LES BEAUX JOURS

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Tout commence un beau jour - enfin, si l'on peut dire -

Nous voici presque nés ! On nous pousse et nous tire

Par la tête ou les pieds ; il faut nous déloger,

Nous jeter au grand jour et sans nous ménager

Nous laisser suffoquer afin de nous instruire

Sur la seule façon dont ici l’on respire !

Dans la peur, la douleur, les larmes et l’éther,

On découvre le froid, le chaud, le courant d’air,

Ces pièges inconnus d’un pur esprit candide

Qui se voit désormais dans un état liquide

A quatre-vingts pour cent - ou de peu ne s’en faut -

Et qui pour se garder à son meilleur niveau,

Devra boire et manger à vie et sans lacune,

Et se vider autant d’une façon commune,

Afin de prospérer dans ce monde charmant

Qui lui fait cet honneur, insigne assurément,

De l'exfiltrer du ciel – de nulle part en somme -

Afin de le porter à la majesté d’Homme !

C’est beaucoup demander que cet avènement

Se fasse sans effort et sans désagrément,

D’autant qu’à parler vrai nous sommes aux prémices

De ce qui nous attend en termes de sévices !

Voici la Maladie et qui rôde alentour,

Attendant patiemment, comme fait le vautour ;

Microbes et virus lorgnent nos devantures

Où l’on montre à qui veut nos peaux de confitures,

Nos jambons, nos pâtés, nos sucs intestinaux,

Capables de nourrir d’indénombrables maux !

Et la Mort n’est pas loin, dans une ombre funeste,

Qui nous fait des « coucou » du regard et du geste,

En agitant sa faux d'un branle menaçant

Qui nous freine l'élan et nous glace le sang !

Dès lors, elle est toujours en fond de paysage ;

On croit l’avoir semée : elle attend au péage,

Et se rappelle à nous, nous frôle pour de bon,

Puis va chez le voisin en faire un moribond !

Et ce chemin de vie à chaque instant invente

La pente, le devers, le fossé, la descente,

Avec, en point final, cet endroit bien obscur,

Que certains voient douillet mais tant d’autres bien dur !

Quiconque un peu sensé, qui observe la scène,

Peut concéder, déjà, qu’en matière de peine,

De chagrin, de malheur, de désolation,

L’Homme a déjà touché plus que sa ration !

Pas du tout ! Un beau jour - un autre, j’ose dire -

Quelque chose de fort, difficile à décrire,

Prend l’Homme et le secoue, âme, corps et cerveau,

Comme pour le punir, le frapper à nouveau !

La libido s’installe et ses feux d’artifices

Qui donne des besoins d’haleine et d’orifices,

De fougueux appétits, d'intenses pulsions :

On en veut, on en veut, partout, des grands frissons !

La lune, le soleil, les fleurs, la liturgie,

En tout la libido puise son énergie

Qu’à la fin il nous faut, par frottements très vifs,

L'expulser de nos corps en spasmes convulsifs !

Mais qu’avons-nous donc fait pour souffrir tant d’épreuves,

Si nous avons des torts : qu’on nous montre les preuves ?

Car depuis le début, depuis le premier jour,

L’Homme trinque ici-bas plus souvent qu’à son tour !

Mais ce n’est pas encor la fin de son calvaire

Dans la fuite en avant d’une existence amère,

Car voici le pompon dans le raffinement :

Pour tous les survivants, c’est le Vieillissement !

Tout dérive à vau-l’eau, se fripe et s’étiole,

Et l'on en voit certains qui perdent la boussole,

Qui ne regardent plus que d'un œil entrouvert,

Qui geignent au printemps, soupirent en hiver,

Et regrettent le temps des douleurs plus câlines :

Les rhumes, les rougeurs, les herpès, les angines !

Jusqu’à ce qu’un beau jour - un dernier, plus suspect -

L'on cesse de vouloir constamment s'agripper,

Pour revenir enfin dans cet état pépère,

Qu’on était juste avant que d’être mammifère,

Dont je ne sache pas que quelqu’un se soit plaint,

Ou garde un souvenir de vide ou de trop-plein !

Pour vous dire le fond de ce qui me taquine :

Fallait-il nous plonger dans la ronce et l'épine

De la vie ici-bas, pour finir dans des trous,

Après autant de deuils, de larmes et de coups,

Et l’ordinaire étroit d’un mortel qui s’affole

Au sujet qu’il devra quitter la farandole ?

Sans doute suis-je ici d’une mutine humeur

Qui me mène à celer les moments de bonheur,

Tous ces tendres instants, ces sortes d’embellies,

Qui éclairent nos cœurs et nos mélancolies,

Tous ces petits plaisirs innocents et aimables

Qui mettent par endroit des notes agréables !

Ainsi, je n’omets rien : ni la rose mignonne,

Ni le baiser brûlant que l’on reçoit ou donne,

Ni l’oiseau, l’arc en ciel, le quatorze juillet,

La femme du voisin, le pied de porc grillé,

Mais aussi, le football, la télé, la bagnole,

Les chansons, le vin blanc et la profiterole !

Il conviendrait qu’ici je rajoute l’Amour,

Mais dès lors qu’il nous rend souvent aveugle et sourd,

J’hésite à le compter comme une bonne chose,

Ou le classer plutôt en sorte de névrose !

Enfin quoi qu’il en soit, la balance, on le voit,

Ne trouve à soupeser qu'un positif étroit,

Dès lors que l’on veut bien voir à juste distance

Le lot commun des gens et de leur existence,

Et leur parcours brutal de naissance à trépas,

Qu’à son pire ennemi l’on n’imposerait pas !

Il n’est pas de bon ton de parler de la sorte ;

Déjà j’entends crier que le Diable m’emporte,

A blasphémer ainsi l’œuvre d’un Créateur

Qui pourrait bien, dit-on, être l’ordonnateur

De tout ce qu’il advient depuis des millénaires,

Et qu’il ne faudrait pas, par de molles prières,

Des desseins aberrants ou propos en dessous,

Attiser le foyer de son juste courroux !

Loin de moi le projet de montrer du courage

Et faire le malin avec un commérage,

D’autant qu’en vérité je ne suis sûr de rien

Sur l’avant et l’après, où l’on va, d’où l’on vient,

Et préfère en ce cas ménager mes arrières,

Rester dedans le rang avec mes congénères

En attendant comme eux de voir peut-être un jour

Où ce chemin de croix me mène avec amour,

Et dire à Qui de droit - pour peu qu’Il se présente -

Quelqu'une vérité plus ou moins déplaisante,

Sur le riant séjour dont je rentre à l’instant

Certes un peu fatigué, mais tellement content !









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