La soif
Écho se tourna et retourna dans son lit, cherchant vainement à trouver le sommeil.
Elle avait une migraine atroce, et tout les remèdes qu'elle avait pris n'y avaient rien changé.
Se sentant malade et irritée, elle avait fini par se relever.
Pendant plus d'une heure alors, elle avait tenté de faire appel à sa magie par tout les moyens possibles, sans succès.
Tout les sortilèges échouaient, les invocations n'avaient aucun effet, et peu importe ses efforts, elle ne parvenait pas à sentir le frisson familier de la magie parcourant ses veines.
Eden finit par revenir de ses cours, la trouvant prostrée sur son lit, les yeux gonflés et le visage terriblement pâle.
Elle chercha par tout les moyens à la faire parler, l'implorant de lui expliquer ce qui s'était passé les nuits précédentes.
Écho, se sentant incapable de lui dire la vérité, inventa un mesonge sur une tentative de sortilège qui aurait mal tournée dans la forêt, drainant ses pouvoirs et la rendant impotente pour le moment.
Eden lui posa des questions auxquelles elle répondit le plus vaguement possible, et Eden, semblant vaguement rassurée, finit par la laisser tranquille, comprenant qu'elle n'obtiendrai rien de plus de son amie.
Cette dernière lui demanda de l'excuser auprès des magisters, mettant le compte de son absence sur une rechute de sa récente crise dûe à ses pressentiments, et chacun des professeurs lui transmirent leur voeux de prompt rétablissement. Dans cette situation, la seule chose qu'ils pouvaient faire, ils l'avaient bien compris, était de la laisser en paix.
Le soir venu, Eden avait réussi à convaincre son amie de se rendre à la salle de banquet. Elle s'était donc traînée à travers les couloirs aux côtés de sa camarade, avec l'impression étrange d'être une spectatrice extérieure aux événements qui se passaient devant elle.
Ses yeux rouges, son teint crayeux et son regard vide ne manquèrent pas d'attirer l'attention, et elle garda les yeux fixés au sol pendant tout le repas, répondant à peine aux questions et aux tentatives de ses camarades pour lui remonter le moral.
Tous, à part Eden, étaient ainsi persuadés que la jeune fille était à nouveau en proie à ses étranges pressentiments qui lui avaient causés tant de troubles quelques semaines auparavant.
Elle ne toucha quasiment pas à son repas, se forçant à avaler quelques légumes dépourvus de goût et à la texture de carton.
Rapidement, elle s'excusa auprès de ses amis qui la regardèrent s'éclipser d'un air désolé.
Ils auraient tant aimés pouvoir lui venir en aide, mais Écho devait affronter ses démons seule.
Immédiatement après être rentrée dans sa chambre, la jeune fille fut prise de spasmes et se précipita aux toilettes où elle rendit son maigre repas.
Inquiète elle jetta un oeil à son contenu, constatant avec un soulagement infime l'absence de sang.
Eden rentra plus tard pour la trouver déjà couchée. Elle tenta de la rassurer et de lui apporter son soutien, et Écho lui en fut reconnaissante, mais elle était trop épuisée pour faire des efforts en retour.
Elle la remercia du bout des lèvres, puis fit mine de dormir.
Eden soupira puis s'atella, studieuse, à l'apprentissage de ses leçons.
Écho écouta en silence le bruit des pages qui se tournaient, les murmures de son amie qui lisait les formules. Elle avait l'impression que tout les sons étaient amplifiés, lui vrillant le crâne.
Elle se recroquevilla sous sa couverture, et sombra finalement dans un sommeil peuplé de cauchemars.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux dans la pénombre, elle constata sur la montre posée sur sa table de chevet que trois heures à peine s'étaient écoulées.
La respiration lourde d'Eden l'informa que son amie dormait et elle se leva en prenant soin de demeurer silencieuse.
Elle ne s'était pas réveillée par hasard : la faim l'avait tirée du sommeil, tenace et persistante.
Son ventre vide lui faisait finalement ressentir l'absence de nourriture de ces derniers jours, ce qui, en un sens, la rassura.
Elle s'habilla dans le noir, emportant la clé avec elle, puis sortit silencieusement.
Elle croisa deux étudiants en train de discuter dans un couloir qui lui adressèrent un signe de tête amical tout en la dévisageant d'un air curieux.
Elle y répondit puis pressa le pas, ne souhaitant pas attirer l'attention sur elle. Un autre désavantage de sa condition de valédictorienne était que tout le monde la connaissait à Blackmoore, et si les élèves étaient généralement sympathiques et admiratifs à son égard, les rumeurs allaient vite.
Cela dit, il en avait toujours été ainsi : magicienne exceptionnelle depuis son enfance et issue d'une famille qui avait engendrée de grand noms de l'histoire de la magie, elle avait très tôt attirée l'attention et était internationalement connue comme l'une des mages les plus prometteuses de son époque.
Elle arriva enfin dans la salle située au centre de l'aile de l'académie réservée aux dortoirs, qui restait accessible la nuit.
Semblable en tout point à un salon chic, avec ses canapés et fauteuils moelleux, c'était le lieu privilégié des étudiants pour organiser des fêtes ou se retrouver en toutes occasions.
Ce soir là heureusement, la pièce était vide. Écho traversa la salle sans un regard pour les rangées de livres et les jeux d'échecs abandonnés sur les tables situées dans un coin. Ce qui l'intéressait était situé au fond, à côté du comptoir de noyer sombre dans le pur style des vieux pubs anglais.
Affiché à un mur, se trouvait une liste de mets de diverses nature : charcuteries de toute sortes, patisseries diverses, fromages et accompagnements... De quoi se faire un repas complet en cas de fringale.
Une règle cependant : si ce service était gratuit, il était à utiliser avec parcimonie : chaque étudiant pouvait y faire appel une fois par semaine seulement pour éviter tout abus.
Echo se dirigea vers la liste aux belles lettres cursives inscrites sur une plaque de métal argenté, et passa le doigt sur les aliments de son choix : 3 maximum, comme la règle le stipulait au dessus.
Elle s'assit ensuite au comptoir et attendit un instant. Un oeuf au plat assorti de haricots en sauce et de quelques saucisses se matérialisa devant elle.
Malgré sa faim intense, l'odeur du typique petit déjeuner anglais, d'ordinaire un de ses plats préférés, l'écoeura soudain.
Mettant cette sensation de côté, elle mangea rapidement, s'efforçant de faire fi du goût étrangement fade des aliments qui lui soulevait le coeur, et elle termina son assiette, qu'elle mis de côté et qui disparut , envoyée aux cuisines pour y être nettoyée.
Mais quelques instants plus tard, elle fut prise de l'horrible sensation désormais familière et se précipita vers les toilettes des femmes où elle régurgita son repas à peine englouti.
Les yeux larmoyants à cause de la brûlure que le flot de bile avait laissé dans sa gorge et de sa déconvenue, elle écrasa son point contre la porte des toilettes.
C'était impossible... Elle ne parvenait plus à se nourrir.
Pire encore, sa faim, loin de refluer, était revenue de plus belle, tordant son estomac dans une douleur à la plier en deux.
Écoeurée, elle retourna vers sa chambre et se coucha sans prendre la peine de se changer.
Elle ne dormit pas du reste de la nuit, et quand Éden se leva ce matin là, elle feignit le sommeil pour éviter ses questions.
Répétant son rituel de la veille, elle se rendit dans la salle de bain au départ de son amie, se dévêtit et observa son reflet dans le miroir.
Son visage semblait plus blanc encore et ses cernes étaient terriblement marquées. Son visage était émacié et elle semblait avoir perdu du poids, au point où ses côtes saillaient désormais.
Les deux trous sur son cou étaient toujours présents et la plaie semblait même s'être empirée : la chair, sur dix centimètres était noire et la peau était brûlante et gonflée.
Elle se mordit les lèvres. Si cela continuait comme ça elle n'aurait d'autre choix que de tout révéler à son oncle.
Mais l'idée que qui ce soit découvre qu'elle ne pouvait plus faire appel à ses pouvoirs la terrifiait au plus haut point.
La pensée que son erreur puisse compromettre son avenir de magicienne la rendait malade : personne ne devait jamais apprendre ce qui lui était arrivé.
Mais qu'adviendra-t'il si tes pouvoirs diparaissent à tout jamais ? souffla une voix dans son esprit.
Elle se plongea dans l'eau brûlante du bain en essayant de réprimer cette pensée.
Une telle chose était impossible. On pouvait retirer ses pouvoirs à un magicien grâce à une magie noire demandant de terribles sacrifices, mais on n'avait jamais vu un sorcier incapable d'utiliser ses pouvoirs après une morsure... Si ?
Malgré la chaleur de l'eau, elle était glacée.
Depuis la veille, la seule chose qu'elle semblait être capable de ressentir était le froid et la faim.
Elle sortit rapidement de l'eau, et traita sa blessure avec des onguents adaptés.
Elle avait bien compris désormais que cela ne suffirait pas, mais même le puissant l'antidote universel qu'elle avait pris la veille n'avait pas fait effet.
Il s'agissait pourtant d'un remède confectionné par sa mère, prestigieuse herboriste. Si celui-ci ne fonctionnait pas, rien ne pouvait la soigner.
Echo en avait donc conclu qu'elle n'avait pas été empoisonnée, éliminant de sa liste d'attaquants potentiels toutes les créatures venimeuses.
Mais peu importe ses recherches, rien n'y faisait, à chaque fois qu'il lui semblait tenir une piste, cette dernière s'effaçait devant elle, la laissant en proie au trouble.
D'un geste las, elle se massa les tempes. Sa migraine s'était encore aggravée et elle avait du mal à se concentrer sur quoi que ce soit.
Toute la nuit durant elle avait tenté de faire appel à sa magie, puisant dans ses réserves à en saigner du nez, mais rien n'y faisait.
Dans l'impossibilité de se montrer en cours sans avoir retrouvé ses pouvoirs, la jeune fille décida de se réfugier dans le jardin suspendu pour trouver la tranquillité.
Elle s'empara de sa grande valise de cuir sombre dans laquelle elle encombra pelle-melle son edredon, des remèdes, des livres de cours et des habits de rechange. Appercevant le petit écrin qui renfermait le myosotis sur sa table de chevet, elle s'en saisit et décida de l'emmener également.
Elle fouilla le premier tiroir du bureau d'Eden dans lequel elle trouva la petite bague argentée qu'elle enfila sur son annulaire gauche.
D'apparence banale, l'objet irradiait d'une magie discrète, habilement camouflée dans la petite pierre incrustée sur le dessus : la sienne.
Elle avait créé ce maléfice pour permettre à Eden d'ouvrir la porte de la tour en son absence, celle-ci n'ayant pas la capacité de déjouer le sortilège de l'archi-mage elle même.
Se saisissant d'une feuille vierge, elle écrivit à l'intention de son amie une lettre qui se voulait rassurante : ses pouvoirs étaient revenus, il s'agissait sûrement d'un simple contrecoup de ses pressentiments et du sortilège qu'elle avait expérimenté la nuit où elle avait disparut. Elle avait simplement besoin de calme et de repos quelques jours, et elle allait s'isoler au jardin un moment.
Elle ajouta enfin qu'elle avait emprunté la bague car sa magie était encore faible et elle ne se sentait pas capable d'ouvrir la porte par elle même pour le moment, puis termina en la remercia pour son aide et sa bienveillance.
Elle déposa finalement le message sur le bureau de son amie avec une pointe de culpabilité.
Eden ne méritait pas d'être tenue à l'écart, mais c'était un problème qu'elle devait régler seule, et l'inquiétude de son amie commençait à lui peser.
Elle souleva la valise sans difficulté grâce à l'enchantement de cette dernière et traversa les couloirs familiers sans croiser personne.
À cette heure-ci heureusement, tout les élèves étaient encore à la salle de banquet en train de déjeuner.
Echo passa ainsi cette deuxième journée privée de magie à se morfondre dans le jardin, occupée à chercher des réponses en faisant des recherches sur les créatures fantastiques et sur sa blessure, allant même jusqu'à étudier le myosotis qu'elle avait trouvé à son réveil en détail.
Mais ce n'était qu'une simple fleur décevante, et les livres ne lui offrirent pas plus de réponses.
De plus, il lui était de plus en plus difficile de se concentrer, l'effet combiné de la douleur qui la consumait et de la faim semblaient constamment sur le point de la submerger, et à mesure que les heures passaient son état semblaient s'aggraver.
Trois jours de plus s'écoulèrent ainsi, où Echo resta prostrée dans son abri, n'ayant même plus la force de réfléchir clairement et sentant sa magie s'éloigner de plus en plus d'elle, au point où elle ne parvenait même plus à sentir la magie de son environnement. Les plantes, la mare et tout ce qui l'entourait lui semblait muet : pour la première fois depuis sa naissance, elle était aveugle à l'énergie autour d'elle.
Ce fut trois jours où elle ne mangea pas, ne dormit pas, n'éprouvant plus rien d'autre qu'un froid intense, une migraine atroce qui lui vrillait l'esprit, et surtout, une faim, ou plutôt, une soif intense qui la rendait sourde à tout autre besoin.
Elle avait tout essayé pour apaiser cette souffrance, mais ni les aliments, ni l'eau ne parvenait à combler cette sensation atroce.
Sa gorge était brûlante, sa langue pâteuse et tout son corps irradiait de ce manque, au point où il lui semblait que le sang lui même avait séché dans ses veines.
Comme une droguée en manque, elle était constamment parcourue de frissons glacés, souffrant mille maux et cherchant à mettre fin à cette douleur sans en trouver le remède ; sans même savoir si celui-ci existait.
Le quatrième jours, la souffrance atteignit son paroxysme. Totalement rendue folle par l'affliction, incapable de penser, elle se contentait de gémir, roulée en boule. Elle labourait ses bras de ses ongles et lèchait le sang qui perlait à la surface de sa peau, réduite à l'état de corps animé seulement par cette soif atroce, un animal fou de douleur.
Ce soir là, à demi consciente seulement, elle observa la lune se lever. Dans un état comateux, elle songea à sa mère, à ses amis. Qui les informeraient de sa mort ?
Il était trop tard pour regretter et Écho réalisait maintenant qu'elle avait toujours été condamnée : à partir du moment où elle s'était réveillée sur cette plage, elle avait été une morte en latence.
Elle l'avait réalisé au fond d'elle-même : rien n'aurait pu la sauver.
Elle se sentait tellement stupide.
Ses pressentiments avaient été justifiés une fois de plus : elle avait sentit venir sa propre mort.
Une voix douce se fit soudain entendre, venue de nulle part, et elle ouvrit les yeux pour appercevoir un jeune homme penché au dessus d'elle.
Sa vision troublée lui laissa entrevoir sa peau mate et ses cheveux blancs comme neige et elle rencontra ses yeux.
Deux iris rouge sang.
« Je suis désolé, ça n'aurait pas dû arriver.
Écho ne répondit pas, entendit les mots sans les comprendre, assommée par la douleur et la soif.
Echo sentit son buste être soulevé doucement et ferma les yeux, une larme glissant sur sa joue.
Elle sentit une main froide l'effacer délicatement, puis son corps être ramené près de celui de l'inconnu dans une douce étreinte.
Soudain, elle sentit un liquide tiède contre ses lèvres, et par réflexe ouvrit la bouche.
Le fluide coula dans sa gorge, il avait un goût indescriptible, riche et puissant, et Écho compris immédiatement que c'était ce qu'elle avait cherché si ardemment ces derniers jours.
Elle ouvrit les yeux, subjuguée, réalisant à peine ce qu'elle faisait, et enlaça l'étranger, se suspendant à son cou dont coulait le sang en un flot sombre.
Il se laissa faire, et dans un instinct primal elle but, longuement, soulageant enfin cette soif qui l'avait dévorée.
Il finit par l'éloigner de lui, et elle laissa échapper un grognement presque animal.
« Ça suffit, dit-il doucement, et pour la première fois la jeune femme réalisa qu'il parlait en francais.
Nauséeuse, elle se laissa faire, et il l'allongea au sol.
À travers sa vision brouillée, elle saisit l'air de profonde tristesse sur son visage, sans comprendre quelle en était la cause.
Elle contempla ses yeux écarlates et un mot éclata soudain dans son esprit.
Vampire.
Elle ferma les yeux, épuisée et entendit ces mots, murmurés à son oreille :
« Je t'en prie, pardonne moi.
Un grand craquement retentit, puis ce fut le silence total.
...
Annotations
Versions