2.2 Guidés par la meute
Cela doit bien faire maintenant trois heures que nous marchons sans discontinuer dans cette forêt où le rouge nous agresse de toutes parts. De temps à autre, le couvert végétal s’entrouvre et nous pouvons apercevoir un ciel bleu pâle traversé de nuages ocres semblables à ceux que j’avais pu voir lors des grands incendies de l’été deux-mille-vingt-trois. Cette vision ne nous rassure pas vraiment. Par ailleurs, il n’est pas possible d’apercevoir de lune. J’aimerais temps voir deux petits satellites, mais rien, du moins, rien que je puisse voir.
Contrairement à ce qu’avait pensé Télémaque, nous ne risquons rien des petits animaux poilus qu’il chassait à mon réveil. Ceux-ci nous accompagnent tranquillement et nous font une escorte qui grandit progressivement. J’ai même l’impression qu’ils nous ouvrent la route en déblayant tous les obstacles qui pourraient entraver notre avancée.
Au premier abord, nonobstant leur couleur rouge, ils font penser à des chiens de prairie, d’autant qu’ils se positionnent souvent sur leurs pattes arrière pour observer leur environnement. Mais ils ont des bras beaucoup plus longs et des mains dotées de six doigts extrêmement agiles. Du fait de cette particularité leur course est très particulière car leur dos fait un angle de près de 45 degrés avec le sol. Ceci est diablement pratique lorsqu’ils doivent sauter un obstacle car alors c’est de leurs quatre membres qu’ils donnent l’impulsion suffisante à leur faire franchir de hauts et longs obstacles. Les plus grands font de l’ordre de trente centimètres de haut, à ce stade il ne nous est pas possible de distinguer mâles ou femelles.
Il semble qu’un chef mène la troupe. On l’entend de temps en temps émettre de longs sifflements aigus et parfois un cri grave mais bref qui a pour effet de resserrer les rangs autour de nous. Régulièrement, sur un aboiement de son leader, la troupe marque une pause et tous se positionnent sur leurs arrières-trains à humer l’air. Dans ces moments, le meneur tourne autour du groupe et sans prévenir s’élance dans la direction qu’il a choisi, aussitôt suivi par la meute, mais aussi par nous même qui, sans nous concerter, avons décidé de leur faire confiance.
Ce spectacle est à la fois merveilleux et angoissant car il semble répondre à une stratégie qui nous dépasse. N’y tenant plus, je confie mes interrogations à mon compagnon :
- Télémaque, as-tu, dans un de tes voyages, déjà vu un comportement aussi surprenant de la part d’animaux sauvages ?
- Non, je t’avoue que c’est la première fois que je suis confronté à une telle chose. A vrai dire, cela m’effraie un peu. Mais je ne vois pas ce que nous pouvons faire.
- Ce sont eux qui décident du chemin que nous devons prendre. Il y a quelques minutes, j’ai vu plusieurs sentiers se croiser et ils n’ont pas hésité, ils ont dégagé le chemin qui était à notre gauche alors que ce n’était pas celui qui était le mieux défini. Ceci est particulièrement étrange. Je ne vois rien qui puisse nous aider à comprendre cette situation.
- Tu as raison, Harold. Il y a donc plusieurs explications possibles : Soit ce sont des animaux extrêmement altruistes qui cherchent à nous aider, un peu comme les dauphins dans nos mers, soit ils sont éduqués pour guider les hommes, comme le seraient des chiens de secours, soit enfin… Ils ont de mauvaises intentions à notre égard et nous entrainent dans un piège d’où nous aurions peu de chance de sortir.
J’avais bien envisagé ces trois hypothèses. Le fait que Télémaque ait abouti aux mêmes conclusions que moi ne me rassure pas vraiment car ne connaissant pas la réalité de notre situation, il nous est impossible de statuer sur la conduite à tenir. En fait, nous n’avions pas le choix.
- A y bien réfléchir, repris-je. Je pense que nous ne pouvons que leur faire confiance. S’ils sont bienveillants, c’est en les suivant que nous sortirons d’ici.
Mais dans le cas contraire, nous ne connaissons absolument pas la région et nous risquons de nous perdre de façon définitive dans cet enfer pourpre. Et d’ailleurs, nous laisseraient-ils nous enfuir ? Donc continuons avec eux, mais restons sur nos gardes. - Effectivement, ton raisonnement est juste. Mais surtout restons bien ensemble s’il nous fallait actionner notre solution de repli.
- Ok, faisons comme cela. Depuis que nous sommes ici, je n’ai rien ressenti qui viendrait de Sour ou de son neveu. Cela m’inquiète car pour l’instant rien ne dit que nous ayons atteint notre objectif. Je vais essayer de les appeler, s’ils m’entendent ils pourront nous conseiller sur l’attitude à tenir.
- Excellente idée. Vas-y, Essaie de les joindre.
Afin de pouvoir me concentrer, je m’arrête et fais semblant de boire de l’eau. Je me recentre et focalise toute mon énergie pour envoyer un message télépathique :
- Bonjour, ici Harold, j’ai bien reçu les appels au secours du Major Sour Veusar et de son neveu Niesl. Je suis revenu en compagnie de Télémaque et je cherche à les joindre. Nous sommes actuellement dans une zone de forêt rouge que nous ne pouvons pas situer. Si, qui que vous soyez, vous recevez ce message répondez moi et informez le major Veusar à Eilifuis. D’avance merci.
N'ayant plus l’habitude de la télesthésie, et ayant voulu y mettre le plus d’énergie possible, cet appel m’a épuisé et je me retrouve dans l’incapacité de reprendre immédiatement le chemin. Je m’assois avant de chuter.
La troupe arrêtée autour de moi semble s’interroger sur mon sort. Ses rangs s’ouvrent et le dominant vient se poser face à moi. Son regard me surprend, je le trouve d’une grande tendresse et il semble affecté par ma défaillance. Bien que je sois persuadé qu’il est incapable de me comprendre, je tente de le rassurer :
- Ce n’est rien, juste un coup de fatigue et dans cinq minutes, nous pourrons reprendre notre marche.
Il semble néanmoins rassuré et sur un signe de sa part, deux membres de la troupe se rapprochent et me tendent de gros fruits rouges semblables à des grenades. D’un geste le chef m’incite à les manger et aussitôt je croque dans le premier.
Je ressens alors un incroyable flux d’énergie descendre dans ma gorge et s'écouler dans mon estomac et, sur le champ, je suis prêt à repartir. Je me relève donc et nous nous remettons en route.
Petit à petit, l’obscurité s’infiltre dans la forêt et la nuit s’installe. Arrivée au milieu d’une large clairière la meute se fige et chacun de ses membres commence à creuser un large réseau de tunnels. Il devient évident que nous allons passer la nuit ici, mais pour nous, pas question de creuser de terrier. Je lève les yeux au ciel, des myriades d’étoiles y scintillent, mais aucune lune ne vient éclairer la voute céleste. Et je n’ai reçu aucune réponse à mon appel !
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