Chapitre 6

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Tous les deux étaient rentrés sur Toulouse pour prendre un vol le lendemain matin pour Francfort. En cette soirée de novembre, le temps était maussade. La pluie n’arrêtait pas de tomber, le vent était froid et pénétrant. Marlène invita Laurent à dormir chez lui et le fit rentrer dans une petite maison d’un lotissement de la banlieue toulousaine. C’était suffisant pour elle. C’était une maison de plain-pied avec deux chambres dont une qui lui servait de bureau. Tout était bien rangé et la décoration soignée. Elle retira sa paire de bottes, son invité l’imita. Elle lui proposa une boisson pendant qu’elle se mit à préparer le repas du soir. En même temps elle leur préparèrent de quoi grignoter.

- T’habites ici seule ? Demanda le gendarme en mangeant une poignée de chips.

- Oui, répondit Marlène en sortant deux bouteilles de bière

- C’est fou, ça va faire un mois qu’on travaille tous les deux et on ne connaît rien de nous.

- On aura l’occasion de nous rapprocher à Francfort, hein ? Dit-elle avec un grand sourire

- C’est vrai, répondit-il simplement, on devrait d’ailleurs prendre ce temps pour nous détendre.

- On n'aura pas le temps de visiter la ville, on va peut-être y rester un ou deux jours et ensuite, on rentrera en France.

- Si ça se trouve, on aura des pistes en Allemagne. On a un tueur en série qui a sévi aussi en Belgique, ce n'est peut-être pas si déconnant que ça qu’il soit Allemand.

- Ça ne veut rien dire, répliqua Marlène en haussant les sourcils, d’ailleurs toi qui voulais qu’on fasse connaissance, pourquoi tu veux qu’on continue de parler boulot ?

- C’est vrai, tu as raison. Je ne te cache pas que j’ai parfois de ces envies de quitter mon taf pour écrire des livres ou voyager. Tu vois tellement de trucs glauques que tu peux très facilement t’en inspirer pour écrire un bouquin, t’as pas cette impression ?

- J’arrête dans la majorité du temps des petits dealers de quinze ans qui se prennent pour des caïds, dit-elle en servant les assiettes, moi aussi ça me gonfle d’avoir toujours les mêmes petits cons qui viennent sans arrêt dans mon bureau et qui s’en foute de ça.

- Toi aussi, tu songes à stopper ta carrière pour te lancer dans autre chose ?

- Bien sûr. À la longue ça devient juste lourd ce qu’on fait. Si j’arrêtais mon taf, je pense que je ferais comme toi, je pense surtout que je ferais ma propre boîte sur la sécurité. J’ai déjà vu des gens qui sont venus dans mon bureau en larme après avoir eu leur maison cambriolée, j’ai envie d’empêcher ça à des gens.

- Ah ça, tu as tout à fait raison, ça m’arrive aussi régulièrement d’avoir des cambriolages dans le coin et c’est toujours le même profil qui revient. J’imagine que toi les dealers, c’est exactement la même chose ?

- Oui.

- En tout cas, nous sommes deux à nous faire chier dans notre boulot, si je comprends bien ?

- C’est comme ça. De toute façon, tous les métiers ont leur lot de points positifs et leur lot de points négatifs. Faut savoir trouver du positif dans ce qu’on fait.

- Bien vu. Mais je pense que c’est des phases de remise en question qu’on a, c’est tout. C’est probablement ce que nous vivons tous les deux.

- On a sans doute plus de chances dans nos boulots que certains de nos collègues ailleurs en région, fit-elle en buvant une gorgée de bière

Un petit moment de flottement se fit. Agostini avait l’impression qu’ils avaient des choses en commun, les mêmes désirs. Molinier arrivait à trouver du charme à son collègue gendarme. Mais ils ne savaient pas comment s’avouer l’un à l’autre leurs sentiments. Marlène décida à ce moment de préparer une valise pour le lendemain et prépara le lit de son collègue. Laurent s’adossa à un mur du couloir puis attendit qu’elle sorte pour la regarder puis se lança.

- Je sais que j’aurais l’air d’un con en te disant ça, mais faut que je te le dise. Je t’aime. Je t’ai aimé dès le premier jour où nous nous sommes rencontrés, je t’ai trouvé très bien dès qu’on a commencé à travailler ensemble et je suis heureux que le Destin nous ait réuni, dit-il en s’approchant d’elle.
- Moi aussi, j’ai senti qu’il y avait quelque chose entre nous, répondit simplement Marlène qui n’était pas surprise par cet acte.
- Tu ne le prends pas mal ? Tu n’as pas d’homme dans ta vie ?
- J’ai déjà eu des ex, Laurent.
- Donc tu serais prête à te mettre avec moi ? Demanda le gendarme avec une lueur d’espoir.
- Je pense surtout qu’on devrait prendre du recul quand cette enquête sera finie, dit-elle en s’éloignant de son collègue.

Marlène lui souhaita simplement bonne nuit, puis alla se coucher. Dans le fond, elle savait très bien que c’était sans doute l’homme idéal qu’elle avait en face de lui, mais elle n’avait pas envie que sa vie privée prenne le dessus sur son travail, pour le moment. Ils se réveillèrent le lendemain matin à cinq heures et quart. La pluie continuait de tomber, tous les deux prirent l’un après l’autre une douche puis prirent ensemble le petit-déjeuner. Pendant ce temps, Marlène en profita pour se maquiller. Tous les deux s’habillèrent puis se chaussèrent pour se rendre à l’aéroport.

Ce fut cette fois Laurent qui se mit au volant. Le chauffage et la radio furent allumés. Ils n'avaient rien à se dire, si ce n’était essayer de trouver le bon timing pour se rendre chez leur suspect. Ils passèrent avec succès le contrôle de l’aéroport puis attendirent dans la zone d’attente, à la porte d’embarquement du vol Lufthansa pour Francfort. Laurent observa le peu de passagers déjà présents à sept heures trente dans le terminal. La majorité des passagers était des hommes d’affaires en costume-cravate, déjà scotchés à leur téléphone portable et attendant leur vol Air France pour Paris. De l’autre côté, il y avait ces jeunes gens avec un sac à dos comme bagage qui attendaient impatiemment leur avion pour partir en dehors de l’Europe. Marlène se contenta simplement de lire un livre d’Histoire en remuant nerveusement son pied. Laurent sourit en la voyant plongée dans sa lecture, lui avait l’habitude d’observer les gens et de temps en temps, il écoutait de la musique. L’homme n’osait pas la déranger.

Une heure plus tard, l’embarquement commença. L’Airbus A320 de la compagnie allemande avait déjà les turbines qui tournaient au ralenti, les hôtesses souhaitaient la bienvenue en allemand et ils regagnèrent leur place après cinq minutes d’attente. L’étroit couloir laissait peu de places aux passagers n’ayant pas de bagages cabine. Marlène s’installa côté hublot et observa, en attendant, le ballet des bagagistes et le repoussage de l’appareil sur le taxiway. Quelques instants plus tard, les consignes de sécurité furent données en anglais et en allemand puis les turbines se mirent à rugir et l’avion commença à monter jusqu’à son altitude de croisière. Les hôtesses servirent des sandwichs et une boisson.

- Cette Mme Laborde avait l’air encore ému de la mort de sa fille, dit Laurent pour briser le silence qui régnait.
- Oui, je pense que le souvenir reste encore assez fort, répondit Marlène en détournant le regard du hublot. Il nous manque forcément des éléments de cette précédente enquête.
- J’ai consulté hier des rapports d’enquêtes et d’autopsie. Avant de se faire sectionner le bras gauche, elle a reçu un violent coup sur la tempe droite et sa cheville droite était cassée.
- Et Sarah ?
- Elle a reçu quatre coups de couteau dans le dos avant d’en recevoir un fatal pile dans le coeur. D’ailleurs, les plaies sont profondes. Elle a dû agoniser avant de mourir. Le légiste pense que l’amputation du bras a été réalisée quand Sarah était encore en vie. Il n’a pas trouvé de calmants ou de traces d’anesthésiants dans le sang.
- Oh mon Dieu, c’est horrible comme mort ! Ils ont retrouvé de l’alcool dans le sang ?
- Ouais, et c’était suffisamment élevé pour qu’en cas de contrôle de gendarmerie, elle se fasse suspendre directement son permis de conduire.
- Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi découper un membre. Pourquoi il fait ça ?
- J’en sais rien de pourquoi il y a des types suffisamment pervers pour prendre un certain plaisir à tuer.

Au bout d’une heure quarante de vol, l’Airbus prépara son approche de l’aéroport de Francfort. La pluie était battante sur le tarmac. Par manque de chance, le débarquement se fit sur le tarmac. Marlène courut rapidement s’abriter dans le bus qui emmena les passagers jusqu’au terminal. Quand ils sortirent, Laurent prit une voiture de location à un comptoir Europcar. Il programma l’adresse de Jürgen Voigt qui était à Mayence.

Il leur fallut une quarantaine de minutes pour rejoindre la Lennebergstrasse. Marlène trouvait très joli ce quartier typiquement résidentiel avec ces grandes maisons bien propre et ces allées d’arbres dans toutes les rues. Voigt avait une maison d’architecte. C’était un grand carré blanc avec de nombreuses baies vitrées donnant sur un grand terrain arboré. Une haie et un portail cachaient la plus grande partie de la maison. Quand la policière descendit de la voiture, un homme aux cheveux poivre et sel et vêtu d’un trench-coat sortit par le portail principal. L’homme sentit un regard posé sur lui, regarda la jeune puis contourna un bloc de béton et ouvrit la portière d’une Mercedes gris foncé. Marlène s’approcha, Jürgen lui dit « Vous voulez quoi, mademoiselle ? » en allemand et elle sortit de la poche de son manteau sa carte de police. Immédiatement, l’homme comprit, puis les invita à le suivre pour rentrer chez lui.

Le salon avait une décoration très épurée avec quelques tableaux, un home-cinéma et une étagère en verre avec des CD et une chaîne hi-fi. Voigt leur prépara des cafés, qu’ils burent sur le comptoir de la cuisine américaine.

- Nous venons vous parce qu’on voudrait des réponses pour une enquête dans laquelle vous avez été mêlé en France, déclara Marlène
- Si c’est l’affaire Laborde, je crois que j’ai suffisamment répondu à ces accusations, répliqua Jürgen sur le ton de la défensive, en français. J’ai été accusé injustement d’avoir tué cette jeune fille que j’aimais, qui devait même venir me voir ici et qui n’a pas pu.
- On n'est pas là pour vous faire avouer quelque chose que vous n’avez pas commis, intervint Agostini
- Je suis désolé pour vous, et pour sa famille, mais je ne veux plus jamais entendre parler de cette affaire.
- Il y a peut être des détails qui vont vous revenir, insista Marlène
- Et qu’est-ce que vous voulez savoir ? Vous avez accès aux dossiers, vous savez maintenant exactement ce qu’il s’est passé. Je suis devenu chirurgien depuis ce temps, ça a été très dur pour moi de me faire un nom. Croyez-moi je ne veux pas que ça se retourne de nouveau contre moi.
- Cette nuit du 31 juillet 1986, qu’est ce que vous faisiez avec Joséphine ?
- J’étais avec des amis, nous sommes allés dans un bar et après nous sommes allés dans une boîte de nuit. C’est là où je suis tombé sur cette splendide jeune fille avec ses copines qui étaient en train de danser. Nous sommes allés les voir, elles étaient déjà un peu éméchées et sur le coup de deux heures du matin, on a voulu rentrer, mais avec elles. Elles ont accepté, mais Joséphine voulait rentrer seule et moi j’insistais pour la raccompagner, car j’avais une voiture. Cela n’a pas suffi, je lui ai dit de m’appeler en rentrant, je lui avais donné le numéro de téléphone de la villa qu’on louait, mais jamais ce coup de fil est arrivé.
- Vous êtes sûr qu’aucun de vos amis a voulu rentrer quand même avec Joséphine, qu’il vous ait faussé compagnie ? Reprit Agostini
- L’un d’eux, Uwe Mayer, a couché avec une amie de Joséphine. Si je me rappelle bien de son prénom, c’était Carole Leblanc. Ecoutez, je suis vraiment désolé pour vous de ne pas pouvoir vous aider plus.
- Vous savez où réside ce Uwe Mayer ?
- Il habite Hambourg, ça m’arrive de le voir de temps en temps. Pourquoi cette question ? D’ailleurs, pourquoi est ce que vous êtes venus de France pour me voir ?
- Parce qu’on a trouvé le corps d’une jeune fille mutilée dans une forêt proche des Pyrénées, et cette enquête ressemble à celle de Biarritz et à d’autres qui se sont passées en Belgique. On pense qu’il y a un tueur en série qui rôde. Soit c’est le même qui agit, soit ce sont plusieurs qui s’inspirent du même meurtrier.

Quand ils sortirent de la somptueuse villa, ils décidèrent de se balader dans les vieilles rues de Mayence et le long du Rhin. Mayence leur plaisait énormément, avec cette imposante cathédrale, les berges du Rhin. Ils en profitèrent en fin d’après-midi pour déguster une bière et chercher une chambre d’hôtel pour y passer la nuit. Les deux enquêteurs finirent par improviser un débriefing de l’interrogatoire et tout ce qui avait été dit depuis le début de l’enquête. Voigt avait l’air encore sincèrement bouleversé par cette affaire, ce qui leur laissait penser qu’il était innocent, mais par contre ce Uwe Mayer était beaucoup plus mystérieux.

Le lendemain matin, Agostini lut le rapport d’enquête. Dans sa déposition, Carole Leblanc, confirmait bien être rentrée avec Mayer vers quatre heures du matin après une dernière bouteille dégustée sur la plage, mais après relecture, la déposition de Mayer avait quelques incohérences qui pouvaient facilement le transformer en suspect idéal. Uwe Mayer avait trente ans en 1986. Sa photo montrait un jeune homme aux joues creuses, des longs cheveux blonds descendant sur les épaules et une paire de lunettes de vue semblable à des Ray-Ban avec une monture dorée. Marlène s’occupa cette fois de contacter la PJ de Toulouse qui lui donna le contact de leur service homologue de Hambourg. Elle obtint rapidement l’adresse de Mayer.

A onze heures, ils prirent la route pour Hambourg. Tous les deux se relayèrent pour assurer les six heures de route. La pluie et le vent leur firent un accueil. Mayer habitait dans le quartier d’Altona. Le quartier avait des maisons mitoyennes avec entre les maisons une large bande de pelouse, ce qui donnait l’air d’un quartier résidentiel britannique. Il habitait avec sa famille dans une petite maison en brique rouge à un étage. Par chance, il venait de rentrer du travail. Marlène expliqua les raisons de leur visite et de l’affaire qui avait lieu en France. Uwe ne semblait pas s’en émouvoir, il se contenta simplement de la regarder s’asseoir sur le canapé.

- J’ai toujours le contact avec cette Carole Leblanc, expliqua-t-il en anglais, c’est vraiment une femme charmante. Nous sommes devenus amis, j’ai passé énormément de temps à la consoler quand elle a appris la disparition de Joséphine. Elles étaient amies depuis la primaire, vous vous rendez compte.
- On a remarqué que votre déposition avait quelques incohérences, notamment des heures où vous vous êtes emmêlés. Vous avez dit l’avoir déposé chez elle à quatre heures du matin, mais après vous expliquez que c’était vers trois heures et demie et que ce n’est que vers six heures que vous êtes rentré chez vous, dit Marlène en relisant la synthèse qu’elle avait écrite.
- Ca remonte à trente ans cette histoire, il y a des choses dont je ne me souviens plus.
- Est-ce que vous avez récemment séjourné en France récemment ?
- Oui bien sûr. J’ai fait un vernissage à Nice en octobre et ensuite, je suis retourné à Biarritz.
- Vous êtes allé voir cette Carole Leblanc ?
- Oui, ça faisait trois ans qu’on ne s’était plus vus. Elle doit passer en décembre chez moi.
- Vous avez donc pris une voiture pour vous rendre de Nice à Biarritz ?
- Bien sûr. Vous vouliez que je fasse le trajet à pied, c’est ça ?
- M. Mayer, vous êtes artiste, c’est ça, vous faites quoi exactement ? Demanda Laurent d’un air circonspect
- Je suis sculpteur, j’ai une galerie d’art dans le centre-ville et je présentais une sculpture façon romaine à Nice. J’aime bien refaire des personnalités connues, j’avais présenté une sculpture de votre président, François Hollande. Je l’ai fait voyager à Biarritz aussi.
- On va aller droit au but, est ce que vous avez fait une halte sur le trajet à Lannemezan pour faire ensuite un tour dans une boîte de nuit en roulant dans une BMW ?
- J’ai fait une halte toutes les deux heures comme recommandé, mais je ne suis jamais sorti de l’autoroute pour autant. Je me suis arrêté à Marseille, Montpellier, Carcassonne, St-Gaudens et Tarbes. Seulement sur des aires de repos pour boire un petit café et faire une petite sieste.
- C’était le 21 octobre, n’est ce pas ?
- Oui. Mais j’étais à St-Gaudens vers seize heures.

Les enquêteurs n’étaient pas non plus sur la bonne piste. Ils quittèrent le domicile pour prendre un hôtel proche de l’aéroport de Hambourg. Marlène eut beaucoup de mal à s’endormir dans la chambre de cet hôtel bon marché. Ils ne parvenaient pas à obtenir une piste. Et pourtant, le lendemain elle reçut un appel qui pouvait enfin lui redonner le sourire.

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