LE ROI, LE PEUPLE ET LA DEMOCRATIE

7 minutes de lecture

Dans ce temps fort ancien qu’on dit du jeu de paume ,

Il était un bon Roi, heureux en son royaume ;

Aimé de ses maîtresses, aimé de ses sujets,

Il vivait comme un coq en ses murs protégés.

L’affaire générant son petit bénéfice,

Il s’occupait un peu, faisait de l’exercice,

Mais en tenant toujours son corps et son esprit

A l’abri du moment où l’effort les meurtrit.

Bref, un être attachant que ce plaisant monarque

Qui, sans trop s’agiter, laissait flotter sa barque.

Le Peuple de ce lieu, dont il prenait grand soin,

Etait d’un acabit plus rustaud et, de loin,

N’avait pas ce port haut qui vous fait une allure ;

Pour tout dire il était d’une origine obscure,

Plus ou moins sang mêlé, ce qui finit toujours

Par gâter le dedans et ronger les contours !

Chacun restant chez soi, centré sur sa besogne,

Le climat social n’était pas à la grogne,

D'autant que les greniers étaient pleins, que partout

L’on trouvait des morceaux de lard dans le faitout !

Mais le temps du bonheur reste une parenthèse : I

l faut bien tôt ou tard que l’orchestre se taise !

Deux mauvaises moissons et un printemps maudit,

Et la famine est là qui s’installe et grandit ;

Et l’on voit resurgir l’atavisme primaire

Qui vous fait l’œil mauvais et la parole amère !

Ventre et sexe affamés n’ont plus d'honnêtetés :

L’adage est bien connu dans les communautés !

On s’épie, on se suit, jour et nuit l’on se guette,

Pour savoir, par hasard, si l’on mange en cachette !

Quelqu’un, moins altéré dans son discernement,

Suggéra qu’au palais l’on aille crânement.

On désigna bientôt des parlementaires,

Pour aller jusqu’au Roi d'un ton autoritaire

Et lui dire son fait et le juste dégoût

D’un Peuple qui se voit désormais sans le sou.

« Sire, dit un premier, pardon si l’on dérange,

Mais depuis quelque temps plus personne ne mange,

Et l’on peut redouter - c’est un pressentiment -

Que la faim par degrés porte au ressentiment !

— Sire, dit un second, déjà nous faisions maigre,

Ce qui certes nous fait le mouvement allègre,

Mais lorsque l’estomac se comprime en étau,

Peut-être alors faut-il épaissir un peu l’eau ! »

D’autres encor longtemps avec autant de force

Clamèrent leur dépit en propulsant le torse.

Le bon Roi, tout ce temps, de son trône perché,

Ecouta patiemment ce discours recherché,

Entendit l'argument, l'accent, la rhétorique,

Sans toujours bien saisir le phrasé plus technique,

Prit un air inspiré propre au recueillement,

Observa ses sujets de loin : l’habillement,

La taille, les chapeaux, les sabots, les coiffures,

La couleur et les traits de leurs grosses figures,

Et cela l’ému tant que, la douleur aux yeux,

Il promit qu’il ferait ce qu’il pourrait de mieux

Pour que les prix toujours restent en bonne place,

Et ne rajoutent pas la poisse à la mélasse !

L'on entendit alors des applaudissements,

Et l'on eut un moment des attendrissements ;

Puis à la suite il dit, en première mesure,

Qu’il allait réfléchir... au fond, à la structure,

Du Grand Redressement qu’il lançait aujourd’hui

Et dont on parlerait des siècles après lui,

Mais pour patienter de façon profitable,

A la foule il livra ce conseil raisonnable :

« Il vous faut bien mâcher ! dit-il, c’est important !

N'avalez pas trop tôt, broyez en insistant ;

Gardez-vous de manger de la viande trop tendre

Que la dent ne voit point et se presse à descendre !

Préférez une chair résistante aux couteaux,

Que la bouche souvent, par tout petits morceaux,

Mènera doucement à la saveur subtile ;

En mâchant vous joindrez l’agréable à l’utile ! »

Le Savoir révélé par ce sage conseil,

Sur le Peuple affamé fit l’effet d’un soleil ;

Le cœur battait plus fort dans la poitrine creuse,

Et déjà l’on mâchait d’une façon fiévreuse,

Cependant que le Roi, pour dire l'au revoir,

Du sommet d'une tour agitait son mouchoir.

Le Peuple s’en revint porter cette nouvelle

A la communauté qui battait la semelle : «

Nous avons exigé des mesures sous peu,

Sinon à leur palais on y foutra le feu ! »

Chacun se reconnut en cette parabole

Et l'on ratifia d’un bloc le protocole.

Ne sachant trop par où traiter un tel fléau,

Le Souverain dès lors courut de bas en haut ;

En tous lieux il partit répandre sa lumière,

Montrer ses beaux habits, ses femmes, sa bannière,

Et dire le devoir d’un nécessaire effort

Pour ne point trop penser qu’à son petit confort,

Car à trop demander, toujours, pour chaque chose,

Les épines étaient là, mais plus aucune rose !

Pour s’allier les benêts, jean-foutre et paltoquets,

Il ajouta parfois des larmes, des hoquets ;

La Reine, obligeamment, pour n’être pas en reste,

Créa son « Restaurant de la manne céleste »,

Où les plus démunis, sans payer leur écot,

Pouvaient de temps en temps goûter à son fricot.

Malgré tant de bons soins dispensés avec grâce,

La misère toujours régnait avec la crasse

Dans les chaumières où croupissaient les ruraux

Dont les os maintenant saillaient des oripeaux !

La tristesse en son cœur prit bientôt tant de force,

Que le bon Roi, lassé, songea même au divorce,

Et ne se montra plus que du haut du palais,

En agitant la main au travers des volets.

Le bon Peuple soudain se mue en populace,

Chacun spontanément apprit une grimace,

S’équipa d'un bâton, quelquefois d'un marteau,

Et d’un pas décidé se rendit au bistrot !

Le plus fourbe d’entre eux, nommé le Démocrate,

Suggéra que bientôt la caste scélérate,

A la lanterne soit, par une extrémité,

Suspendue haut et court et sans formalité.

Le gars, sous les bravos, monta sur une table

Et, le regard vitreux, leur dit, le pied instable :

« C’est par la volonté du Peuple déprimé,

Que je déclare ici le trône périmé !

A partir de ce jour : « open bar », on consomme !

Car le gouvernement, c’est nous, ou c’est tout comme,

Et je veux bien demain - sans paraître effronté -

Me charger à temps plein de votre volonté ! »

Puis il cria : « J’ai soif ! », offrit une tournée

Et, du laïus en cours, remit une fournée :

« Je suis de ce pays et vous ressemble en tout :

Je parle sans savoir et je bois comme un trou ;

Je suis sale, méchant, envieux et lubrique ;

J’aime l’or et l’argent, je suis égocentrique ;

N’est-ce pas là, de vous, le fidèle portrait,

Et de l’Homme, ici bas, ce qu’il est trait pour trait ? »

Chacun reconnut bien la justesse d’image

D'une évocation peut-être un peu trop sage. «

Alors, poursuivit-il, si je pense et agit,

C’est comme si, par vous, mon être était régi !

Mandatez-moi partout où le Peuple est en scène,

Que j’y sois votre voix, vos yeux et votre haleine ;

Que l’on nous traite enfin en juste souverain,

Et plie à nos désirs avec force et entrain ! ».

Le programme apparut à chacun raisonnable

Et la Démocratie une accueillante table ;

On se dit qu’après tout pour s’occuper d’autrui,

Si quelqu'un doit s'y mettre autant que ce soit lui,

Et qu’il serait bien temps, quand finirait la fête,

De savoir quoi couper : des mains ou de la tête,

A moins que se dégage à la majorité,

Le goût de l’empaler avec son comité !

Puisqu’on avait deux chefs et qu’une seule place,

On vota, du bon Roi, l’immédiate disgrâce

Et pour lui en donner le détail et le tout,

Se mirent en chemin ceux qui tenaient debout.

-------------------------------------------------------------------

Ah, mais je vous entends ! vous supposez la suite,

Perspicace lecteur !... Prenez donc la conduite

De ce joli récit jusqu’à son point final,

Puisque vous en savez le dénouement fatal !

« Un tyran est à bas, un autre le remplace :

On ne voit rien de neuf, la logique est en place

Qui nous montre un pouvoir qui se brûle et s’éteint,

Et un Peuple toujours idolâtre et crétin !... »

Me serais-je contraint à l’effort d’écriture,

Pour ajouter, au mieux, ma couche de peinture

Au témoignage fort, sincère et évident

Qui nous montre si cons depuis Eve et Adam ?

Certes, non ! Ce récit, d’une juste éloquence,

Vous l'allez voir ici, parle pour la défense

Et de l’Homme abhorré montre un autre côté,

Résolument nouveau, surprenant de beauté !

--------------------------------------------------------------------

Nous en étions restés au soir de la victoire,

Lorsque ce beau tribun, à l'aisance notoire,

S’était ouvert au Peuple assemblé dans ces lieux,

De son ardent désir de s’occuper des vieux,

Des femmes, des enfants et toutes leurs misères,

Sans leur prendre en retour la couenne et les viscères.

Il se mit au travail comme il avait promis :

Des caves aux greniers, il gratta les taudis ;

Partout il mit des fleurs ; des nappes sur les tables ;

Dans les soupes, du gras ; des veaux dans les étables,

Et du blé dans les champs et de belles moissons

Qui laissent à la fin des sous pour les boissons.

Etonnant, n’est-ce pas ? le gars tint sa promesse,

En vivant chichement sans piquer dans la caisse !

Les anciens, longuement, cherchaient un souvenir,

Sans trouver rien de tel qu’un prêtre eût pu bénir !

On avait vu jadis un lapin à cinq pattes !...

Et plus avant encor du brun dans les patates !

Mais rien d’aussi nouveau que cet altruiste là

Qui, de vous décrasser, fait son apostolat !

Chacun devint meilleur : on déserta confesse,

Et d’ailleurs le curé ne disait plus la messe !

A quoi bon raconter les histoires d’en haut,

Lorsque en bas tout se tient à peu près comme il faut !

Quelle savante loi que la Démocratie

Qui, d’un Peuple - on l’a vu - proche de l’idiotie

Et d’un chef issu d’eux tout du même tenant,

Vous fait un paradis, ici même, à l'instant !

Bien sûr, je vous entends : « cette histoire est trop belle

Et trop loin d'imiter une chose réelle !

L’homme civilisé n'a rien connu de tel,

Capable d'égaler la promesse du Ciel ! »

Je vous le dis pourtant : tout est exactitude !

Les faits sont établis par une longue étude ;

Dans un livre sacré tout est écrit dedans,

Et aussi qu’en ce temps… les poules avaient des dents !




Annotations

Vous aimez lire Charlentoine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0