Pressentiment funeste
La première semaine passa avec une lenteur qui sembla infinie à Écho.
Comme prévu, une fois que les étudiants avaient eu l'occasion de poser des questions aux magisters concernant les fameuses classes nocturnes, auxquels ses derniers avaient répondus de manière tout aussi succincte et mystérieuse que l'archi-mage, l'intérêt s'était peu à peu effacé pour le sujet et les élèves n'en parlaient presque plus, obéissants docilement au règlement tout en semblant avoir oublié la raison de la mise en place de ce dernier.
Seule Écho demeurait en proie aux questionnements, ayant renoncé à en parler avec ses amis qui avaient également perdus toute curiosité envers ce mystère.
Elle était par ailleurs profondément irritée par ce sort de confusion : elle avait beau se retourner le cerveau dans tout les sens, il lui était absolument impossible de parvenir à se rappeler quoi que ce soit qui ai pu lui permettre de deviner l'identité des nouveaux étudiants.
L'académie, hormis ces petits détails était toujours la même : immense, intrigante et énigmatique.
Une chose rassurait cependant la jeune fille : elle n'avait pas ressenti pour le moment la trace d'une énergie sombre, ou d'aura négative. Tout allait bien, les murs vibraient toujours de cette calme et puissante magie, rassurante.
De plus, elle était satisfaite : ses cours s'étaient revélés pour l'instant particulièrement intéressants et elle avait même commencé à apprendre de nouveaux maléfices.
La magie avait toujours fait partie de sa vie, pulsant dans ses veines avec la même ardeur que le sang, et elle avait très vite à la maîtriser. La sienne était particulièrement vivace, toujours active et en alerte, projettant ses antennes en permanence. Par conséquent elle savait lire les auras depuis toujours et était très sensibles aux énergies. Toute seule, elle avait appris à déverrouiller des portes, déplacer des objets par la pensée, éteindre et allumer des bougies, maîtriser les fluides, le tout avec un naturel déconcertant. Là où la plupart des magiciens devaient utiliser des formules et des gestes, voir des ingrédients pour jetter un sort, il lui suffisait généralement de condenser sa magie.
Ce talent inné lui avait ainsi permis de sauter deux classes (elle n'avait pas souhaité aller au delà), mais en contrepartie il l'avait longtemps isolé et les cours étaient très souvent une source d'ennui pour elle.
Fort heureusement, l'enjeu était autrement plus intéressant à Blackmoore, et à l'aube de sa quatrième année, les magisters attaquaient enfin des types de magie plus spécialisés, aux sorts bien plus retors.
Le cours de Mme Meery s'était ainsi révélé être une agréable surprise : elle découvrait avec joie les subtilités de l'hydromancie dont elle ne connaissais pour l'instant que les sorts les plus élémentaires. Elle avait peur cependant, que le rythme de ses camarades, bien plus lent que le sien, ne finisse par poser problème. Ils avaient beau tous être des génies en matière de sorcellerie pour avoir réussis l'examen d'entrée de Blackmoore, la magie demeurait une discipline extrêmement exigente, et apprendre à maîtriser un seul sortilège pouvait prendre des mois, voir même des années pour les plus compliqués.
Le magister Méliès lui même semblait finalement s'être décidé à enseigner autre chose que les différents sorts de bouclier et de désenvoutement, pour se pencher sur la pratique des contre-sorts et révocations, les étudiants ayant finalement acquis le niveau nécessaire.
S'il avait jeté des regards mécontents à la jeune sorcière lors des premiers cours, il semblait désormais apaisé et enseignait les différents maléfices avec application, toujours sidéré par le talent de son élève.
Mais malgré tout ces éléments positifs, il advint au bout de deux semaines de cours, qu' Écho n'allait pas bien. Pas bien du tout.
Cela commença par une sensation de malaise trop familière, qui se changea rapidement en véritable tourment inextricable.
Le mal-être la consumait littéralement certains jours, la poussant à reprendre ses mauvaises habitudes et à s'isoler dans le jardin suspendu, roulée en boule à respirer l'odeur des fleurs en attendant l'apaisement en vain.
Cette sensation, elle le savait, présageait quelque chose de sombre. Un malheur, de quelque sorte que cela soit, allait bientôt s'abattre.
Impuissante, elle attendait que la sensation la quitte. Parfois, elle ne ressentais rien pendant plusieurs jours, puis le sentiment revenait, plus implacable encore.
Elle le reconnaissait pour l'avoir malheureusement déjà expérimenté. La première fois, elle s'en rapellait parfaitement, remontait à bien des années de cela : elle avait ressenti le même malaise pendant des semaines durant avant que celui-ci ne disparaisse brusquement. Une semaine plus tard, son père était brutalement décédé dans un accident de train.
Elle n'en parla à personne cependant, de peur d'inquiéter ses amis. Si Éden percevait son mal-être, elle avait renoncée à tenter de comprendre, se heurtant au mutisme de son amie.
Les jours se succédaient ainsi, Écho alternant entre la bonne humeur et la tourmente.
Son oncle, au bout de trois semaines passées dans cet étrange état, finit par la convoquer dans son bureau sur le conseil de ses professeurs.
Écho était dans un de ces jours cruels, et c'est avec mauvaise humeur qu'elle pénétra dans la pièce immense.
Les murs étaient couvert de bibliothèques contenant des livres anciens et précieux et des antiquités plus étranges les unes que les autres. Dans le fond de la pièce, une grande baie vitrée décorée de spirales de fer forgé délicatement donnait vue sur la mer et un arbre étrange, aux branches noueuses et aux feuilles violacées s'épanouissait dans un coin de la pièce, poussant à même le plancher d'acajou.
Elle adoraient ce lieu d'ordinaire, mais à ce moment là, tout ce dont elle rêvait était de pouvoir combler l'immense trou béant qui se creusait dans son ventre.
Sage Harkyns l'attendait, posté près de son bureau de marbre noir, encombré de bibelots magiques aux utilités diverses.
Ses sourcils se froncèrent dès l'entrée de la jeune femme dans la pièce.
Sa mine pâle, presque blafarde ne l'alarmèrent pas autant que l'aura grise et pesante qu'elle dégageait. L'air autour d'elle en semblait presque électrique.
Elle pris place sur le fauteuil de satin rouge sans un mot.
Elle se sentait bien trop mal pour pouvoir encore prétendre aller bien.
Sage posa sa main sur le sienne et ferma les yeux un instant, sondant la sorcière.
Sa magie était sombre, tumultueuse, comme un immense nuage orageux. Elle était à l'opposé exact de celle qu'il lui conaissait, si vive et colorée.
Il retira sa main prestement, comme brûlé.
« Écho... C'est à nouveau un de tes pressentiment n'est-ce-pas ? murmura-t'il d'un ton préoccupé.
Cette dernière acquiesça.
« Ça fait trois semaines que cela dure. Le sentiment va et vient mais ces derniers temps c'est pire que tout.
Devançant le reproche de l'archi-mage elle articula douloureusement :
« Cela n'aurait servi à rien que je vienne vous en parler, vous savez comme moi que la seule chose à faire est d'attendre que cela passe.
Harkyns soupira. Elle était têtue et refusait toujours les mains tendues mais cette fois elle avait raison. Ces « pressentiments » comme elle les appelaient, étaient impossibles à prévoir et rien ne semblait les apaiser. Ils arrivaient, un jour, puis finissaient par la quitter.
C'était actuellement la quatrième fois que ces crises s'emparaient d'elle : la première avait eu lieu avant la mort de son père, la deuxième avait précédée un grave accident dans le village de son enfance : la rupture d'un barrage qui avait coûté la vie d'une centaine de personnes, et la plus récente remontaient à deux ans auparavant, juste avant le décès subit d'un des professeurs les plus appréciés de Blackmoore.
Écho plongea son visage dans ses mains.
« Cela me tue... Être capable de prévoir un grand malheur et être incapable de savoir de quoi il va s'agir. Cette impuissance me rend folle, chuchota-t'elle.
Elle se redressa et lâcha avec hargne :
« Je déteste ce satané pouvoir !! Si c'est le contrecoup de ma puissance alors je la rends volontiers !
Sage posa une main sur son épaule et lui envoya une vague de magie apaisante.
La jeune femme se détendit imperceptiblement, sans se sentir mieux pour autant.
« Le don de prophétie est bien lourd à porter, surtout quand il se manifeste avec autant de fièvre que le tien. C'est souvent la marque de très grands magiciens mais c'est également un fardeau, lui dit Sage avec compassion.
« J'aimerais pouvoir te soulager mais j'en suis incapable. Sache en tout cas que je suis là, ainsi que tes professeurs si tu as besoin d'en parler, et que je serai présent pour toi, quoi qu'il se passe... après.
L'archi-mage était inquiet. Il savait bien ce que signifiait les présages de la magicienne, rien de bon n'allait en sortir.
Écho le remercia, abattue, puis retourna vers sa chambre où Eden, qui avait finit les cours l'attendait.
Elle la serra dans ses bras sans un mot et elle passèrent quelques instants ainsi, sérrées l'une contre l'autre.
Trois jours de plus se consumèrent sans que l'état de la magicienne ne s'améliore.
Puis, un matin, elle se réveilla pour découvrir que le poids sur son cœur s'était envolé. Il avait disparu totalement, sans laisser de traces. Malgré les terribles événements que cela présageait, Écho était tellement soulagée qu'elle préférait éviter d'y songer.
Elle alla prévenir son oncle qui parut content de la voir rétabli mais inquiet des évènements qui pourrait bientôt s'abattre sur eux. Pourtant l'un comme l'autre le savaient fort bien : le destin, quoi que l'on fasse, ne pouvait être changé. Si un malheur devait s'abattre, il adviendrait quoi qu'il arrive.
Éden, Alice, Callum et James étaient enchantés de retrouver le caractère pétillant de leur amie et ils lui organisèrent une fête improvisée dans le jardin suspendu. S'ils avaient tous conscience de l'épée de Damoclès au dessus de leurs têtes, chacun convenu de ne pas en parler et la journée fut une réussite pour Écho qui eut l'impression de revenir à la vie.
Une semaine passa, sans qu'aucun malheur ne vienne frapper Blackmoore ou ses alentours. Si la menace, bien réelle, ne quittait pas l'esprit de la magicienne, elle tâchait d'éviter d'y penser, ayant suffisamment souffert de ces semaines d'angoisse.
Un jour finalement, lassée par une semaine de cours intense, elle décida qu'il était temps pour elle de refaire une de ses sorties nocturnes.
Le soir même, elle fit part de ses plans à son amie.
Eden se pinça l'arrête du nez, geste qui témoignait chez elle de l'inquiétude ou de l'agacement. Écho devina qu'il s'agissait ici des deux.
« Tu n'es pas sérieuse ? Je sais bien que tu es plus que capable de te débrouiller mais étant donné les circonstances je pense que c'est une très mauvaise idée, la sermona-t'elle.
Écho lui sourit :
« Relax Eden, tout ira bien ! Et puis je t'assure que si je reste enfermée encore un jour de plus, je vais vraiment devenir folle.
« Vraiment Écho, je le sens pas. Tu ne préfères pas attendre encore un peu ?
Son amie lui jetta un regard sans équivoque.
« Quoi que je fasse, les choses se dérouleront comme elles ont été prévues. Aujourd'hui, demain, dans un mois, ça ne change rien. Le malheur finira par arriver, comme toujours, dit-elle le coeur lourd.
Éden soupira, résignée. Elle serra sa meilleure amie dans ses bras.
« Promets moi d'être prudente d'accord ? Et n'oublie pas l'avertissement de l'archi-mage : tu ne dois en aucun cas avoir de contact avec les classes nocturnes.
Elle réprima un frisson avant d'ajouter :
« J'espère vraiment qu'ils disent la vérité et que ces créatures sont inoffensives...
Écho lui rendit son étreinte et promit.
À une heure du matin cette nuit-là, revêtue d'un jeans sombre, de bottes lacées et d'un pull noir confortable, elle sortit de sa chambre en silence.
Prenant soin de contenir sa magie, elle sonda les environs pour s'assurer que la voie était libre. Sans croiser personne, elle arriva finalement dans le beau jardin d'agrément attenant à l'aile réservée aux étudiants.
Le portail de fer, surmonté d'une arche d'où pendait la glycine, était verrouillée à l'aide d'un sortilège qui portait la marque de son professeur d'altération, particulièrement doué pour les sorts de serrures.
Cela dit, l'abjuration était une des spécialités de la jeune femme. Cela ne prendrait qu'un instant.
Elle posa son index contre la serrure et ferma les yeux. Concentrée, elle entrepris de visualiser le mécanisme complexe, de comprendre les rouages du sort qui le maintenait en place. Enfin, elle lui insuffla sa magie, par le simple contact de son doigt.
La serrure produisit un cliquetis et la porte s'ouvrit dans un chouintement discret.
Avec un sourire satisfait, elle s'engagea à l'extérieur.
L'air nocturne chargé d'embruns lui caressa le visage.
Elle était dehors, enfin.
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