Chapitre 3

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C’était le 28 octobre, une semaine après la mort de Sarah Larrieu. Une marche blanche était organisée par ses parents à Tarbes, sa ville de résidence. Marlène décida de se rendre là-bas et observa cette marche calme avec les parents tenant la banderole, puis parlant aux journalistes. De nombreux Tarbais étaient présents à cette marche sur la place de la mairie qui était le lieu de départ de cet hommage.

La policière décida de se joindre au cortège puis le remonta pour arriver jusqu'au dos de la famille Larrieu. Marlène tapota sur l’épaule du père et lui demanda si c’était possible après la marche qu’elle vienne les voir pour leur poser des questions. Il la regarda droit dans les yeux, ne prononça pas un mot et hocha la tête. Vers dix-sept heures, le cortège se dispersa. Monsieur et madame Larrieu l’invitèrent à les suivre en voiture. Ils habitaient dans un très joli quartier résidentiel qui à première vue avait l’air calme. Le couple s’appelait Sylvie et Jean-Michel. Tous les deux s’assirent dans le canapé du salon, Sylvie tenait fermement la main de son mari. Marlène, pour sa part, choisie de s’asseoir sur un fauteuil.

- C’est horrible ce qu’on traverse, jamais on aurait cru que ça nous tomberait dessus comme ça, s’exprima Sylvie.

- C’est normal, compatit Marlène. Elle faisait quoi comme étude votre fille ?

- Une licence de physique à Toulouse. Elle était brillante, elle devait partir aux États-Unis pour faire sa L3.

- Est-ce qu’elle avait un petit ami ?

- Oui, bien sûr. Toutes les jeunes filles de son âge ont un copain. J’ai eu la chance de le rencontrer, c’est un mec bien. Il s’appelle Simon.

- Simon comment ?

- Ménard.

- Ça fait depuis combien de temps qu’elle connaît ses amies ?

- Ce sont ses amies d’enfance. Elles aussi sont très souvent venues à la maison et toutes les trois partaient faire les fêtes de Dax, Bayonne et puis elles allaient souvent en boîte.

- D’accord. Est-ce que quelqu’un lui voulait du mal ?


Sylvie la regarda d’un air interloqué.
- Votre fille, est ce qu’elle a eu des ennemis ou des compagnons qui ont eu un comportement violent avec elle ?
- Ah ça non, c’était une jeune fille très appréciée par tout le monde. Si vous voulez interroger les voisins, sachez qu’ils vous diront la même chose que moi et sachez également qu’elle ne consommait pas de drogue. Du moins pas que je sache.
- Si je puis me permettre, intervint Jean-Michel, on faisait attention aussi à ses fréquentations. On lui disait même que quand elle allait en boîte, elle devait faire attention à comment elle devait s’habiller et les chaussures à mettre aussi.
- Oui, renchérit sa femme. On la laissait quand même faire ce qu’elle voulait, on la mettait juste en garde.
- Ca serait une mauvaise rencontre qu’elle a faite en soirée ? Ce n’est pas quelqu’un que vous connaîtriez qui aurait commis une chose pareille ?
- Non, pas du tout. Je vous l’ai dit, elle était appréciée par notre entourage. Il n’y a pas de raison qui nous laisse penser que ça soit un ami de la famille qui ait fait une chose pareille, répondit Sylvie vexée.
- Ecoutez, je suis désolée d’être aussi intrusive avec vous, s’expliqua Marlène, mais je n’ai pas le choix. Si vous aussi vous voulez que l’auteur de ce meurtre soit emprisonné, il faut que vous soyez coopérative avec moi.
- Mais je le suis, ce que vous ne comprenez pas, c’est que j’ai perdu ma seule fille. Vous êtes encore jeune, je vous souhaite sincèrement d’avoir un jour des enfants, mais si par malheur quelqu’un venait tuer l’un d’eux, vous seriez aussi choquée que moi par les questions que vous êtes en train de poser.
- Elle était militante politique ? Est-ce qu’il y avait une cause qui lui tenait à coeur et dont le sujet est suffisamment délicat au point qu’elle ait été une cible ?
- Sarah ne voulait pas s’engager politiquement, expliqua son père, elle n’aimait pas spécialement voter, car pour elle, ça ne servait à rien vu qu’à la fin, c’étaient à chaque fois les mêmes au gouvernement. En revanche, elle faisait partie d’une association de défense des migrants, elle était même partie à Calais dans la Jungle. Je peux vous dire que ça la traumatisait de voir ces gens vivre sans toilette, sans manger à leur faim et complètement livré à eux-mêmes.
- Elle était très active ?
- Pour ça, oui, ça arrivait même qu’elle se fasse interviewé et vu qu’elle soutenait les antifas, elle a eu de sacrés emmerdes avec des fachos.
- Elle a déjà reçu des menaces de mort, compléta Sylvie au bord des larmes.
- Oui, mais elle a refusé de déposer plainte parce qu’elle avait peur d’être retrouvée.

Marlène nota ce détail qui lui semblait très important.
- Est-ce que vous connaissez le nom de ce groupe ?
- Bien sûr. Ils se nomment « Les Ours des Pyrénées », commença Jean-Michel. Je ne vous conseille pas de regarder leur page Facebook, c’est juste déprimant de voir ce qu’ils défendent.


Marlène les remercia chaleureusement puis reprit la route pour retourner à Lannemezan. La circulation sur l’autoroute était très fluide, mais il pleuvait très fort. La pluie claquait sur le pare-brise. Elle était contente d’être abritée dans sa voiture. Elle écoutait attentivement les dernières actualités sur France Bleu qui ne manqua pas de parler de ce meurtre et lança une hypothèse sur la présence potentielle d’un tueur en série dans la région. La nuit était déjà tombée.

Quand elle rentra dans sa chambre d’hôtel, elle consulta rapidement sur internet ce que faisait ce groupuscule d’extrême droite. Ils se vantaient de repousser des clandestins à la frontière espagnole, et vantaient les autres politiques anti-migratoires en Europe. Ce n’était que du relayage d’informations dans la majorité des cas et bien entendu de nombreuses critiques ainsi que des montages vulgaires contre le gouvernement. Ça ne choquait pas plus que ça, Marlène de voir des choses pareilles, elle avait vu des pages avec un contenu beaucoup plus violent. Quand elle descendit les posts, elle remarqua que l’un d’eux était consacré à la mort de Sarah. L’auteur la qualifiait d’une « suceuse de babouche » et ne cachait pas qu’il était réjoui de sa mort. Les commentaires étaient alimentés par le même genre de messages malsains, irrespectueux. Marlène n’arrivait même pas à ressentir de la colère ou de la haine contre ces gars, elle s’en foutait même si elle ne pouvait que condamner ces comportements déplacés.

La page n’indiquait pas de contact, mais en faisant des recherches plus approfondies sur internet elle parvint à trouver un article du Monde qui avait envoyé un journaliste faire une enquête dans ce groupuscule. Le groupe avait son local à Barèges, un petit village situé dans les montagnes et à presque une heure de route de Lourdes.

Le lundi suivant, la policière prit la route pour se rendre à Barèges. Le soleil de novembre donnait une véritable impression de froid et les montagnes avaient un manteau neigeux encore plus important que fin octobre. Marlène avait tellement froid qu’elle tenait son volant avec ses mains gantées. Elle arriva à l’adresse qu’elle avait trouvée dans l’article. C’était tout simplement un bar comme il pouvait y en avoir dans tous les villages de France, un lieu tout à fait banal. Des hommes rigolaient entre eux en buvant du pastis et de la bière. Quand elle entra, elle se sentit étrangère à cet univers masculin. Le patron du bar demanda « Elle veut quoi la p’tite dame ? » Et Marlène sortit sa carte de police, et l’homme se calma. Marlène lui demanda si c’était possible d’interroger les membres des « Ours des Pyrénées » et le patron l’invita à le suivre et ouvrit une porte dans un sous-sol.


Des hommes d’une quarantaine d’années étaient en train de rire grassement. La salle était peu décorée et avait au milieu une table avec des chaises. Au fond, se trouvaient un canapé et une bibliothèque. Un de ces hommes tourna la tête puis demanda.
- Je peux faire quelque chose pour vous ?
- Oui, je cherche un certain Jean-Pierre Lorrain, répondit Marlène
- C’est moi, qu’est ce que vous me voulez ? Lui répondit sèchement l’homme
- Je viens parce qu’une jeune fille que vous connaissez s’est fait tuer, expliqua la policière en lui tendant une photo de Sarah
- Ah ouais, je la connais cette fille.

L’homme tenait fermement la photo qu’il avait entre les mains, puis la lui rendit.
- J’ai appris la nouvelle dans les journaux, comme avec ces gars ci-présents, expliqua Jean-Pierre en désignant ses amis. Je vais être honnête avec vous, ça me fait juste ni chaud ni froid de savoir qu’elle a crevée, cette connasse.
- Vous auriez une idée de qui aurait pu la tuer en lui découpant proprement un bras ?
- J’en sais rien, je ne connais pas tous les tueurs qui sévissent dans la région ! Rigola-t-il avec les autres hommes.
- Ça vous fait vraiment rire de savoir qu’une jeune femme est morte ? S’indigna Marlène
- Attendez cinq minutes, vous qui êtes policière vous venez emmerder des mecs d’un village des Pyrénées pour une gamine morte à Lannemezan. Pourquoi n’allez-vous pas chercher des racailles de cités qui sont déjà plus susceptibles de l’avoir fait, hein ? Vous voulez prouver aux gens qu’il n’y a pas que des métèques pour tuer des innocents ?
- Écoutez, c’est moi qui pose les questions et évitez moi vos discours racistes, parce que ça peut très bien se retourner contre vous.
- Ça ne répond pas à ma question.
- Je ne suis pas là pour vous répondre, mais pour vous en poser, répondit sèchement Marlène
- Ben, on a rien fait. C’est tout ce que vous vouliez savoir, alors dégagez ! S’exclama Jean-Pierre qui se dressa de sa chaise.

Marlène se dressa et l’incita à s’asseoir. Les hommes de main de Jean-Pierre se levèrent immédiatement puis tous les trois la menacèrent violemment. L’un d’eux chercha à lui donner une gifle et elle esquiva la main. Celui à sa gauche voulu lui mettre un coup-de-poing au visage, elle saisit le poing de l’homme et le tordit au point qu’il s’écria de douleur, puis s’effondra sur lui-même. Jean-Pierre saisissait la chaise pour la fracasser sur le dos de la policière qui cria de surprise en étant projetée sur le mur. Rapidement, elle tenta de se lever, mais l’homme sortit de sa poche un couteau. La policière se tourna au moment où il essaya de se jeter sur elle et avec le talon droit, lui donna un coup de pied dans le ventre.

Rapidement, Marlène dégaina son pistolet et le pointa sur Jean-Pierre qui se tenait le ventre dans les mains. Jean-Pierre se cala contre le mur puis observa cette jeune femme qui continuait à lui pointer son arme. Il se mit à sourire, tout en grimaçant de douleur.
- Je ne pensais pas que tu saurais te battre, encore moins avec des chaussures pareilles, lui dit-il en pointant du doigt sa paire de bottes à talon.
- Et c’est comme ça que vous allez chasser les clandestins, en ne sachant même pas vous battre.
- Tu ne peux pas comprendre notre combat.
- Comment est-ce que vous avez connu Sarah ?
- J’ai fait un jour avec mes hommes une manif contre l’accueil des migrants à Toulouse. Il y avait une bande de crasseux qui manifestaient pour eux. On s’est battus tous ensemble et je l’ai frappé, même au sol. Je me suis fait arrêter par des flics, je suis allé en garde-à-vue et elle a déposée plainte contre moi. Je l’ai su après.
- Et c’est ça qui vous a motivé à la tuer ? Demanda la policière en rangeant son pistolet et en s’asseyant sur une chaise en face de lui.
- Non, bien sûr que non, ce n'est pas moi. Je n’ai rien fait. Vous croyez que je suis du genre à traquer mes ennemis comme ça pour leur faire la peau ? Vous êtes folle ! S’exclama Jean-Pierre.
- On a rien fait, je vous le promets, ajouta l’homme au bras cassé qui se le tenait avec sa main valide
- C’était une conne, c’est tout, renchérit Jean-Pierre.
- Et vous ne lui en vouliez tellement pas que c’est ça qui vous motive à faire ce tableau avec vos ennemis et ces fléchettes plantées dessus ? Demanda Marlène en remarquant le tableau en liège avec les photos.
- Oh, ce n’est qu’un jeu, répliqua sèchement Jean-Pierre.
- Vous avez des passions bizarres, répondit-elle en le regardant toujours par terre.

Marlène décida de remonter, puis tous les trois l’appelèrent. En se retournant dans l’escalier, ils lui firent un doigt d’honneur. Cela l’énerva, mais elle ne fit rien. Quand elle arriva au rez-de-chaussée du bar, des gendarmes étaient présents et lui demandèrent ce qu’il se passa. Le patron et les clients de l’établissement étaient blêmes, inquiets. Le patron la présenta aux gendarmes comme étant « la fouteuse de merde ». De colère, elle saisissait la chope vide d’un des clients et la balança violemment contre un miroir avant d’accepter de se faire embarquer par les gendarmes.

Le conducteur était un jeune homme de vingt-et-un ans qui observa la policière dans le rétroviseur et le passager était un capitaine de vingt-cinq ans. Les deux jeunes hommes ne disaient rien, puis cinq minutes plus tard le capitaine lui dit.
- Faut pas s’énerver contre des tarés comme eux, c’est ce qu’ils cherchent et vous n'auriez pas dû casser ce miroir, ça porte malheur, ajouta-t-il avec un sourire
- C’est ce Jean-Pierre Lorrain qui a commencé à vouloir me frapper, je n’ai fait que me défendre et ses hommes sont venus pour le défendre. Je suis arrivée à les calmer tous les trois.
- Vous êtes flic, c’est ça ?
- Oui, répondit elle.
- Qu’est ce que vous foutez ici ? Demanda le conducteur en commençant à rentrer dans la gendarmerie.

Marlène lui expliqua l’enquête rapidement. Le capitaine la fit descendre, puis lui retira les menottes qui s’étaient enfoncées dans ses poignets. Elles les suivirent puis ce fut le capitaine qui écouta sa déposition.
- On a eu des retours effectivement sur cette enquête. Lorrain serait impliqué dans cette affaire ?
- C’est ce qu’on essaie de savoir, répondit-elle en buvant son verre d’eau
- Ils ont une mauvaise réputation ici et dans un bon nombre d’autres communes des Pyrénées. Tout le monde les considère comme des types vraiment violents et infréquentables, expliqua l’homme en tapant sur son clavier.
- Ils connaissent la victime, ses parents m’ont dit que ce n'était pas impossible qu’ils soient derrière tout ça, car elle a eu des menaces de mort de leur part.
- Ah bon ? Ça ne m'étonne pas d’eux.
- Ils seraient capables de tuer quelqu’un ?
- Non, ce n'est que de la gueule. Ils savent très bien qu’on les surveille donc qu’ils peuvent se faire arrêter si jamais ils ont un appel. On a souvent des appels contre eux. Je ne vous cache pas qu’on en a marre de toujours les voir dans nos rapports, mais on ne peut rien faire.
- Mais si jamais ils tuaient quelqu’un, vous pensez qu’ils arriveraient à couper proprement un bras ? Je veux dire, le faire proprement.
- Ils sont cons comme des balais, ils savent juste publier leur contenu sur internet, mais ça s’arrête là et tant mieux. Ils sont déjà passés plusieurs fois derrière les tribunaux pour incitation à la haine, et même négationnisme, mais ils arrivent toujours à s’en sortir. À chaque fois, ils deviennent plus violents. Ils font un genre de magazine papier qu’ils envoient dans toute la France.
- Et ben, je ne pensais pas que c’était un réseau aussi organisé.
- Je ne peux pas vous confirmer ces rumeurs, mais ils seraient fichés S.
- Comme c’est étonnant, répondit Marlène d’un ton ironique
- Si ça peut vous rassurer, vous avez dû leur foutre la trouille, dit le capitaine avec un grand sourire. Non pas parce que vous êtes une femme, mais parce qu’ils ne sont pas habitués à se faire brutaliser.
- Vous allez donc abandonner les poursuites contre moi ?
- Vous n’avez fait que vous défendre, et vous êtes en pleine enquête, conclua-t-il en se levant de sa chaise.

Marlène l’imita puis lui serra la main. Le gendarme la raccompagna à sa voiture et lui souhaita bon courage. Le patron du bar sortit de la gendarmerie et observa cette femme qui s’était battue quelques heures auparavant dans sa cave. Cela l’impressionnait. Mais ce qui le choquait par dessus tout, dans le fond, c’était qu’une aussi belle femme soit policière et ne fasse pas autre chose. Du haut de son mètre soixante-quinze, Marlène aurait pu devenir mannequin, mais elle avait une maîtrise de droit et s’était engagée dans la police nationale.

Elle ne se considérait pas comme étant une idéaliste, son but n’était pas l’argument bateau de certains de ses camarades qui voulaient simplement faire respecter la loi tout en voulant se démarquer en se faisant passer pour des personnalités les plus honnêtes possibles. Ce qui la motivait dans son métier, c’était surtout d’enquêter et cette histoire de meurtre la faisait sortir de son bureau toulousain.

En reprenant la route pour rentrer à Lannemezan, elle se repassa l’interrogatoire qui avait mal tourné. En prenant du recul, effectivement ce n’étaient pas les « Ours des Pyrénées » qui avaient tués Sarah.

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