quelques instants après, elle en ressortit, brandissant fièrement le smartphone de Loïc.
- Non mais tu m’as pris pour une langoustine de trois semaines ?
- Mais... mon amour ! se défendit Loïc, mollement.
- Ca marche peut-être avec tes Parisiens en manque de folklore, ton application “cloches et murmures qui font peur”, mais pas avec moi, mon lapin ! Je suis pas cloche !
Loïc rougit, penaud : sa farce avait échoué lamentablement. Beau joueur, il concéda qu’il n’avait pas résisté à l’envie de tester sur elle son nouveau show destiné à ses passagers payants. Les touristes étaient toujours friands de spectacles et d’histoires à dormir debout, toujours prêts à donner de généreux pourboires s’ils ressortaient de la promenade avec de chouettes légendes fleurant bon la Bretagne et ses mystères d’autrefois.
Après le coup des fausses bouteilles à la mer qui heurtaient la coque par le plus grand des hasards et contenaient, ô miracle, un message de détresse écrit par un jeune passager du Titanic, après celui du seau vide qu’il plaçait discrètement sous la pissette du moteur et ressortait en prétendant qu’il venait de récupérer l’eau du Gulf Stream, après celui des sardines à l’huile sans tête qu’il accrochait discrètement à un hameçon et tirait de l'eau avec fierté, après les légendes farfelues sur les poulpikans de la Baie des Trépassés, ou sur la fameuse Tour du Fou de Pouldavid... il avait eu envie d’innover un peu avec cette histoire de Marie-Morgane et de ville engloutie, tout en utilisant des artifices sonores pour un meilleur effet.
Marie connaissait son compagnon par coeur, son goût pour les farces et surtout, elle se sentait fière d’avoir déjoué les blagues de son homme, aussi fut-elle prompte à lui pardonner. Déjà, Loïc avait retrouvé sa bonne humeur.
- Dis, tu penses quand même que ça marcherait avec les tou…
Les cloches retentirent à nouveau, il retint sa phrase, stoppé net en son milieu. Les deux amoureux se regardèrent, cherchant dans le regard de l’autre un signe trahissant une nouvelle plaisanterie. Face au regard sévère de sa compagne, Loïc se défendit.
- Je te jure, cette fois-ci, c’est pas moi ! D’ailleurs, le téléphone est dans ta main ! se défendit Loïc.
- Bon, tu me fais encore une de tes blagues, ça ne prend plus ! Les histoires les moins longues sont les plus courtes, mon lapin, répondit-elle en souriant.
Loïc se frappa le front et rit bruyamment.
- Ah, j’y suis ! C’est toi qui me fais une farce, cette fois ! Bien joué, mais je suis malin ! Prends la barre, je vais voir !
- Mais, je ne sais pas comment piloter cet engin !
- Facile, tiens-la toute droite, j’en ai pour une minute !
Loïc se leva en direction de la cabine, se courba, se cogna la tête comme à chaque fois et pénétra à l’intérieur. Il fouilla partout, mais ne trouva rien qui puisse le porter à croire que Marie était dans le coup. Lorsqu’il ressortit, déçu, il fut frappé de stupeur : un brouillard épais avait enveloppé le voilier, le vent était tombé, les voiles faseyaient mollement dans un silence pesant, la bôme allait et venait par à-coups, tout comme la barre… Marie n’était plus à son poste !
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