2.1 La forêt pourpre.
A mon réveil, je suis surpris de ne pas sentir les doigts de Télémaque dans mes boucles. Aurait-il changé depuis deux ans ?
Ouvrant les yeux, je comprends qu’il est trop occupé pour cela. Il court de droite et de gauche en agitant les bras et poussant de grands cris roques. Descendant mon regard jusqu’à ses talons, je constate qu’il chasse une multitude de bestioles à poil roux.
Ce n’est que parce qu’ils bougent que je les devine car la nature décline ici toutes les variantes de rouge que l’on peut imaginer, depuis le orange jusqu’au mauve. Aucune autre couleur n’est visible.
Nous nous trouvons au milieu d’une forêt pourpre peuplée de plusieurs essences d’arbres aux troncs tirant eux aussi sur le rouge. Leurs feuilles arborent des livrées sanguines ou orangées et portent des grappes incarnates et de gros fruits carminés. Au raz du sol, la végétation couleur brique affiche des fleurs écarlates, roses ou encore orangées. Le sol lui-même est tapissé d’argile corallin. Un petit ruisseau à l’eau couleur de rouille se faufile au milieu des bois.
Une cacophonie de chants d’oiseau, de brâme de cerf, de vent dans les hautes branches emplit l’atmosphère. De temps à autre, des crépitements et des bruits de branches qui s’effondrent font penser qu’un incendie se propage non loin.
Je me redresse et aussitôt Télémaque me crie d’un ail affolé :
- Nous ne pouvons pas rester là, c’est trop dangereux ! Il y a là un chemin, il doit mener quelque part, suivons le mais ne nous attardons pas ici.
Aussitôt il se met à marcher d’un pas rapide et il me faut forcer le pas pour le rejoindre :
- Sais-tu où nous allons ? lui demandé-je. Je ne vois pas le soleil et n’ai aucune idée de l’heure. Je ne sais donc pas dans quelle direction nous avançons.
- Non, je t’avoue n’en avoir aucune idée. Mais je n’aime pas cet endroit. Il est sinistre et en plus il ne donne l’impression d’être observé.
Effectivement, je commence aussi à ressentir cette sensation troublante. Voulant en avoir le cœur net, je décide de m’arrêter pour observer attentivement notre environnement. Dans cette profusion empourprée, je ne distingue rien qui puisse confirmer notre pressentiment. Télémaque se charge de me rappeler à la réalité.
- Harold, tu fais quoi là ! Magne toi, je te dis qu’il ne faut pas rester là !
En une petite dizaine de foulées, je le rejoins et lui fais part de mon échec à débusquer des observateurs. Trop pressé d’avancer, il ne me répond pas. Je tente néanmoins de relancer la conversation sur un sujet qui me tracasse.
- Lors de notre premier voyage, nous n’avons rencontré aucun paysage comme celui-ci. Nous n’avons pas traversé toute la planète des saisons éternelles mais a aucun moment nous n’avons vu un site aussi uniformément rouge. Est-il possible que nous n’ayons pas été ramené dans le même monde ?
- Je n’en sais fichtre rien, me répondit mon compère. Comme Hydna te l’a dit, nous n’avions jamais tenté de ramener quelqu’un sur les lieux d’un voyage. C’est une grande première. Mais il n’est pas sûr que cela marche. Deux ans se sont écoulés depuis notre premier périple et nous ne savons pas réellement comment fonctionne la projection dans le temps et l’espace. Peut-être sommes-nous très loin d’Eilifuis, de Sour et de Niesl.
- Pourtant, il faut que nous les rejoignions, comme moi, tu as entendu leurs appels, nous ne pouvons les laisser en détresse.
Je vois alors Télémaque me regarder avec une expression d'embarras :
- Harold, je te dois la vérité. Cela ne m’arrive jamais, mais pour toi j’ai transgressé une règle que j’avais toujours respectée jusqu’à ce jour… J’ai menti devant Hydna et Endiku... Je n’ai reçu aucun appel de détresse, toi seul les a perçus !
Je sens une profonde et subite colère monter en moi :
- Mais pourquoi ? Pourquoi ce mensonge ? Et si tu n’as pas entendu ces suppliques, alors que dois-je penser de celles que moi j’ai perçues ? Sont-elles le seul produit de mon imagination ou ont-elles réellement été émises par Sour et les siens ? Je ne sais plus, je suis perdu … Et tout cela du fait de ton mensonge ! Pourquoi ? Dis le moi !
- Tout simplement parce que j’ai vu que tu voulais absolument repartir et cela pour une raison qui semblait juste. Je savais que si je ne disais rien, les deux autres n’auraient jamais accepté de tenter l’opération. Alors la seule solution pour forcer le destin était de prétendre moi aussi, avoir été appelé. Et cela a marché. Donc tu devrais me remercier plutôt que de m’engueuler. Après tout, si on est ici c’est parce que tu l’as voulu !
- Ici ! Où ici ! Ni toi ni moi ne savons où nous sommes, nous voilà dans de beaux draps et tout cela à cause de ton mensonge !
Pris par la colère, mais aussi sans doute par l’incompréhension de notre situation, je me tais et rumine des pensées négatives. Télémaque, sans doute abasourdi par ma fureur, avance l'ai buté. Puis petit à petit, la tension baissant, je dois bien admettre que notre situation n’est pas si critique que cela. J’ai pu constater qu’à tout moment il nous était possible, à condition de rester ensemble, de rentrer, alors pourquoi ne pas aller plus loin et découvrir là où nous sommes réellement ?
- Excuse-moi Télémaque, je n’aurais pas dû m’emporter ainsi, j’ai été stupide. En fait je dois te remercier de m’avoir permis de faire ce nouveau voyage et nous verrons bien où il va nous mener.
- Pas de problème, me répondit mon ami. Je te connais un peu maintenant, je savais que cela n’allait pas durer. Et puis je suis si content de voyager une nouvelle fois avec toi. Alors cela vaut bien un petit mensonge !
- N’empêche que maintenant il faut savoir où nous sommes et où nous allons dormir la nuit qui vient. Donc ne trainons pas …
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