LA FÊTE DES VOISINS

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LA FETE DES VOISINS

ou

L’art de la conversation de voisinage

Deux voisines de palier devisent aimablement depuis leur paillasson respectif…

La première
Comment va ce matin ma plus proche voisine ?

Avez-vous bien dormi : je vois petite mine !

Ma pauvre mère avait ce teint terne et cireux

Que l’on voit couramment chez les grands cancéreux

Dans le temps de la fin, lorsque la mort est proche

Et vous laisse partout une odeur qui s’accroche !

Avez-vous constaté comme un gros ganglion

Qui pousserait sur vous en quelque région ?

Vous pouvez raconter ! Il faut bien qu’entre femmes

L’on se soutienne un peu lorsque arrivent des drames !


La seconde
Ma bonne et douce voix du logis mitoyen,

Ne vous tracassez pas : je ne souffre de rien !

Et vous donne à l’instant cette bonne nouvelle

Qui devrait assécher votre humide prunelle !

Je sais pouvoir compter sur vous à tout moment :

Qu’il me pousse une dent ou un boursouflement !

Mon mari, hier encore, en triant la lentille,

Me disait vous tenir un peu de la famille,

Car nous avons tous deux sincère affection

Pour vous et tous les chats de votre pension !

La première
A propos de mari : comment va son chômage ?

Voilà bientôt cinq ans qu’il attend de l’ouvrage,

Et que chaque matin il se lève bien tôt

Pour préparer sa grille et jouer au loto !

Quand on sait, comme lui, nettoyer la sardine,

Cueillir le pissenlit ou beurrer la tartine,

On a tout ce qu’il faut pour séduire un patron

Et trouver un boulot à l'arrière du front !

Avez-vous essayé d'en faire un sédentaire ?...

Je le vois bien gratter du papier chez le maire !

Il se réserve un peu, mais quand il sera prêt,

Il pourrait bien surprendre et faire son effet !

Dites-lui, de ma part, que même avec un vice,

On a vu s’établir des repris de justice,

Et d’ailleurs l'on sait bien qu'en certaine maison,

Un diplôme vaut moins qu’un séjour en prison !


La seconde
Je ne manquerai pas de porter ces messages,

Si pleins de bienveillance et de paroles sages,

Qui lui seront, je crois, un peu comme du miel :

Car il doute parfois de son grand potentiel !

Feu votre pauvre époux a connu cette chance

De goûter chaque jour votre douce présence,

Et recevoir ainsi, comme venu du ciel,

Ce mélange subtil de bêtise et de fiel !

Sans vouloir sur la plaie épandre de l’acide :

Il était avec vous, jusque avant son suicide,

Un mari prévenant, tellement amoureux,

Toujours à vous couver de son regard vitreux !

Je crois me souvenir, un soir qu’il était ivre,

Et pour vous remercier - à sa façon - de vivre,

Il nous avait chanté sur un air polisson

Quelque chose de gai d'un style à sa façon,

Qui vous faisait hommage et parlait de charogne

Avec l’inflexion du langage d’ivrogne !

Tenez ! d’y repenser, je sens qu’un gros sanglot

Est là, dedans mon cou, prêt à couler à flot !

Pourquoi dans son passé d’ancien de la milice

L’a-t-on laissé garder son arme de service !

Vraiment, vous formiez un couple si gentil,

Pareillement retors et si bien assorti !


La première
Mouchez-vous donc un peu, délicate voisine :

Je vois un long filet couler d'une narine ;

Et ne remuez pas sans cesse le couteau,

Car si Dieu l’a repris, il reste sa photo,

Et le bonheur bien grand d’avoir en descendance

Une postérité toute à sa ressemblance.


La seconde
Comme cela est juste ! Ainsi votre dernier,

De loin le plus futé : le voilà policier,

Dans l’élite du corps, à la municipale,

Avec le feu sacré d’un enfant de la balle !

J’en connais un là-haut qui doit être bien fier,

De voir son rejeton avec un revolver !


La première
Mais vous-même, je crois, avez lieu d’être en fête ;

N’est-ce pas votre aînée, accueillante et simplette,

Qui vient de se trouver comme futur mari

Un jeune homme bien fait, d'un même gabarit,

Et que l’on dit doué presque autant qu’elle est vierge ?

A ce propos, pensez à réserver un cierge,

Car je sens bien venir qu’en trois mois seulement

Vous arrive le fruit de cet accouplement !


La seconde
Je ne me lasse pas de vous voir et entendre

Et me dire, à propos, cette parole tendre,

Tout comme vous savez, pour chacun du quartier,

Trouver le juste mot qui forge l’amitié !


La première
Lorsqu’on aime les gens, on ne se force guère ;

Vous-même êtes portée à vous mêler de plaire !


La seconde
On ne se refait pas et chacun le sait bien

Qui veut se raconter et chercher un soutien !

Nous avons, il est vrai, des voisins adorables

Qui par bien des côtés sont aussi nos semblables

Et n’hésitent jamais à venir, sans façon,

Parler d’eux longuement sur notre paillasson !


La première
La fête des voisins se passe ce soir même :

Vous y trouvera-t-on avec votre problème ?


La seconde
Grand Dieu ! je m’en voudrais de manquer cet endroit

Où l’on voit rassemblés autour d’un buffet froid

Des gosses et des chiens et de vilaines têtes

Qui, roses au début, deviennent violettes !

On y voit des talents : un comique, un chanteur,

Un sournois, un crétin, un teigneux, un menteur !

C’est ici, très souvent, que naissent des idylles,

De grandes amitiés, des rencontres fertiles,

Mais aussi des cocus qui repassent les plats,

Et sans douter de rien s’amusent aux éclats !


La première
Une bien belle fête, en effet, ma commère !

Qui nous donne parfois, lorsqu'elle dégénère,

Tant de jolis sujets de conversation,

Que l'on passe l'année en dégustation,

Pour dire de chacun tout le bien que l’on pense

Et supputer le mal avec sa conséquence !


La seconde
A ce soir, au buffet, ma voisine et consœur !


La première
Il faut bien se quitter, mais c'est à contre-cœur !





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