1.3    Pour un brin de folie.

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Sur le coup, l’affirmation de Hydna rafraichit mon ardeur. Mais je ne suis pas venu jusqu’ici pour me contenter d’un refus. Je décide donc d’insister.

  • Ecoutez mes amis, si je suis là aujourd’hui c’est parce que depuis quelques temps je reçois des appels à l’aide de mes amis d’Eilifuis. Je suis sûr que ce ne sont pas justes des rêves, ils ont besoin de moi !
  • Sache Harold que même si nous le voulions, nous ne pourrions pas prendre le risque de tenter de te renvoyer là-bas, me répond l’ancienne.
  • Hydna a raison complète Enkidu, c’est techniquement impossible. Rien ne dit que les éléments qui t’ont conduit aux Etats la première fois t’y ramèneraient. Le risque est double, un petit écart dans la composition même du substrat que nous avons utilisé peut t’amener dans un tout autre lieu, mais aussi dans un tout autre temps. Par ailleurs, nous ne savons pas comment tu réagirais à deux voyages consécutifs.
  • Les voyages successifs ne doivent pas poser de problème, lui objecté-je. Télémaque en a déjà fait plus de trois mille et il est toujours revenu.
  • Oui, mais Télémaque est immortel or toi tu ne l’es pas ! Non, crois-moi, il faut que tu oublies cette idée, elle n’est pas réaliste !
  • Mon premier voyage était-il réaliste lui ? Quand vous me l’avez proposé n’ai-je pas eu du mal à l’accepter ? N’est-ce pas un brin de folie qui m’a poussé à l’accepter. Alors je vous le demande, ce brin de folie, accordez le moi une nouvelle fois ! Je suis prêt à signer toutes les décharges que vous souhaitez, mais ramenez moi là-bas.
  • - On nous a déjà fait ce genre de demande, reprend l’ancienne. Mais nous avons toujours refusé car les voyages auxquels vous accédez, vous les avez déjà en vous. En 1861 quand, encore inconnu du public, Jules Verne a franchi les portes de notre boutique du quartier du Temple à Paris, il rentrait d’un périple qui ne l’avait pas conduit plus loin qu’outre-manche et en avait tiré un récit assez médiocre. Avec nous, il a pu voyager de Zanzibar jusqu’à Saint Louis du Sénégal et en à tiré son premier roman "Cinq Semaines en ballon". Quelques temps plus tard, il est revenu nous voir pour que nous l’emmenions dans une autre aventure. Comme pour toi, nous lui avons fait comprendre que nous ne pouvions pas réitérer l’expérience et que, faisant appel à son imagination et à ses connaissances, il était capable de concevoir de nouveaux romans extraordinaires. Ce qu’il a fait avec le succès que tu connais.
  • - Il est de même pour toi, reprit Enkidu, tu n’as pas besoin de nous pour déployer le talent que tu as en toi. Nous t’avons juste permis de faire éclore tes dons et maintenant, tu dois les cultiver par toi-même. Nous ne pouvons plus rien pour toi.

À l’écoute de ces réponses, je ressens un mélange de fierté et de perplexité. M’entendre comparer à un si grand écrivain me semble très exagéré mais me flatte quand même. Cependant, ma motivation première n’est pas d’écrire un second récit, mais bien de venir en aide à mes amis. Aussi je fais une dernière tentative :

  • Vous avez probablement raison. Mais ce voyage je ne veux pas le faire pour moi-même, mais pour répondre à un appel pressant. Si je ne retournais pas là-bas, j’aurais l’impression d’être en état de non-assistance à personne en danger et je m’en voudrais toute ma vie.

Les deux immortels s’apprétent à me répondre, sans doute pour confirmer leur refus, mais à cet instant, Télémaque qui jusqu’à présent ne s’était pas exprimé, vient à mon secours :

  • Je pense que Harold a raison. Moi aussi ces dernières nuits, j’ai entendu ces appels. Et c’est la première fois que cela m’arrive. Il ne s’agit donc pass de sa part d’une démarche personnelle, mais bien d’une réponse à une demande pressante. Nous devrions donc l’aider à retourner sur place pour répondre aux demande d'aide de nos amis des Etats. Personnellement, je l’accompagnerais volontiers.

Il est évident que Hydna et Endiku ne s’attendaient pas à cette intervention du jeune immortel et se regardent d’un air interloqué. Peu après Hydna entame une conversation avec ses compères dans une langue que je ne peux comprendre, probablement du grec ancien.

Rapidement cette conversation s’anime et, si au départ Télémaque semblait seul contre les deux autres, il réussit progressivement à convaincre Endiku qui me parait maintenant aller dans son sens. Enfin, au bout de sept à huit minutes, celui-ci prend la parole :

  • Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous sommes disposés à renouveler la tentative. Mais il faut bien que vous preniez tous les deux conscience que ceci est extrêmement risqué et que vous pouvez très bien louper votre cible.
  • J’assume ce risque, réponds-je. Je ne peux pas ne pas le faire.
  • Et moi aussi, complète Télémaque. Nous allons repartir pour de nouvelles aventures. C’est super !

Hydna n’a toujours pas l’air convaincue et douche notre enthousiasme :

  • Eh les garçons, pas si vite ! Réfléchissez un peu ! Que se passerait-il si avec les éléments du premier voyage, je vous renvoyais au même endroit et au même instant ? Vous pourriez vous retrouver avec des doubles de vous-même ! Comment réagiriez-vous ? Mais aussi, comment les autres réagiraient-ils ?
  • C’est une bonne question, réponds-je. Mais à priori l’autre fois, nous ne sommes pas rencontrés donc pourquoi cette fois ci le ferions-nous ?
  • Tu as raison, reprend Hydna. Mais la première fois il n’était pas question d’un double voyage et nous n’avons aucune garantie que cette éventualité ne puisse se réaliser. Nous ne pouvons pas en prendre le risque.
  • Mais alors que faire ? demande Télémaque.
  • Je pense qu’il me suffit de changer très légèrement les proportions des ingrédients, cela devrait suffire à vous transporter en un lieu et un temps différents, mais pas trop quand même. Au moins espérons-le !
  • Espérons surtout que la dérive ainsi engendrée ne nous mène pas très loin de notre destination initiale, dis-je. De toute façon, nous n’avons pas le choix, il faut risquer le coup.
  • Si vous êtes sûrs de vous, alors allons-y conclut Endiku.

Télémaque récupère alors le strelitzia et la phlox dans la pièce voisine alors que Endiku s’empare des flacons d’aigue marine et d’œil de tigre. Il transmettent les gemmes et les simples à Hydna et celle-ci part aussitôt confectionner le précieux mélange qui nous ouvrira les portes de notre voyage.

De mon côté, il me faut peu de temps pour dénicher Le voyage botanique de Joseph Pitton de Tournefort au Levant et y retrouver la gravure du Mont Ararat.

  • Nous avons donc tout ce qu’il nous faut, annonce alors Hendiku. Allons rejoindre Hydna dans le laboratoire.

Nous nous enfonçons donc dans la boutique et, comme la première fois, je prends une douche aseptisante et enfile une tunique blanche. Me voilà prêt pour le grand saut.

Je retrouve les trois immortels dans l’atelier qui a lui aussi, la même configuration que celle du 5, rue de l’Egalité. C’est donc sans hésiter que je passe de l’autre côté de la paroi de verre et dépose le livre sur le lutrin, ouvert sur l’illustration de la vue depuis les trois Eglises.

Télémaque me rejoint après avoir récupéré les deux flacons confectionnés par Hydna et après avoir caché la petite fiole dans son vêtement s’apprête à briser la plus grande.

  • Attendez, s’exclame Endiku, Télémaque prenez ceci, cela te sera sûrement très utile, dit-il en me tendant le traducteur automatique que m’avait offert Sjókoma lors de mon départ d’Eilifuis.

La vue de cet instrument que je pensais perdu me réconforte et je réponds par un signe positif à la demande de Télémaque qui veut savoir si je suis prêt.

Celui-ci fait aussitôt sauter le bouchon du flacon permettant à la poudre pourpre de se propager dans la cabine.

Pour la troisième fois, je perds conscience dans les bras de Télémaque. Me voici probablement parti pour mon second voyage aux Etats des Saisons Eternelles ! Du moins c'est ce que j'espère !

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