Chapitre IX. La ville flottante. 1/2

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« L’art de vivre est de savoir s’ajuster aux changements. » Melki Rish.

 Tout au nord, à une demi-journée de la frontière entre Ostestia et Ebélios, la ville de Draluir était construite sur les berges du lac du même nom. Autrefois petit village de pêcheurs sans vraiment grande importance, elle s’était vite transformée en une ville surpeuplée. Du fait de sa proximité avec la frontière, beaucoup de soldats, en permission, y venaient passer leur temps libre. Pour pallier l’arrivée croissante de monde, le village s'était agrandi sur le lac, devenant ainsi la première ville flottante du royaume d’Ebélios.

 C’est aussi ici, à Draluir, qu’elles avaient décidé de commencer leurs recherches. Cette décision fut prise à leur sortie du viatorem à l’Antine, quand Héloïse suggéra de pousser plus au nord et de rejoindre Draluir. Après une courte réflexion, toutes trois partirent pour le lac de Draluir et sa ville flottante.

 Cela faisait donc deux jours, qu’Aliénor, Élisa et Héloïse, avaient posé le pied dans la première ville de leur périple. Aussitôt après qu’elles eurent trouvé un lieu où se loger, les filles s'étaient tout de suite mises à la recherche de librairies et autres boutiques susceptibles de vendre de vieux grimoires. C’est donc, dans les allées bondées du marché local, qu’elles déambulaient entre les nombreux stands des vendeurs.

 Après avoir demandé conseil au gérant de leur auberge, les trois aventurières s'étaient rendues à la place du marché pour tenter de trouver leur bonheur. C’est donc, devant un étalage de grimoires en tous genres qu’elles s’étaient arrêtées pour commencer leurs recherches du jour.

— Revient ici, gamin ! Rends-moi cette bourse ! hurla Héloïse avant de partir à la poursuite de l’enfant.

 Aussitôt qu’elles entendirent leur amie hurler, Aliénor et Élisa levèrent leurs nez des bouquins qu’elles tenaient. Déjà Héloïse s’était lancée dans une course folle pour tenter de rattraper le petit voleur. Après quelques secondes pour comprendre la situation, les deux jeunes femmes posèrent précipitamment les livres sur le stand et se mirent, elles aussi, à poursuivre le garçon.

— Reviens ici, je te dis ! Elle n’est pas à toi, cette bourse, je te jure, si je t’attrape…

 Sa promesse clamée, Héloïse accéléra de plus belle et manqua de renverser un homme peu disposé à bouger. Derrière elle, Aliénor et Élisa tentaient de la rattraper, mais avec le monde qui continuait d'arriver sur la place, il leur était difficile de la rejoindre. Instinctivement Héloïse ralentit pour que ses amies puissent la rattraper, mais le petit voleur lui continua de se faufiler entre les jambes des adultes et prenait de plus en plus d’avance.

 Incertaine de ce qu’elle devait faire, Héloïse jeta de nouveau un coup d’œil derrière elle. Dans un murmure soufflait par le vent, les paroles d’Aliénor arrivèrent jusqu’à ses oreilles.

— Ne t’occupe pas de nous. Continue de le poursuivre. On s’occupe du reste.

 Aliénor avait un plan, plus besoin de choisir entre elles ou le garçon.

 Sourire carnassier aux lèvres, Héloïse activa son don et se remit à courir de plus belle derrière le petit voleur de bourse. Le souffle de la peur qu’elle avait hérité de son arrière-grand-père lui permettait d’insuffler de la crainte dans le cœur des personnes autour d’elle. Grâce à cette méthode peu orthodoxe, la foule se divisa en deux, lui libérant le chemin. De la place du marché, la course poursuite continua dans la rue principale, qui reliait les parties terrestre et flottante de la ville.

~

 Au-dessus des têtes des passants, un jeune garçon courrait habilement sur les toits. Une flute aux lèvres, il guidait son acolyte au travers des obstacles qui longeaient son chemin. Avec un petit souffle d’air dans sa flute, il joua d’une note et son camarade tourna dans une ruelle au dernier moment.

 Croyant avoir mis son partenaire en sécurité, il ne lui prêta plus aucune attention. C’est sûrement pour ça qu’il ne vit pas la jeune femme tourner elle aussi dans cette fameuse ruelle. Avec un petit ricanement dédaigneux adressé à cette touriste qui croyait pouvoir rattraper son meilleur voleur, le musicien se replaça à son point de départ et se remit à jouer pour un autre camarade et pour une autre victime.

~

  À la minute même où Aliénor prononça son dernier mot, elle et Élisa s’étaient mises en route pour rattraper l’enfant. Leur but était de diriger le garnement dans une partie de la ville moins fréquentée que les autres et de le piéger là-bas. Pour réussir cet objectif, Aliénor se laissa délicieusement glisser dans les méandres de son don. Sa concentration totalement dirigée sur la manipulation de ses pouvoirs, c'est les yeux fermés qu’elle confia à Élisa le soin de la guider à travers la foule.

 Pour ne pas perdre le garçon dans la cité, Aliénor connecta une partie de sa conscience à celle d’un oiseau qui volait à proximité. Avec sa vue aérienne, le merle noir pouvait garder un œil sur l’enfant et sur les ruelles qu’il empruntait. Une fois sûre qu’elle ne le perdrait pas de vue, Aliénor activa son don du vent curieux.

 Ayant une prédisposition depuis la naissance pour la manipulation du vent, il n’était pas difficile pour Aliénor de créer de petites bourrasques à distance. Du moins dans une certaine mesure évidemment. Heureusement la distance qui la séparait du voleur lui permettait de manipuler le vent en toute sécurité, pour la ville et ses habitants ainsi que pour elle et sa santé.

 Pour éviter que le voleur ne s’échappe dans la partie flottante de la ville, Aliénor piégea l’enfant aux abords des pontons. C’est avec assurance qu’elle créa des courants d’air dissuasif devant le garnement quand il prenait certaines ruelles . Le petit manège dura le temps qu’elle et Élisa descendent la rue principale et qu’elles le rejoignent. La tâche n’était pas simple mais avec la bonne dose de concentration c’était faisable.

~

 Essoufflée par la course et par l’utilisation de son don, Héloïse s’arrêta un instant. Ils n’avaient pas arrêté de tourner et de retourner dans les différentes ruelles depuis au moins dix bonnes minutes. À croire que son petit guide improvisé s’était soudainement perdu. Mais maintenant qu’ils se trouvaient à proximité de l'eau, le petit voleur avait l’air plus confiant.

 Devant elle le jeune garçon s’apprêtait à quitter la terre ferme pour emprunter l’un des nombreux pontons qui recouvrait la surface du lac. Son pied ne toucha jamais le bois. Maintenu enfermé dans les airs par une bulle de vent, le voleur fut ramené tranquillement en arrière.

 Toujours suspendu au-dessus du sol, il passa devant Héloïse et vint s'arrêter au pied d’Aliénor et Élisa. Le souffle court Héloïse rejoignit ses amies et, quand la prison d’air se dissipa, elle attrapa fermement le voleur par le bras. Le visage rayonnant de la petite rouquine ressemblait beaucoup à celui d’un chasseur ayant attrapé sa proie. À contrario, la mine crasseuse du petit bandit affichait la peur.

— On fait moins le malin, hein ! Maintenant que nous t’avons attrapé, fanfaronna Héloïse. Allez, maintenant sois gentil et rends-nous la bourse que tu as dérobée à Élisa, demanda-t-elle sur un ton plus sérieux.

 Penaud et honteux, le garçon s’exécuta. Doucement il rendit la bourse vert kaki à sa propriétaire. Avec la confiance d’un coupable pris sur le fait, il fixa droit dans les yeux la prêtresse.

— Il va m’arriver quoi maintenant. Vous allez me dénoncer ?

— Je ne préf…

 Commença Élisa compatissante sur le sort de cet enfant perdu. Mais le sens du devoir d’Héloïse la coupa dans sa phrase.

— Bien sûr que nous allons le faire. À quoi tu t’attendais, tu as volé la bourse d’Élisa. Je t'ai demandé à plusieurs reprises de t’arrêter, tu ne m’as pas écouté. Crois-moi, tu ne vas pas t’en tirer à si bon compte. Allons voir les gardes chargés de l’ordre ici. Qu'en dites-vous ?

— Non ! S’il vous plait pas les gardes.

 Le regard suppliant le garçon dévisagea les trois femmes tour à tour. Il ne devait surtout pas aller au poste de garde aujourd’hui, au risque d’avoir de gros ennuis. Le garde en poste ne lui ferait pas de cadeau, à lui comme à sa mère d’ailleurs.

— Nous pouvons nous débrouiller toutes seules, pas besoin d’aller les voir, proposa gentiment Élisa.

 Voyant le désaccord qui s’installait, Aliénor s’empressa de proposer une solution de conciliation.

— Je propose que nous passions d'abord chez les gardes. Si ce qu’ils proposent ne nous convient pas, on se débrouillera toutes seules. Ça vous va ?

— Bonne idée Aliénor, approuva Héloïse. Je sais où se trouve le poste de garde le plus proche. Quand nous sommes arrivées au marché tout à l’heure nous sommes passées devant.

— Très bien les filles, je vous suis. Mais j'aimerais que vous me laissiez être la seule juge de cette affaire. Si ce que proposent les gardes ne me plait pas, on s’en va. Après tout, c’est ma bourse qu’il a dérobée.

 Avec des hochements de tête, dont l’un pas très enthousiaste, les trois femmes et le jeune garçon, loin d’être rassuré d’ailleurs, partirent en direction du poste de garde.

 Aussitôt qu’ils franchirent la porte du bâtiment, un garde bedonnant les accueillit en rouspétant. Quand Héloïse réclama d’être entendue sur leur affaire, le soldat fit asseoir les trois femmes dans un coin de la pièce et leur demanda de patienter le temps qu’il faut. Quant à l’enfant, il fut placé dans une petite cellule.

 Après plus d’une heure à attendre qu’on veuille bien les écouter, Héloïse craqua. Sa tolérance atteignant sa limite, la jeune rouquine rejoignit avec rage l’homme de loi. La main sur le manche de sa lame courte, elle se racla la gorge pour encore plus attirer l’attention du voyeur. Car pendant tout ce temps, le soldat était avachi sur une chaise et ne se privait pas pour les reluquer du coin de l’œil.

— Ouais ? C’est pour quoi ? demanda-t-il, sourire en coin.

 L’homme ne fit même pas un effort de politesse et continua d’examiner la silhouette d’Héloïse maintenant qu’elle se trouvait devant lui.

— Je sais pas moi ! Peut-être que vous pourriez écouter notre plainte pour ensuite agir en conséquence. En somme faire votre boulot quoi ! suggéra rageusement Héloïse.

 Le garde poussa un soupir amer, et avec nonchalance, il attrapa un petit carnet et un crayon. Les sourcils froncés, les narines dilatées et la mâchoire serrée, l’homme se rassis convenablement et avec un signe de tête plein de suffisance il invita les jeunes femmes à parler.

 Pour que la situation n’empire pas, ce fut Élisa qui expliqua la situation dans laquelle elles se trouvaient.

—C’est pour ça que vous me dérangez ? Vous l’avez déjà attrapé et il vous a rendu votre bourse. Que voulez-vous que je fasse ?

 Le ton arrogant qu'utilisa le garde fit bondir de plus belle Héloïse. Prête à en découdre avec cet homme hautain, elle fut retenue par le bras d’Aliénor, accroché à son coude. Avec son sourire plein de suffisance aux lèvres, il continua son discours provocant.

— J’y peux rien, moi si vous vous êtes fait avoir par un gamin voleur. En même temps, vous l’avez cherché aussi.

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