Interlude 1: Le feu et la glace

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 Le feu craquait dans l'âtre de temps à autres, se sentant seul à animer la pièce. Colombe ne se retournait jamais pour le regarder. Vêtue de draps et de lainages épais pour se protéger du froid, elle s'était assise près de la fenêtre qui donnait sur la route qui traversait le col, menant à Dernolune. Elle avait commencé par continuer un ouvrage de vannerie entamé quelques semaines auparavant. Assez vite, comme chaque soir, elle l'avait abandonné pour égarer son regard dans la nuit et ses pensées là où nul ne pouvait les suivre.

 Roch avait pris l'habitude. Chaque soir, elle tressait quelques minutes avec ses doigts agiles, puis ralentissait peu à peu pendant qu'elle regardait au loin et finissait rêveuse et immobile. Roch, lui, la regardait depuis sa couche et veillait au feu. Il savait qu'elle pensait au jeune seigneur, le cadet Dernéant. Il savait qu'ils s'étaient aimés, avant que leurs familles n'en décident autrement et que le jeune homme ne parte. Lui-même n'avait pas été volontaire pour ce mariage, mais il saurait s'en accomoder. Il avait toujours été célibataire. Cela le blessait de voir celle qu'il peinait encore à appeler sa femme si morose. Aussi, il ne l'interrompait jamais durant ces séances de rêverie. Il avait aménagé sa couche près du feu et lui laissait le lit, trop bien élevé pour insister lorsqu'elle l'avait averti, presque un an auparavant, qu'elle ne partagerait pas sa couche.

 Roch soupira une fois de plus et se retourna de l'autre côté. Bien qu'il respecte et compatisse à la tristesse de sa femme, cette situation lui pesait également. Leur complicité s'émoussait et pâlissait dans les contraintes de ce foyer involontaire. Il prenait son mal en patience depuis un an déjà, mais l'approche de l'Amathuria rendait plus amère encore la tension qui régnait sans que nul n'ose l'aborder.

 Colombe secoua la tête et se frotta les yeux. Elle passait tous ses soirs à repenser à Jal, aux moments qu'ils avaient passé ensemble, à son départ déchirant, à son mariage. Mais depuis quelques temps, elle pensait surtout à la lettre. Visiblement, le seigneur avait pensé à elle et demandé qu'on la salue. Mais Colombe avait écouté aux portes ce qu'on ne voulait pas lui lire. Jal parlait éloquemment d'une dame rencontrée à Lonn. La cueilleuse connaissait suffisamment bien son premier amour pour deviner qu'il était sous le charme. Sa solitude nostalgique en temps normal se teintait de jalousie. Mais elle n'y pouvait rien. Non seulement elle se trouvait à des lieues de lui, mais elle lui était définitivement inaccessible. Elle ne pouvait lui reprocher de tourner son choix ailleurs. Sur une noble lonnoise, par exemple. Colombe venait de perdre son seigneur et cette vérité lui apparaissait avec une évidence cruelle.

 Les souvenirs l'envahissaient régulièrement sans prévenir. Un après-midi où ils avaient occupé la cuisine du château et s'étaient régalés de crêpes. Elle se souvenait avoir volé le goût du miel sur ses lèvres. Une autre fois, elle l'avait entraîné dans son monde, sur les pentes et les adrets des Monts Etoilés. Elle lui avait montré une source claire au coeur des pics acérés. Ils s'étaient baignés, leurs rires roulant sur les pentes, sous un ciel bleu d'une pureté incroyable qui faisait la réputation de cette chaîne. La jeune femme se régalait du regard qu'il posait sur elle.

 Tout cela lui échappait à présent. Une autre femme s'emparait de son seigneur, de ce regard intense et enveloppant. La jalousie l'abandonnait doucement, à mesure qu'elle y réfléchissait, laissant place à un désespoir résigné.

 Le feu craqua plus violemment et elle y jeta un oeil. De toute façon, elle n'avancerait plus son travail ce soir. Roch s'était retourné pour dormir. Le coeur de Colombe se serra. Son mari était déçu, sans doute. Lui non plus ne voulait pas d'elle, au départ. Mais il espérait probablement mieux qu'une épouse qui passait son temps à rêver d'un autre.

 La cueilleuse quitta son tabouret près de la fenêtre et secoua ses cheveux dorés. Puisqu'elle avait définitivement perdu Jal, il ne lui restait qu'à tirer le meilleur parti de sa situation. Elle couvrit le feu avec une grille, pour éviter les incendies. Le bruit tira Roch de sa torpeur qui commençait.

  • Bonne nuit, marmonna-t-il.

 Il ouvrit des yeux ronds comme des billes en voyant sa femme tirer sur le lacet qui retenait son lainage et sa tunique. Les lueurs couraient sur son corps.

  • Mais que...
  • Il est temps que nous partagions la même couche, mon cher mari. Ne crois-tu pas ?

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