Chapitre 10

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« Nos animaux ont disparu ». Ce fut le constat qu’eurent les Chercheurs après plusieurs années d’observations. La faune magique – restes de peuples magiques figés dans un stade d’évolution embryonnaire, ne possédant ni parole ni intelligence, mais bien des capacités et un physique se rapprochant de leurs compères plus civilisés – les avaient supplantés, soit par prédation soit par appropriation de leurs ressources. Cette disparition déclencha un tollé dans le milieu scientifique qui revendiqua immédiatement l’intervention du Conseil Continental : mettre un terme à l’expansion des animaux magiques et protéger les rares espèces indigènes ayant survécu.

Si cette action n’avait pas eu lieu plus tôt, c’est que l’opinion publique gardait encore espoir que les espèces natives s’adapteraient à l’arrivée de cette nouvelle population. Même quand leur présence se faisait plus rare, même quand les Chercheurs publiaient des articles, plus alarmistes les uns que les autres, rien ne changea. D’autres recherches menées sur la flore n’y aidèrent en rien : il fut démontré que la présence de ces nouvelles espèces avait poussé la végétation à muter (cf. Chapitre II). Mais ce fut bien l’impression de « normalité » qui acheva le processus d’extinction. Les informations donnèrent l’impression de ne plus être aussi fraîches au fil des ans et donc finirent par ne plus avoir l’impact escompté. Nous nous laissâmes donc aller à la paresse, regardant d’un œil morne le monde d’alors s’effondrer.

Extrait de La nature et la magie : Essai, Synthèse,

de Charles Gossman


L’Étoile de Minuit, une boutique des plus ordinaires. Sa vitrine amuse les passants avec ses tons pastel. Serviettes en tout genre disposées en des pliages élaborés. Fausses fleurs explosant en pétales. Gourmandises. Généreuses, onctueuses, disposées sous des coupoles de verre telles des bijoux précieux. Elles attirent la jalousie. On les voit, ces chaînes de perles essayer de leur voler la vedette, serpentant entre les présentoirs, surmontant même parfois les cloches transparentes de ces demoiselles, en vain : elles ne dépassent pas le stade de simples parures. Face à ces débutantes déjà apprêtées, prêtes à affronter le regard du monde, elles ne font pas le poids.

Mon regard se perd au milieu de toutes ces pâtisseries. La file d’attente est presque terminée : un dernier client et ce sera mon tour. Mes doigts tâtent à intervalles réguliers la lettre dissimulée dans une des poches de ma veste. Chiffonnant, la pliant de temps en temps aux coins. La commande n°141002180703.


- Voici la somme, comme convenu. Et tu n’as pas intérêt à t’arrêter en chemin !

- Ahah ! Aucun risque, monsieur : je risque même de galoper pour aller toucher ma commission ! Vous savez, c’est pas tous les jours qu’on voit de telle somme passée.

- C’est ça, c’est ça. T’as pas intérêt à toucher à la moindre pièce dedans : souviens-toi de notre contrat ! Je n’hésiterai pas à m’en servir contre toi si c’est nécessaire. Et ta mère en entendra aussi parler, crois-moi ! Ah… les gamins de nos jours, ils ne savent vraiment rien faire de leurs deux mains. Mais bon, ça m’arrange bien pour le coup… Aller, maintenant je dois… Hum ? Oh, tu es là ma petite Sol’. Mais que fais-tu encore levée à cette heure-là ?

- Je… Je n’arrivais pas à dormir… monsieur.

- Encore monsieur ? Ahah, je rêve du jour où tu ne m’appelleras plus comme ça. Viens, je te raccompagne dans ta chambre. Si tu veux, je te lirai même une histoire avant de te border.

Bruits de pas.

- Vous… tu… faisais quoi dehors ?

- Hum ? Ah, ça ! Et bien, disons que… je prépare le monde à t’accueillir comme l’héroïne que tu es !

- … vous dites vraiment des choses bizarres, monsieur.

- Ahahah ! Peut-être bien, mais j’espère que tu les comprendras un jour, plus tard, quand tu seras devenue une grande et puissante jeune femme prête à dominer le monde !

- … je ne pense pas que ça arrivera, monsieur.

- Ahahah !


- Ah…

Soupir.

De nos jours, il est tout à fait normal de faire des achats réguliers par correspondance auprès de son établissement préféré, même si celui-ci se trouve dans une autre ville – avec la rapidité des transports d’aujourd’hui, rien de plus facile et de plus cher. Après tout, déguster ses friandises préférées n’a pas de prix. Un sourire doux et amer à la fois étire le coin de mes lèvres. Par contre, renouveler une commande de manière périodique, y investir toutes ses économies, la moindre pièce que l’on gagne, et tout cela sans jamais rien ramener à manger de sucré à la maison est une autre histoire. Mon humeur s’assombrit.

D’autant plus qu’Oncle Orléo avait en horreur les desserts.

- Voici votre commande. L’Étoile de Minuit vous remercie de votre visite et espère vous revoir bientôt.

Un bref salut avant que la cloche du portillon résonne. Un courant d’air ; la porte s’ouvre puis se referme.

Clac !

Ne reste alors plus que deux âmes dans le magasin. Je m’avance vers le comptoir, impatiente.

- Bonjour, j’ai…

- Excusez-moi, je suis à vous dans un instant.

Coupée court dans mon élan, la suite de la phrase s’évapore dans l’air. Surprise. Confusion dans mon esprit. Je ne pensais pas que les gens de Tarn avait autant de franc-parler ou bien est-ce un cas particulier ? Peut-être doit-elle s’occuper d’une urgence pour la boutique ? J’imagine que dans ce genre de situation je dois me montrer compréhensive et patiente. La suite des évènements me prouva le contraire.

Elle n’est pas sérieuse, j’espère ? Elle n’est pas en train de…

La vendeuse se refait une beauté devant moi. Elle époussette son uniforme, élimine les disgracieux plis s’étant formés pendant la journée. Mais ce n’est pas tout : loin de s’arrêter en si bon chemin, la jeune femme entreprend de se recoiffer. Ses doigts fins replacent des mèches derrière ses oreilles, réarrangent sa frange, s’agitent subitement pour décoiffer le tout. Pour finalement repartir à zéro.

Moi, je suis là, l’attendant patiemment. Une expression que je crois calme sur le visage. Mais à l’intérieur, ça bouillonne. J’enrage, me mords les lèvres pour retenir un cri naissant. Oui, j’endure son petit coup de gloss sur les lèvres, puis de mascara sur les cils en silence. Alors que le temps s’égrène, alors que la vendeuse me présente sur un plateau d’argent son dédain le plus pur. Oui, j’endure tout ça, car… Sourire. Je compte bien lui rendre la pareille.

Finalement, après des poignées excessivement généreuses de minutes, le remue-ménage s’arrête. Se trouvant enfin suffisamment « présentable », la jeune femme relève le menton, son regard de velours effleurant ma silhouette comme si de rien n’était. Ses yeux se posent sur mon visage. La jeune femme m’accueille avec son expression de service.

- Bonjour, en quoi puis-je vous être utile ?

Mais c’est qu’elle persiste en plus ! Tu es sûre de vouloir jouer à ce jeu-là avec moi, ma grande ?

- Ah ! Bonjour. J’aimerais retirer une commande.

- Oui, bien sûr. Pouvez-vous me confier le récépissé ?

Mon sourire s’agrandit.

- Aucun problème.

Je vais me faire un plaisir à pulvériser cette jolie façade polie.

D’un mouvement fluide, sûr, je lui tends la lettre cachée dans ma veste. Son visage toujours aussi poliment figé, la jeune femme la prend, ses doigts fins s’en emparant. Je la dévore du regard. Scrute le moindre changement dans son expression. Je ne manque pas une miette de l’apothéose. L’enveloppe ouverte, son contenu lu, je la vois s’effondrer. Étonnement, surprise flashent dans son regard. Sa bouche s’entrouvre légèrement, comme manquant soudainement d’air. Oui ! Tu la sens, n’est-ce pas ? Cette impression d’étouffer. Tu as fait une erreur. Et ce n’est que maintenant que tu t’en rends compte. Amatrice. Tu m’as sous-estimée, tu m’as traitée comme une banale cliente.

- V-veuillez m’excuser. Je reviens vers vous dans un instant.

Sans un mot de plus, elle s’incline légèrement vers moi, tout de suite plus humble, puis disparaît dans l’arrière-boutique. Déclic. Un battant claque. Un verrou glisse. Silence. Je me retrouve seule en attendant son retour.

Une minute passe.

Puis deux, puis trois.

Pas un autre client ou employé à la ronde pendant ce temps-là. Un silence de mort. Ennuyée, mon regard se tourne vers la vitrine, puis le portillon pour trouver une distraction. Un petit rire m’échappe. J’en ai trouvée une bonne. Comme si elle avait été magiquement retournée, la pancarte qui y est accrochée indique « Fermé » à toute personne venant de l’extérieur. Comme par hasard juste après mon petit échange avec la vendeuse. J’avais donc raison.

En la voyant partir comme ça, on pourrait s’imaginer que cette ravissante jeune femme est allée chercher la commande que je lui ai réclamée dans une quelconque remise typique de ce genre d’établissement. On pourrait… mais ce serait tombé dans leur piège ; cet établissement ne fait pas que dans les pâtisseries.

- Et sans le vouloir, tu as confirmé tous mes soupçons.

Clochette. Un agent chargé de me suivre, reportant le moindre de mes gestes. Probablement plus dangereux que son allure décontractée ne le laisse penser. Et sûrement pas le débutant à la bouche aussi lâche qu’il voudrait bien me faire croire. Sa réaction est la preuve décisive qu’il me manquait. Il est très simple de le comprendre. Jamais il n’aurait réagi de cette façon à ma question pour juste quelques tartes aux pommes et choux à la crème. Non, il y a quelque chose d’autre. Clochette a eu peur à la simple mention de ce lieu. Ce léger écarquillement des sourcils, cette mâchoire qui se contracte. Cette lueur de calcul dans ses yeux. Je les ai tous vus. Même cette pensée éphémère. Celle de m’éliminer sur le champ.

Combiné aux dettes astronomiques qu’Oncle Orléo contractait pour alimenter cette commande, il n’y a plus aucun doute.

- Pardonnez-moi pour l’attente : cela a été plus long que prévu pour retirer votre commande.

Dit-elle les mains vides.

- Si vous voulez bien me suivre. Par…

- La prochaine fois, vérifie tes informations avant de t’adresser à moi comme ça.

Je la dépasse sans un regard, chantonnant presque un air de victoire. Je la devine courbant l’échine, tremblante de peur : son poste tout comme sa vie sont peut-être en jeu en ce moment même, qui sait. cela dépendra de l’importance que ses patrons portent à leur clientèle si spéciale. Soupir joyeux. Ah, que c’est mesquin de ma part de me régaler ainsi de cette petite victoire. Surtout dans un moment comme celui-ci : je ne devrais pas m’attarder aussi longtemps sur une simple vendeuse alors que toutes les réponses que j’attends depuis si longtemps sont à portée de main ! Devant moi, un couloir vaguement éclairé s’étend sans que je puisse en voir le bout. Sombre, peu accueillant. Sans hésiter, je fais un pas en avant. La porte claque dans mon dos.


Ƹ§Ʒ


Du noir.

Partout.

En haut, en bas. À droite et à gauche. L’obscurité me gobe toute entière sans peine. Cligner des yeux n’y changera rien. Le bruit de mes pas me revient en écho. Vaste ne peut être que la pièce autour de moi. Vaste et parfumée. Une odeur doucereuse d’encens embaume agressivement l’air. Pour camoufler une odeur sûrement. Maintenant, de là à savoir laquelle… Mes pas s’arrêtent, mon corps s’immobilise. Il est inutile de continuer à m’avancer : j’ai plus de chance de trébucher que de trouver un interrupteur. Je suis impuissante face à cette mise en scène. Déstabilisation, intimidation, peu importe, je ne peux qu’attendre que quelque chose se passe. Mes yeux se ferment, je me laisse donc aller. Aller à cette odeur presque suffocante dans l’air et aux sons me parvenant. Ma respiration et les battements de mon cœur.

Boum boum !

Régulier, serein. Le calme domine mon esprit. Le temps passe. À quelle vitesse ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je peux affirmer, sans trop me tromper, est que cette obscurité omniprésente est là pour instiller la terreur. Face à ce trou noir, on se retrouve seul face à soi-même. À sa vie, à ses erreurs. Peut-être même au manque de sens de notre existence jusqu’à ce jour. Alors, on succombe à la peur. Celle d’être enfermé, oublié pour toujours, ici, dans cet espace où le raffut de la vie à l’extérieur ne semble n’avoir aucune emprise. N’importe qui d’autre y aurait succombé, avec un peu de temps et de patience. N’importe qui d’autre à part moi apparemment…


- Quand est-ce que je pourrais t’accompagner dehors?

Une voix féminine répond.

- C’est encore bien trop tôt, mon trésor. Je n’ai pas encore fini. Il y a encore tellement de choses à corriger, des décors à poser, des scénarios à réécrire ! Ce monde, dans l’état actuel, n’est pas encore prêt à t’accueillir.

- Mais, je veux voir ce qu’il y a derrière cette porte. J’en ai marre de jouer avec ces… poupées.

- Hum, je comprends. Mais tu sais, c’est pour ton bien que je fais ça.

- Mais je… !

- Je sais que c’est dur pour toi en ce moment : la destruction de ton « amie » Al a dû grandement t’attrister. Je sais que tu y étais très attachée, moi-même j’ai mis beaucoup d’efforts et de travail à la créer, mais elle ne convenait pas à l’héroïne que tu es censée devenir. Il fallait donc s’en débarrasser, tu comprends, n’est-ce pas ?

-…

- Allons bon, encore un peu de patience, ma poupée. Je vais t’en faire une autre et tu verras, tu vas beaucoup rire et pleurer avec elle. Appelons-la… Allie cette fois. Ça te va ?


Mes sourcils se froncent. Ce souvenir…

Frrr !

Ma tête se retourne en direction de la source du son. Les fracas de mon cœur en arrière fond.

Boum boum ! Boum boum !

Shhhh !

Une autre respiration me parvient. Lourde, sifflante. Si faible, ou plutôt si basse, que je ne l’avais pas remarquée jusqu’à maintenant. Fébrile, je l’écoute plus attentivement. Elle est trop lente pour être humaine.

Frr !

Sursaut. Mes yeux se rouvrent, cherchent désespérément le propriétaire de ce souffle dans le noir. Même si je sais que cela est vain.

Frrrr !

Quelque chose de géant se met en mouvement dans l’obscurité. Frottement, glissant sur le sol, je la sens venir vers moi. Soudain, une surface écailleuse frôle mes doigts. Léger tressaillement. La créature passe tout près de moi. Sur son passage, le souffle qu’elle crée agite mes cheveux. Frisson. Elle est immense.

Je ferme les yeux et tente de me concentrer. Ce n’est pas le moment de paniquer. Avec calme, analyse la situation. Détermine la nature exacte du danger.

- Et tire !

J’enfouis ce souvenir au fond de mon esprit. Il est temps de mobiliser toutes les ressources à ma disposition.

Un son régulier dans son déplacement : la créature n’a donc pas de pattes.

Des écailles : il s’agit d’un reptile.

J’estime sa longueur d’au moins quinze mètres de long.

La réponse me vient spontanément : un reptile de classe Titan. Une Vipériche ou un Sonnetton.

Mon oreille se tend, ma respiration se fait plus discrète. Il ne me manque plus qu’un seul élément décisif : le son d’un hochet sifflant.

Frr !

Mais rien ne vient satisfaire ce critère. Seul ce frottement lisse et lent peut être entendu. Une Vipériche donc.

- Je suis impressionnée par votre sang-froid.

Soudain, comme un voile qui se lève, la lumière inonde la pièce. Aveuglante. Brûlante. Même les paupières fermées ne diminuent en rien la douleur. Je cligne furieusement des yeux, tente d’éclaircir ma vision. Quand j’arrive enfin à les rouvrir correctement, mon regard n’est accroché ni par la propriétaire de la voix ni par la Vipériche toute proche. Mais bien par un vitrail géant.

Prenant pour cadre cette vaste pièce, seules de fines structures de fer le retiennent au plafond. En courbes, en lignes. Des milliers et des milliers de petits panneaux de verre coloré s’assemblent dans cette œuvre démesurée, dessinant la silhouette d’une bête mythique. Un phénix aux plumes aux couleurs de l’arc-en-ciel. Ses ailes majestueuses s’élancent, grandes ouvertes, vers le ciel, prêt à s’envoler. Voilà la source de toute cette lumière : elle s’écoule en rai multicolore depuis ces fines vitres. Effleurant le sol, s’éparpillent telle une flaque lumineuse. Flou. De cette incroyable créature mythique ne reste alors qu’un motif vague à mes pieds, se mouvant au gré des rayons la créant. Hypnotisant.

Mais ce n’est pas le moment de m’émerveiller. Le souffle de la Vipériche me caresse la joue. Mon regard se pose alors sur elle. Grande et majestueuse. Ses écailles blanc givre se parent des vibrantes couleurs éclairant la pièce. Tressaillement au bout de son nez légèrement cornu. Elle me renifle. La tête de l’animal magique ne se situant qu’à une poignée de centimètres de ma tête. À cette distance, il m’aurait été aisé de la regarder droit dans les yeux, si seulement elle en avait. Nées aveugles, grandissant avec des défenses sortant de leurs cavités oculaires, les Vipériches ont par nature un odorat sensible. Et, en temps normal, un tempérament extrêmement agressif. Le souvenir d’une odeur me chatouille le nez. Un de mes sourcils s’arque.

- J’espère que vous avez une bonne réserve de ces bâtons d’encens. Sinon, je n’ose imaginer les dégâts qu’elle pourrait faire dans les rues.

- Oh, mais il n’y a aucune inquiétude à avoir de ce côté-là : nous ne manquons pas de stock. Et, même si c’était le cas, Mémé n’est pas aussi violente que vous pouvez le croire.

Mon regard se tourne vers la propriétaire de la voix. Une adolescente. Ses cheveux roux flamboyant comme semblant flotter autour de son visage constellé de taches de rousseur. Un petit ange. Je la découvre, toute souriante, assise sur son bureau. Ses doigts ne cessant de faire tourbillonner un stylo à leur bout. Enjouée, l’air naïve. Une image trompeuse.

- Par ailleurs, je tenais à vous présenter mes excuses les plus plates pour le comportement de mon employée. Sachez que ce genre de comportement n’est absolument pas représentatif de nos services.

- Je l’espère. Comme accueil, j’ai déjà vu mieux.

- Je vois que j’ai affaire à une rigolote.

L’adolescente saute de son bureau et par petits bonds me rejoint. Ses yeux bleus, presque transparents, plongent dans les miens. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Une impression désagréable me traverse. Comme si soudainement mon âme était mise à nu.

- Mais il faut bien le dire : des nouveaux arrivants, cela n’arrive pas tous les jours. Encore moins quand on sait que les régulations des zones de travail sont d’autant plus strictes de nos jours. La grande majorité de la population vit et meurt dans celle qui l’a vu naître.

Son visage se rapproche du mien. Ses yeux brillant d’une curiosité vorace.

- Alors, est-ce une mutation exceptionnelle ou bien une fuite désespérée qui vous a menée jusqu’ici?

Ma gorge est râpeuse, ma salive difficile à avaler. Mais je ne me laisse pas déstabiliser.

- Je trouve que vous posez beaucoup de questions inutiles.

Sourire figé. Le stylo entre ces doigts tournant presque frénétiquement. Finalement, la jeune fille recule de quelques pas.

- Veuillez pardonner mon impolitesse : j’étais simplement curieuse, mais, vous avez raison, ceci n’est pas la raison de notre rencontre. Je me nomme Midona et voici Méridith, ou Mémé comme vous préférez, ma Vipériche. Enchanté.

Gracieuse, précise, elle effectue devant moi une révérence parfaite avant de poursuivre :

- Pour tout ce qui sera lié à votre commande, c’est à moi qu’il faudra se référer. Vous êtes venue pour en retirer une, c’est bien cela ? La numéro 141002180703, si je ne m’abuse. Ah, celle de ce bon vieux Dorlémon, je vois.

- C’est cela…

- Notre compagnie a donc signé un contrat de confidentialité avec ce cher monsieur et le temps a prouvé que nous pouvions lui faire confiance.

Mon cœur tremble, mon esprit est troublé à ce dernier mot. Mais je ne dis rien.

- Nous en arrivons donc à aujourd’hui où vous, mademoiselle Solfiana Dorlémon, affiliée au Chercheur Orléo Dorlémon par adoption, nous demandez de vous restituer le fruit d’année d’investissement de ce très cher client sans aucun papier prouvant sa volonté de vous transmettre tout ce dur labeur. Alors, répondez-moi franchement, pourquoi devrais-je vous faire confiance ?

Du bout de son stylo, la jeune fille me pointe de manière menaçante. Disparu son sourire, son air enjoué. Ne reste qu’une expression glaciale. Indifférente. Les poils de ma nuque se hérissent. Mais ce n’est pas tant changement de ton qui me donne la chair de poule, mais bien la réalisation qui me frappe soudain : la Vipériche est dans mon dos. Mes yeux se lèvent dans sa direction. Sa gueule grande ouverte, prête à fondre sur moi.

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