Chapitre 2 : La Sorcière de l'Infinie, Partie 3

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J’ai failli m’évanouir. Oubliant ma gêne, je me suis agrippé de toutes mes forces à Gwenaëlle en poussant un cri de terreur. Nous étions debout, immobiles au milieu du vide, coincés entre le ciel et la terre… laquelle se trouvait à des centaines de mètres en dessous de nos pieds !

  • Ne t’inquiète pas, Morgan, voulut me rassurer Gwenaëlle qui me prit dans ses bras à la manière d’une princesse. Je ne laisserai pas quoi que ce soit t’arriver.

Malgré la panique, j’ai eu le temps de remarquer que la sorcière me tenait fermement sans efforts apparents… et pourtant elle était plus petite et plus menue que moi. D’où lui venait cette force extraordinaire ?

« Tu le fais exprès d’être aussi lent, Morgan ? » s’exclama une voix moqueuse dans mon esprit. « C’est de la magie ! Pendant combien de temps vas-tu continuer à te voiler la face ? Ouvre les yeux ! ».

  • Fais-nous descendre ! ai-je exigé en fermant les yeux pour tenter de maîtriser ma panique.
  • Tu peux descendre quand tu veux. Tu ne tomberas pas, Morgan.

J’ai entrouvert les paupières à nouveau, croisant le regard calme et assuré de Gwenaëlle. Ma peur s’évanouit subitement, balayée par la confiance que je lisais dans les yeux de ma sauveuse. Gwenaëlle m’avait déjà sauvé la vie auparavant, et depuis mon réveil elle n’avait eu que ma santé à l’esprit… Alors si elle m’assurait que je ne risquais rien, je savais qu’elle disait la vérité. Je sentais… j’étais sûr qu’elle tiendrait parole.

« Tu ne tomberas pas, Morgan ».

Prenant une profonde inspiration, je me suis dégagé de ses bras pour poser un, puis deux pieds au sol... Enfin, façon de parler puisque ce dernier était toujours à des centaines de mètres en-dessous de moi ! J’aurais dû chuter sous l’effet de la gravité… mais pourtant j’étais bien là, debout au milieu du ciel, les mains dans celles de Gwenaëlle, mes yeux plongés dans les siens.

Nous étions littéralement en train de marcher sur le ciel.

Un fou rire m’a envahi, bientôt imité par celui de Gwenaëlle, qui se mit à m’entraîner dans une incroyable valse au-dessus du château de Gawain et de son magnifique lac. C’était incroyable à quel point le monde paraissait petit, vu d’en haut !

J’étais complètement nul en danse (j’ai failli trébucher au moins une bonne dizaine de fois), mais heureusement ma partenaire était bien plus adroite. Elle veillait à corriger ma trajectoire en alliant douceur, force et souplesse, à chaque fois que j’étais sur le point de nous faire basculer. Je me suis laissé diriger avec plaisir, gagné par l’euphorie de toucher le ciel.

J’avais pris l’avion une seule fois dans ma vie étant enfant, et à ce moment-là j’avais eu l’impression d’être Superman dominant la Terre. Mais ce que je ressentais à présent était d’un tout autre niveau… Envolées, mes inquiétudes concernant ma future carrière, mes maigres finances… Disparus, les souvenirs douloureux qui hantaient mon passé. Ces contraintes n’existaient pas ici. A ce moment-là, j’avais l’impression d’être libre…

Plus libre que je ne l’avais jamais été.

  • Alors maintenant est-ce que tu crois en la magie, Morgan ? me lança Gwenaëlle, hilare.
  • Je crois que je commence à l’envisager ! ai-je répondu sur le même ton. Mais j’ai du mal à croire que tout ceci n’est pas un rêve !

Notre valse finit par ralentir, puis s’arrêter totalement alors que Gwenaëlle, d’un sourire, m’invitait à lâcher ses mains pour marcher seul au-dessus du vide, me laissant tout le temps de me rendre compte qu’effectivement je ne rêvais pas.

  • Alors tu es bel et bien une sorcière, ai-je soufflé en observant le lac loin en dessous de mes pieds.
  • Je t’avais bien dit que j’étais sérieuse. Quoique je comprends aisément ton scepticisme, Morgan. Ce n’est pas comme si nous étions légion. Après tout il ne reste plus que… deux sorcières au monde.
  • Si peu ? m’étonnai-je. Que s’est-il passé ?
  • Une petite… divergence d’opinion qui s’est transformée en conflit planétaire.
  • Pardon ?

Gwenaëlle claqua soudain des doigts, et nous nous retrouvâmes à nouveau sur la terrasse circulaire qui surplombait le lac.

  • Je te raconterai l’histoire une autre fois, me promit-elle avec une ombre dans le regard, avant d’ajouter d’un ton plus joyeux. Alors mon cher Morgan ; as-tu d’autres défis à me lancer ?

Enthousiasmé par ce que je venais de vivre, j’allais lui demander ce qu’elle pouvait faire d’autre, quand en me relevant j’ai remarqué que ma chemise de nuit penchait dangereusement sur l’une de mes épaules, menaçant de découvrir ma poitrine… Cette poitrine que je n’avais pas vingt-quatre heures plus tôt, et qui me rappelait à quel point ma situation était toujours aussi nébuleuse… Mon enthousiasme retomba d’un coup.

  • Pourquoi est-ce que je suis comme ça ? ai-je demandé à Gwenaëlle d’un ton redevenu méfiant.
  • Sublime ?
  • Dans un corps de femme ! C’est… c’est toi qui m’as changé en femme, n’est-ce pas ? Tu as utilisé ta magie, je suppose ?
  • Est-ce que c’est vraiment important ? demanda la sorcière en haussant les sourcils.
  • Un minimum, il me semble ! ai-je protesté avec indignation. La dernière fois que j’ai regardé ma carte d’identité, il n’y avait pas de « e » à Morgan ! Vingt-quatre heures plus tôt, j’étais un homme, et maintenant…
  • Vingt-quatre heures plus tôt, tu étais presque mort.

Ce rappel me fit l’effet d’un coup de massue. Depuis le début de notre conversation, Gwenaëlle et moi avions soigneusement évité d’aborder le sujet de mon agression… mais voilà maintenant que mon hôtesse décidait d’aborder le cœur de toute cette intrigue : ma guérison, ma transformation en femme, et mon arrivée ici à Gawain. Les trois étaient liées, c’était une évidence. Mais si Gwenaëlle détenait toutes les réponses, elle semblait réticente à me les donner. Je me suis alors demandé si ses tours de magie n’avaient pas eu pour but de détourner mon attention afin de retarder cette discussion qui, à en juger par l’expression de mon hôtesse, risquait fort de me déplaire.

  • -uand j’ai volé à ton secours, j’ai tout de suite vu que tu n’allais pas survivre, poursuivit-elle. La lame avait transpercé ton cœur, et tu avais déjà perdu trop de sang… Ton destin était scellé.
  • Mais je suis toujours en vie, ai-je objecté après un instant de silence malaisant. Ça veut dire que mon destin n’était pas si scellé que ça.
  • Parce que je suis intervenue, rectifia Gwenaëlle. Je t’ai sauvé la vie.

Je me suis rappelé ce qu’elle m’avait dit sur les sorcières : « elles défient la réalité et façonnent le monde selon leur bon vouloir »…

  • Tu m’as sauvé avec ta magie, j’imagine ? ai-je lancé d’un ton légèrement tremblant.
  • Pas exactement…
  • Comment ça, « pas exactement » ? Tu as dit que j’avais eu mon… cœur transpercé, et que j’allais mourir. Tu as forcément dû utiliser ta magie sur moi pour me sauver ! Guérir les blessures, c’est dans tes cordes, non ?
  • Oui, mais…
  • Alors pourquoi après m’avoir soigné, je me suis retrouvé changé en femme ? C’était quoi, ça ? Une petite farce de ta part ? Parce que je t’avoue que je ne suis pas vraiment fan de…
  • Morgan… Ce n’est pas ce que tu crois, m’interrompit Gwenaëlle d’un ton hésitant. Si j’avais pu te rendre ton apparence après t’avoir soigné, je n’aurais pas hésité à le faire. Mais je n’avais pas le choix… Mes pouvoirs sont puissants, certes, cependant ils n’ont aucun effet sur ton corps. Ma magie ne pouvait ni te soigner, ni te changer… enfin plutôt te rechanger en homme.

L’explication me prit tellement de court que je fus réduit au silence. Je venais d’être témoin de la puissance magique de Gwenaëlle… et j’étais presque sûr que ce que j’avais vu n’était qu’une fraction de ses réelles capacités. Je peinais même à imaginer que quelque chose lui soit impossible !

  • Mais… tu es bien capable de soigner ou d’utiliser tes pouvoirs sur d’autres êtres vivants, non ? ai-je repris.
  • Sans problème.
  • Alors… pourquoi est-ce différent pour moi ?

À ma grande surprise, Gwenaëlle se mit à rougir violemment, comme si j’avais commis un impair. Bien qu’étonné par sa réaction, je n’ai pas hésité à pousser davantage pour obtenir une réponse concrète :

  • Est-ce que c’est en rapport avec mon âge ? Mon âme ? Mon… mon sang peut-être ? Est-ce que j’ai du sang de sorcière dans les veines ?
  • Hum… Eh bien ce n’est pas si loin que ça de la réalité, admit Gwenaëlle en retrouvant sa contenance avec un haussement de sourcils, comme si ma perspicacité l’avait étonné. Mais ce n’est pas la raison de ton état. Une sorcière peut très bien se retrouver soumise à la magie d’une autre si elle fait preuve d’inattention. Alors même si tu comptes des sorcières parmi tes ancêtres, cela ne te rendrait pas insensible à la magie pour autant.

Je l’ai regardé une fois de plus avec stupeur, réfléchissant à ce que cela impliquait. Ma mère m’avait appris dans un de ses rares (trop rares, malheureusement) moments de gentillesse que le nom de mon père, Laufey, venait de la fée Morgane qui était une célèbre sorcière de la mythologie arthurienne (et accessoirement, une méchante digne des plus grands Disney). Quel était le lien, me demanderez-vous, entre la Morgane Laufey du passé et moi, Morgan Laufey du présent ? Et bien apparemment, ma famille paternelle descendait en ligne directe de cette célèbre sorcière. Une légende que bien entendu le clan Laufey s’était plût à propager (sauf au temps où les chasses aux sorcières étaient courantes) pour accroître sa réputation. Ah, et oui, ma mère s’était bel et bien sentie inspirée par cette histoire au point de m’appeler Morgan (sûrement un pied-de-nez supplémentaire à mon père indigne qui avait dû lui faire cette confidence pendant leur aventure). J’avais toujours traité cette histoire comme un conte de fées, mais maintenant que je savais que les sorcières et la magie existaient… elle devait au moins contenir une part de vérité.

Retrouvant l’usage de la parole quelques secondes plus tard, j’ai décidé de laisser de côté cette question pour me concentrer sur l’essentiel, l’interrogation qui me brûlait les lèvres :

  • Alors si tu n’as pas utilisé tes pouvoirs pour me sauver la vie et me changer en femme… comment cela se fait-il que je me retrouve… comme ça ? ai-je lancé d’un ton incrédule. J’aurais dû mourir… et dans mon corps d’homme !

Gwenaëlle inspira profondément, comme si elle se préparait à m’annoncer une nouvelle explosive.

  • Tu te rappelle ce que je t’ai dit tout à l’heure sur le fait que les sorcières avaient quasiment disparues ? me demanda-t-elle finalement d’un ton prudent.
  • Tu as dit qu’il ne restait plus que…

Je n’ai pas pu finir ma phrase, car une idée commençait à germer dans mon esprit tandis que les éléments se connectaient enfin entre eux. Ma transformation, les sorcières, le fait que Gwenaëlle ne pouvait pas utiliser ses pouvoirs sur moi mais m’avait pourtant sauvé d’une mort certaine… Cela ne pouvait vouloir dire qu’une chose.

  • Je crois que tu as compris, s’aperçut Gwenaëlle. Effectivement, tu étais dans un état tellement grave qu’aucun élixir, médicament ou opération n’aurait pu te sauver. Sans mes pouvoirs, il ne me restait qu’une solution pour te garder en vie… et même si je savais que c’était dangereux, c’était aussi ton seul espoir. Alors j’ai forcé la main du destin… et j’ai transformé ton corps pour te permettre de survivre. Tu m’as demandé pourquoi tu avais été changé en femme… c’est à la fois vrai et faux, Morgan. Ta transformation en femme est un simple symptôme de ta mutation… et non sa finalité.

En tremblant, j’ai porté la main à ma poitrine, ressentant le besoin impérieux de sentir battre mon cœur… ce cœur qui avait été transpercé, et qui à présent me paraissait complètement étranger. L’immensité de ma transformation venait de me frapper dans toute sa gravité.

  • Il ne reste plus que deux sorcières au monde, ai-je murmuré en me rappelant les paroles de Gwenaëlle.
  • C’est exact, confirma cette dernière. Je suis la première… et tu es la deuxième.

A suivre...

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