« Un voyage de mille lieues commence par un pas. » Lao-Tseu

— Ah… ah bah non, autant pour moi, c’est pas elle.

 Les yeux toujours dirigés sur la sortie de la forêt, Héloïse ne vit pas tout de suite qu’une personne se rapprochait d’elles. Mais son amie, elle, l’avait bien vue. Au début, ce fut la jument qu’Élisa reconnue, il faut dire qu’avec sa capuche sur la tête il était difficile de voir le visage de la cavalière. Avec un grand sourire, Élisa tira sur le bras de sa voisine, et une fois son attention captée elle lui désigna Aliénor du doigt.

— Tu vois, je te l’avais bien dit que c’était aujourd’hui qu’elle viendrait.

 Après un regard malicieux à Héloïse, Élisa donne un léger coup de talon à sa monture et se dirigea droit vers Aliénor. Aussitôt qu’Héloïse vit Aliénor, elle lança Répète au trot, et rejoignit ses deux amies pour réformer leur inoubliable trio.

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— Enfin tu es là ! On commençait vraiment à s’impatienter. Enfin, plutôt moi qu’Élisa.

 Arrivée à hauteur de ses deux amies, Aliénor les dévisagea. Il n’y avait plus aucun doute à avoir, c’était bien Héloïse et sa sublime chevelure fauve. Dommage qu’elle ait décidé de les couper, juste à cause d’un idiot qui les lui a tirés pendant un combat d’entrainement à l’académie. Et à côté d’elle, avec son emblème du temple brodé sur sa poitrine, ce ne pouvait être qu’Élisa.

 De nouveau ensemble, elles posèrent, toutes trois, pied à terre et vinrent se prendre dans les bras pour une embrassade chaleureuse.

— Mais qu’est-ce que vous faites là les filles ? ... C’est l’ordre qui vous envoie pour me ramener ? demanda Aliénor confuse.

— L’ordre ? Oh, non ne t’inquiète pas ! Nous n'avons reçu aucun ordre te concernant, et je parie qu’ils ne sont même pas au courant de notre départ. Non, aujourd’hui nous sommes venu t’aider de notre propre chef . Sourire complice aux lèvres, Élisa pressa doucement les mains d’Aliénor. C’est ensemble que nous avons commencé les recherches, alors il est normal que nous les poursuivions aussi ensemble.

— Oui ! Bien dit Élisa. Nous sommes une équipe et on ne change pas une équipe qui gagne, clama Héloïse en signe d’approbation.

— Mais… Mais comment vous avez su. J'ai tout fait pour que personne ne soit au courant.

 Avec un regard incrédule, Aliénor dévisagea tour à tour ses deux amies. Et c’est Élisa qui lui offrit une réponse.

— Quand la duchesse est venue faire un don au temple, je lui ai demandé pourquoi tu n'étais pas là, toi aussi, puisque vous veniez toujours ensemble pour offrir l’offrande. Elle m’a donc parlé de votre séance de carte, et que cela t’avait beaucoup chamboulée.

— Elle a même été étonnée que tu ne nous en aies rien dit, d’ailleurs. Après cette petite confidence, nous nous doutions que tu allais partir à la recherche de ce grimoire, enchaîna Héloïse.

— Après ça, j’ai contacté Héloïse et nous avons toutes les deux pris la décision de partir avec toi dans ta quête. Pour nous c’était une évidence, cette aventure c’est à trois que nous devons la mener.

 Et pour appuyer ses propos, Héloïse posa fermement ses mains sur celles déjà jointes d’Élisa et Aliénor. Après un bref échange de regard entendu avec ses deux amies, Élisa reprit les explications.

— Te connaissant nous savions que tu n’allais pas rester très longtemps sans rien faire. Mais avant même que nous envisagions de venir te voir, le Vieux Juge nous a averties de ta visite d’il y a trois jours.

 S’avançant d’un pas Héloïse se pencha légèrement vers Aliénor et passa sa mains verticalement contre le coin de sa lèvre. Puis dans un chuchotement en rien discret elle s’adressa à Aliénor.

— Un conseil ma vieille, la prochaine fois que tu envisages de partir en douce, ne va pas rendre visite au Vieux Juge juste avant. Il ne sait pas très bien garder les secrets. Il nous a parlé des motifs de votre entrevue. Et on a trouvé ça suspect que tu veuilles qu’il récolte la larme d’Heaven une semaine en avance. Sans même venir dire bonjour à Élisa en plus.

— Je la rejoins sur ce point, un petit bonjour est toujours le bienvenu. Tu sais, je ne t'aurais pas forcé à m'expliquer ton problème, si tu ne voulais pas m’en parler. Et puis, si tu ne veux pas éveiller les soupçons, ne change rien à tes habitudes, approuva Élisa avec un léger regard réprobateur pour Aliénor.

 Coupable, Aliénor baissa légèrement la tête.

— Désolé Élisa, je…

 D’un geste de la main, Élisa souleva le menton d’Aliénor et la fit taire par la même occasion.

— Ce qui est fait est fait, on ne peut rien y changer. Et on ne va pas y revenir non plus. Je sais que ce n’était pas vraiment intentionnel alors excuse acceptée. Mais s’il te plait, la prochaine fois, vient me voir, j’arriverai peut-être à te remonter le moral.

— Arrêtez les filles, vous allez me faire pleurer. Toutes ses paroles sont trop tendres pour mon petit cœur de guimauve, lança Héloïse avec les deux mains sur son cœur.

 De concert elles se mirent à rire toutes les trois à l’absurdité des paroles d’Héloïse.

— Toi alors, je me demande vraiment où est ton soi-disant cœur de guimauve quand tu t’entraînes avec les chevaliers de ta famille, dit Aliénor entre deux rires.

— Je le range sous mon armure bien sûr. Pourquoi crois-tu que je leur laisse cinq minutes de repos entre chaque affrontement. Et puis où veux-tu que je le mette sinon ?

— Les filles, on s'écarte du sujet là, vous ne croyez pas ? fit remarquer Élisa à ses deux amies.

— Si bien sûr. Heureusement, la sage Élisa est là pour nous le faire remarquer, taquina malicieusement Héloïse.

 Après un regard courroucé de la prêtresse dirigé vers ses deux amies rigolant, le sérieux reprit sa place dans le petit groupe, et la conversation initiale put reprendre là où elle s’était arrêtée.

— Suite à l’intervention du Vieux Juge, nous avons décidé de prendre un peu d’avance sur toi et de t’attendre ici.

— Avant notre départ, hier matin, Élisa lui a demandé un petit coup de main. Il a accepté de nous avertir au moment où tu allais franchir la forêt.

—Et nous voilà, à t’attendre depuis tôt ce matin, trop tôt même si tu veux mon avis, pour partir à l’aventure bougonna gentiment Héloïse. Alors c’est quoi le plan ? On commence par où ?

 Debout devant Aliénor, ses deux amies la fixaient, attendant qu’elle dévoile son plan. Mais Aliénor était trop surprise par la décision qu’avaient prise Héloïse et Élisa pour pouvoir répondre aux questions qu’on lui avait posées. Tour à tour Aliénor dévisagea ses deux nouvelles partenaires de voyage.

 Après le refus d’Heaven, Aliénor s'était préparée à partir seule à la recherche de ce grimoire. À aucun moment elle n’avait envisagé que ses deux amies mettraient entre parenthèses leurs projets et leurs missions pour l'ordre. Pour Aliénor, elles étaient prêtes à venir fouiller tout le royaume à la recherche d’un vieux livre.

—Aliénor ? Aliénor, tu m’écoutes ? demanda Héloïse tout en claquant ses doigts devant le regard absent de son amie.

— Hein… Ah, oui je t’écoute… Tu peux juste répéter la question s’il te plait.

— Décidément tu es irrécupérable. Je te demandais par où nous allions commencer. Au nord dans la ville de l’Antine, au sud dans celle de Suharos, à l’est avec Bornim ou bien à l’ouest avec Waehira la ville du savoir. À moins que tu veuilles commencer par des plus petites villes.

 Confuse, Aliénor dégagea ses mains de celle de ses amies et se mit à triturer la lanière de son sac.

— Honnêtement, je n’ai pas encore décidé du chemin que j’allais prendre.

— Laisse-moi deviner, tu allais laisser Naesis choisir pour toi, je me trompe ? questionna la prêtresse du petit groupe.

— Franchement… oui, totalement. D’une certaine façon, j’espérais qu’il me guide sur le bon chemin. Du coup je pensais emprunter le Viatorem qui avait le moins de voyageurs devant lui. C’est ça mon plan, annonça Aliénor à ses amies avec un sourire incertain aux lèvres.

— Tu en penses quoi Élisa ? Certes, c’est un plan peu conventionnel, mais c’est quand même un plan. Et moi je l’approuve, y a rien de mieux que l’inattendu.

 Sur ces paroles, Héloïse se mit en selle et attendit que les deux autres en fassent de même. Une fois toutes à cheval, les trois jeunes femmes se tournèrent en direction des Viatorem. Un seul portail était vide de tous voyageurs.

— Alors, allons-y, nous aurons le loisir de réfléchir à la suite du plan une fois que nous serons à l’Antine.

— À toi l’honneur, Aliénor, passe devant et ouvre-nous la voie, nous suivrons tes pas proposa Élisa solennellement.

~

 En retrait de ces effusions de bons sentiments, un être, invisible aux yeux de presque tout être vivant, observait la scène la mine sombre. Sa porteuse de pouvoir avait pris sa décision, alors Heaven se devait d’agir en conséquence.

— Et bien, petite fille, on ne t’a jamais dit qu’il ne fallait pas titiller un dragon, souffla-t-elle au vent.

 Heaven s’avança d’un pas, et parmi sa longue chevelure, deux cornes incurvées vers l’arrière se nichèrent de chaque côté de son crâne.

— Aaah..., ma douce, puisque tu refuses d’exaucer mon vœu de ton propre chef, je vais devoir t’y aider.

 Elle fit un autre pas, et la couleur de ses yeux virèrent au violet, quant à ses pupilles, elles, devinrent deux fentes verticales.

— Ne viens pas pleurer sur le fait que je ne t’avais pas prévenue, ma douce enfant.

 Avec un pas de plus, ses dents firent place à des crocs redoutables .

— Car quand j’aurai mis la main sur ce grimoire, je peux t’assurer qu’il n’en restera que des cendres.

 Heaven s’avança encore et dans son dos, elle revêtit les derniers vestiges de sa véritable forme, du temps où elle avait encore un corps fait de chair d'os et de sang. Pliées négligemment, ses puissantes ailes soulevaient, à chacun de ses pas, un léger tapis de poussière.

— Tu es ma dernière chance de lui faire justice, et je ne compte pas la laisser passer.

 Déterminée, elle se lança elle aussi à la recherche de son avenir, adroitement Heaven déploya ses ailes et fit son premier pas aérien dans sa quête solitaire.