Chapitre 14 – Ceux qui regardent sans voir
Lundi matin. Les couloirs semblaient plus étroits.
Je marchais droit, le regard fixe, mais chaque pas était un combat. Il y avait quelque chose dans l’air. Une chaleur étouffante. Les murmures furtifs des collègues, les regards qui se détournent aussitôt que je croise quelqu’un, des sourires forcés, des silences lourdement présents comme des pierres.
La parole du Dr Kambale résonnait encore dans ma tête, telle une onde de choc. Les mots avaient éclaté comme un feu de brousse, envahissant tout sur leur passage, frappant sans pitié. Je savais que tout ce qui venait d’être dit m’avait visé, m’avait mis sous un microscope. Et je ne pouvais rien y faire. Je me sentais comme un bête qu’on observe dans l’ombre.
Je voulais fuir, partir, m’échapper de cet endroit devenu trop petit, trop oppressant. Mais je savais que je n’avais nulle part où aller. La rumeur était déjà là, flottant comme une brume implacable.
Je me suis retrouvé dans l’ascenseur avec une collègue. Un silence lourd entre nous, jusqu’à ce qu’elle brise le silence, la voix basse, presque un murmure.
— Tu sais… tu peux encore nier. Il n’y a aucune preuve, tu n’es pas obligé de le dire.
Je ne répondis pas. Je la regardai. Il n’y avait plus de peur dans mes yeux, seulement de la fatigue. Je n’avais plus la force de cacher la vérité.
Dans la salle de pause, l’atmosphère était palpable. Quand je suis entré, tout s’est figé. Les chuchotements se sont éteints aussi vite qu’ils étaient nés, laissant place à une lourde tension. Et puis, une voix s’est élevée, faussement légère, mais on pouvait y sentir une pointe de moquerie :
— On devrait demander au comité d’éthique si c’est vrai que certains médecins posent des diagnostics… tout en vivant dans le péché.
Des rires nerveux. Des regards furtifs qui se croisaient entre eux. Et moi, en face, en plein centre du cercle. Un silence lourd s’est abattu sur nous.
Lentement, j’ai pris une chaise, l’ai posée devant eux et me suis assis. Ils m’ont regardé, interdits. J’ai levé la tête.
— Vous avez des questions ? Posez-les maintenant. J’en ai marre qu’on parle de moi comme si j’étais une rumeur. Je suis là. Devant vous. En chair, en os. En vérité.
Le silence s’est épaissi. Ils ne s’attendaient pas à ça. Il y avait de la gêne dans l’air. Des visages fuyants, des sourires crispés. Puis, une voix hésitante a brisé la glace.
— Tu veux dire… que c’est vrai ?
Je les ai regardés. Il n’y avait plus de doute, plus de fuite.
— Je veux dire que je suis fatigué de me cacher. Et que si ma compétence vous dérange parce que j’aime différemment, alors c’est vous le problème.
Je me suis levé, les jambes tremblantes, mais le cœur plus léger qu’il ne l’avait été depuis des mois. Les murs, les regards, tout cela semblait soudain si lointain, comme si un voile venait de se déchirer.
Je suis sorti. L’air frais des couloirs m’a frappé. J’ai croisé Adrien au bout du hall. Ses yeux rouges, sa mâchoire tendue. Il m’a regardé, un instant, puis a murmurée :
— Tu l’as dit ?
— Non, pas tout à fait. Mais je ne me suis pas caché non plus.
Il s’est approché, les yeux brillants. Il a posé une main sur mon épaule, et, dans un souffle à peine audible :
— Je suis fier de toi.
Et moi aussi. Pour la première fois, je me sentais fier de ce que j’étais, de ce que je n’avais plus à cacher. Et dans ce petit geste, il y avait une promesse silencieuse, une force nouvelle.
— Moi aussi, j’ai toujours été fier de toi. Mais… maintenant, il faut vivre sans peur. Je ne veux plus avoir honte d’aimer. Même si ça doit me coûter cher.
Il m’a pris la main, discrètement, comme pour me rappeler qu’on était ensemble dans tout cela. Et dans ce geste, j’ai su que peu importe ce qu’il adviendrait, nous serions là, ensemble.
— Alors, on paiera ensemble. Peu importe ce que cela nous coûtera, Jonathan. Ensemble.
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Note de l’auteur
Ce chapitre est celui de l’affirmation de soi. Après le tumulte, après les regards, Jonathan fait un choix. C’est une décision qui ne se fait pas sans crainte, mais il sait désormais que ce qu’il a à offrir est bien plus grand que la peur du regard des autres.
Merci de lire, de voir au-delà des apparences, d’être avec moi dans ce chemin.
— La Voix Qui Écrit
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