Rencontre nocturne
Le souffle coupé, Écho fixa la silhouette plongée dans l'ombre.
Elle eut un instant l'impression que ses yeux la trahissait : c'était impossible. Tout simplement impossible.
Elle n'avait rien ressenti et ne ressentais rien : pas d'aura, aucune trace de magie, quand même les animaux émettaient leur propre vibrations distinctives.
La crique semblait aussi vide qu'à son arrivée.
Et pourtant ! Il lui fallait s'y résoudre, quelqu'un était bien là, l'épiant dans l'ombre. Qui sait depuis quand ?
Elle fut parcourut d'un frisson glacé. Son instinct lui souffla brusquement de prendre ses jambes à son cou, de fuir la chose contre nature qui avait fait d'elle l'objet de son attention.
Elle hésita un instant, puis essayant de son mieux de réprimer ce sentiment de terreur absolue, elle déglutit avec difficulté et fit un pas en direction de la plage.
Elle se concentra sur l'ombre et sentit la magie affluer vers ses pupilles.
Enfin, la silhouette lui apparut clairement : il s'agissait d'un jeune homme : assit en tailleur, le menton nonchalamment posé contre sa paume, il la regardait fixement.
Luttant contre sa peur mais un peu rassénérée de l'apparance humaine de l'inconnu, elle avança encore, jusqu'à ce retrouver le sable sec.
Le jeune homme n'avait pas bougé, se contentant de la suivre du regard.
Il n'était plus qu'à quelques mètres désormais.
Lentement, il déplia ses jambes devant lui, et croisa ses bras sur ses genoux.
« Bonsoir.
La voix grave, un peu rauque, vint rompre le silence. Le mot, d'une banalité improbable dans une situation aussi insolite, tira Écho de sa torpeur.
Sans attendre, elle invoqua une boule de lumière violacée qui vint flotter au dessus de sa paume.
Les yeux de l'inconnu refléterent un instant la lumière, à la manière de ceux d'un félin. Il détourna le regard avec une grimace.
Écho l'étudia rapidement. Il avait l'air jeune - pas plus de vingt-cinq ans, avait des yeux gris très clairs et des cheveux sombres qui faisait ressortir son teint extrêmement pâle.
Ses habits étaient on ne peut plus commun : un jeans noir, et un t-shirt bordeaux sans motif.
À l'évidence, il ne pouvait s'agir d'un sorcier : aucun d'entre eux n'était capable d'occulter son aura de façon aussi absolue, et un humain n'aurait tout simplement pas pû se trouver ici.
Son absence totale d'émanation d'énergie, de quelque sorte soit elle, était également un problème. Ce genre de choses était tout simplement impossible.
«... Êtes vous un revenant ?
La question, posée d'une voix blanche mais dépourvue de tremblement, déclancha l'illarité de l'inconnu, qui se fondit dans un sourire désabusé.
« Un revenant ? Dans un sens, j'imagine que oui, lui répondit-il d'une voix égale.
Sa beauté frappa soudain la magicienne.
Ses cheveux, qu'elle avait d'abord cru bruns étaient d'un rouge très sombre, semblable à la couleur du sang séché. Ses traits étaient réguliers et harmonieux : son nez droit, ses pomettes hautes et sa machoire carrée lui donnaient un air fier, mais également froid.
Pourtant, quelque chose la mettait profondément mal à l'aise chez lui. Était-ce son regard aux pupilles figées ? Son teint crayeux ? Ou bien cette étrange beauté si exceptionnelle qu'il en semblait inhumain ?
Sans vraiment savoir pourquoi et alors que la raison lui criait de rejoindre l'académie au plus vite, Écho, sans un mot, s'assit aux côtés du jeune homme, tout en gardant une distance raisonnable.
Un éclair de surprise passa dans les yeux de l'inconnu, suivit d'un vif intérêt.
« Vous n'êtes ni un humain, ni un sorcier, affirma Écho, toujours tendue.
Le jeune homme acquiessa d'un petit hochement de tête assorti d'un lent clignement d'yeux.
« Tu es élève à Blackmoore j'imagine ? éluda-t'il sans faire preuve de la moindre finesse.
Écho acquiesça à son tour.
Le jeune homme lui adressa un mince sourire.
« Appelle moi Red.
La magicienne haussa un sourcil.
« C'est de loin le surnom le moins subtil que j'ai eu l'occasion d'entendre, répondit-elle en en toisant la chevelure vermeille dudit Red.
Ce dernier, l'air amusé, rétorqua :
« En principe, quand quelqu'un vous donne son nom, il est de bon goût de lui rendre la pareille.
Écho souffla et répondit avec hautain :
« En principe tout bon magicien sait qu'il n'est pas recommandé d'adresser la parole aux morts que nous n'avons pas invoqué, et qu'il est encore moins conseillé de leur donner notre nom.
Elle lui jetta un coup d'oeil incertain.
« Surtout que je doute que Red soit votre véritable prénom.
L'intéressé poussa un soupir et rejetta la tête en arrière, regardant un instant la lune avant de reporter son attention sur la sorcière.
« Je ne suis pas un démon. Je n'ai que faire d'un nom, répondit-il d'un ton las.
Écho éprouva un imperceptible soulagement. Les démons, peu importe leur statut, étaient toujours une source d'ennui.
Écho réprima un frisson alors qu'une bourrasque venue du large vint ballayer la plage.
Red lui jetta un regard insondable puis lui demanda en désignant ses vêtements trempés qui gouttaient :
« Tu n'a pas l'intention de faire quelque chose à propos de ça ?
Écho le regarda avec surprise, puis considéra ses vêtements auxquels le sable adhérait. Maintenant que sa magie avait refluée, elle pouvait sentir la morsure de la brise sur sa peau mouillée.
Sans avoir à trop se concentrer, elle passa la main sur ses vêtements, sentant leur humidité disparaître sous l'effet de la magie. Rapidement, elle fut sèche. Une fois la tâche accomplie, elle reporta son attention sur l'homme à ses côtés, qui la fixait d'un air empli d'une curiosité infinie.
Il pencha la tête sur le côté, et tout d'un coup, avança la main vers elle. Écho se figea sous la surprise, se contentant de suivre son mouvement du regard.
Sans prévenir, il attrapa sa main droite, qu'il déplia et dont il observa la paume avec attention.
Sous le contact de ses doigts glacés la jeune femme tressaillit, mais ne bougea pas. Elle l'observa avec incertitude.
Son air mélancolique la frappa autant qu'il la troubla, lui interdisant de retirer sa main.
Red en parcouru les lignes avec délicatesse.
« J'avais oublié cette chaleur, lâcha t'il d'un air absent, semblant se parler à lui même plutôt qu'à la jeune femme.
Enfin, il retira sa main froide, et la jeune fille replia ses doigts qui lui semblèrent ankylosés.
Elle ne quitta pas des yeux le mystérieux individu à ses côtés, qui fixait désormais l'océan d'un air mélancolique.
Finalement, il se leva, épousseta ses vêtements pour en ôter le sable, et adressa un sourire à Écho.
« Merci beaucoup, ce moment passé en ta compagnie me fut très agréable. Je te laisse à présent, jeune magicienne.
Il lui adressa un hochement de tête auquel répondit Écho, puis pris le chemin qui menait vers la falaise.
La jeune femme le regarda s'enfoncer dans l'ombre puis disparaître.
Elle resta là longtemps, à fixer l'oscurité avant de se laisser tomber dans le sable, soudain épuisée.
Cette étrange rencontre se rejouait encore et encore dans sa tête, les phrases du mystérieux q jeune homme s'y répercutant alors qu'elle tentait d'y trouver un sens.
Qui était-il ? Un esprit errant ? Cela paraissait impossible, ceux-ci étaient réputés pour leur intengibilité et Red avait bel et bien saisi sa main.
Un yokai peut être ? Ces fantômes d'origine japonaise pouvait prendre diverses formes, mais il était hautement improbable d'en trouver un ailleurs que sur les terres sacrées de son archipel d'origine.
Le regard perdu dans le vague, elle poussa un profond soupir. Son corps comme son esprit lui semblaient soudain lourds. Il était temps de rentrer à l'académie.
Se redressant, elle dénoua son pull et le passa.
Elle récupéra ses bottes, les enfilèrent à leur tour et pris le chemin escarpé qui la ramènerai vers la falaise, toujours guidée de sa lumière flottante.
Une fois parvenue au sommet, elle se retourna, jettant un ultime regard vers la crique esseulée. Elle grava dans sa mémoire la beauté de la lune qui se reflétait dans la mer et le bruit des vagues qui se répercutaient en écho contre les parois de pierre poreuse.
Ensuite, ce fut le trou noir.
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