Chapitre 3 : Loin de chez moi, Partie 2

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  • Pourquoi veux-tu partir ? m’interrogea-t-elle d’une voix à la fois irritée et blessée.
  • Euh… parce que ma vie est à Paris, et qu’il faut que je rassure Freddy et JB avant qu’ils n’alertent le ministère de l’intérieur sur ma disparition. Si mes avis de recherche se mettent à circuler, mon père risque de m’attaquer en justice pour m’obliger légalement à changer de nom, histoire que j’évite de l’humilier… Il n’en a pas le droit, mais cela ne l’empêchera sûrement pas d’essay…
  • Tu ne peux pas partir.

J’ai levé les yeux vers mon hôtesse, laquelle ne semblait plus si bienveillante, ni même aussi assurée… Gwenaëlle paraissait avoir peur de quelque chose.

  • Eh bah il se trouve que si, en fait, ai-je répliqué, d’un ton dur que j’ai très vite regretté quand j’ai vu une ombre de tristesse voiler le regard de la sorcière. Il faut que je reprenne ma vie… et mes amis se font du soucis pour moi ! Je dois…
  • Tes amis ? Tu travailles avec eux, Morgan. Ce n’est pas ce que j’appellerai de l’amitié…
  • Ça n’est pas parce qu’on travaille ensemble qu’on ne peut pas… Et puis ça ne te concerne pas, en fait, ai-je réagi en haussant un sourcil indigné. C’est ma vie privée !
  • Je t’ai sauvé la vie, il me semble ! rétorqua Gwenaëlle.

Je l’ai observé un instant sans répondre, intrigué par son soudain changement de comportement. Quelques minutes plus tôt, nous avions dansé dans les airs au-dessus de son château, et il semblait qu’elle n’aurait reculé devant rien pour m’aider. Mais à présent… elle semblait froide, distante… presque hostile.

  • Écoute, ai-je commencé d’un ton conciliant. Je te remercie vraiment pour m’avoir sauvé la vie. Mais… ma vie justement, il faut que je la reprenne, maintenant. Je ne peux pas rester là indéfiniment !
  • Et pourquoi pas ? m’interrogea la sorcière, impassible. Qu’est-ce qui te retient, au juste ? Bien sûr, ta vie est là-bas… mais tu n’aimes pas cette vie, Morgan. Des millions de gens sont dans le même cas… Seulement toi, tu as la possibilité de dire non à ce destin prévisiblement fade qui t’attends. Tu as la chance d’être immortelle, quasiment invincible…

Gwenaëlle inspira profondément, puis m’adressa un sourire enjôleur :

  • Je peux t’apprendre à manipuler tes pouvoirs, Morgan, me proposa-t-elle. Tu pourrais plier la réalité à ta volonté et obtenir tout ce que tu veux… Tu pourrais vivre ici pour l’éternité, sans jamais avoir à te soucier de rien. Je t’offre un avenir radieux… Il ne tient qu’à toi de le saisir.

L’idée était tentante… vraiment tentante. Si j’étais capable des mêmes miracles que Gwenaëlle, je me voyais bien revenir donner une petite leçon à mon père… en coulant le conglomérat Laufey par exemple.

Mais est-ce qu’honnêtement, j’en avais envie ?

A la rigueur, l’idée de racheter le Stade Toulousain pour que Freddy et JB puissent enfin posséder le club de leurs rêves me tentait plus. Cependant le simple fait de songer à utiliser mes « pouvoirs » (que du reste, je doutais encore de posséder), que ce soit en bien ou en mal, me faisait peur. Toute ma vie, j’avais appris à rester discret, à me fondre dans la masse. A cause de mon ascendance, je me faisais déjà assez remarquer comme ça, et je savais d’expérience que la différence était bien souvent un défaut… En tout cas pour ma part, ça n’avait pas manqué de l’être. Et si je revenais à Paris avec les pouvoirs d’une sorcière, vous pouvez être certains qu’on rallumerait les bûchers rien que pour moi…

  • J’avoue que c’est tentant, ai-je admis après un instant de réflexion. Mais ce que je veux, c’est simplement vivre tranquillement sans faire de vagues. Rien de plus. Ces pouvoirs… je n’en veux pas. Alors, merci pour ta généreuse proposition, mais je vais rentrer chez moi.
  • Dans le corps d’une femme ? ironisa Gwenaëlle. Les humains te prendront pour une folle et t’interneront. Personne ne croira que tu es Morgan Laufey.
  • Freddy et JB me croiront, ai-je rétorqué. Et ils m’aideront à m’en sortir.
  • Ils font des pizzas, Morgan, pas de nouvelles d’identités… Que crois-tu qu’ils pourront faire pour t’aider à reprendre ta vie ? Je vais te le dire : absolument rien. Ce qu’il t’es arrivé… les humains ne le comprendront jamais. Moi si. Nous sommes pareilles.

Je m’apprêtais à répliquer que… Que quoi, au juste ? Gwenaëlle avait raison. J’avais beau me bercer d’illusion, la réalité était que Freddy et JB, malgré toute leur bonne volonté, ne pourraient pas faire grand-chose pour m’aider à reprendre ma vie d’avant. J’allais devoir me débrouiller seul.

Sentant ma détresse, Gwenaëlle se rapprocha doucement de moi et posa ses mains sur mes épaules en m’envisageant avec un petit sourire réconfortant.

  • Tu le sais au fond de toi, Morgan, susurra-t-elle d’une voix douce. Je suis la seule qui puisse t’aider…

Ses yeux lilas étaient si captivants que je n’arrivais pas à en détacher le regard, comme s’ils aspiraient toute mon attention. Autour de moi, le reste du monde disparut. Plus rien d’autre n’avait d’importance, hormis les yeux de Gwenaëlle, le visage de Gwenaëlle, les lèvres de Gwenaëlle… Subjugué, je me suis lentement penché en avant, attiré comme un aimant par la sorcière. Comme si elle répondait à mon appel, Gwenaëlle se leva légèrement. Brusquement, la douceur qui habitait son regard disparu, remplacée par une avidité difficilement contenue qui glaça, alors que nos lèvres n’étaient qu’à quelques centimètres de se rencontrer enfin. Gwenaëlle parut sentir mon hésitation, et une étincelle de sauvagerie s’alluma dans son regard. Ses doigts qui enserraient toujours mes épaules se crispèrent alors pour m’attirer doucement mais fermement vers elle.

Un frisson parcourut mon corps. Sans réfléchir, je me suis brutalement arraché à l’étreinte de Gwenaëlle pour reculer de plusieurs mètres, la respiration haletante.

  • Que se passe-t-il, Morgan ? me demanda-t-elle d’une voix inquiète, mais je lisais dans ses yeux une pointe de colère qu’elle n'arrivait pas à cacher entièrement.

Je n’ai pas répondu tout de suite, tentant de calmer les battements affolés de mon cœur. Cette sauvagerie que j’avais aperçu dans son regard… C’était comme un chasseur qui s’apprête à tuer sa proie !

  • Je… Je… ai-je balbutié, incapable de formuler une phrase cohérente.

Quelque chose n’allait pas. Lorsque je l’avais rencontré, Gwenaëlle me semblait gentille, attentionnée… mais cette froideur qu’elle avait dégagé quand j’avais mentionné mon envie de partie, sans parler de cette agressivité lorsque nous allions nous… Et puis d’ailleurs, comment cela se faisait-il que nous étions sur le point de faire ça, alors que nous étions en train de nous disputer juste avant ? C’était comme si j’avais été ensorcelé, attiré comme un aimant par ses lèvres si désirables…

Je me suis secoué intérieurement, puis j’ai inspiré profondément pour chasser l’attraction surnaturelle que la sorcière exerçait encore sur moi. Il y avait quelque chose d'anormal dans mes réactions… sans parler des siennes. Je n’avais plus l’impression d’être un invité ici, mais plutôt… un moucheron, pris dans la toile d’une grosse araignée qui n’attendait que le moment de me manger tout crus. Il fallait que je me reprenne et que je me rappelle la précarité de ma situation : j’étais dans un lieu inconnu avec une mystérieuse sorcière aux pouvoirs surpuissants, et rien n’indiquait que ses motivations soient parfaitement désintéressées…

Car Gwenaëlle m’avait certes sauvé la vie… mais elle avait aussi changé irrémédiablement mon corps, sans parler du fait qu’elle semblait m’avoir espionné une bonne partie de ma vie en cachette. J’ignorais pourquoi elle agissait ainsi, mais une chose était certaine : je ne pouvais pas lui faire confiance.

  • Je veux… Je veux rentrer chez moi, ai-je affirmé d’un ton encore un peu tremblant, cependant plus ferme.

L’expression soucieuse de Gwenaëlle durcit aussitôt.

  • Je t’ai déjà dit que… commença-t-elle.
  • Je me moque de tout ça ! ai-je éclaté. Je ne veux pas rester ici ! Je rentre chez moi, peu importe ce qui m’attend là-bas… et n’essaye pas de m’en empêcher !
  • Mais Morgan, je suis ton… Je suis dans ton camp, s’adoucit la sorcière en m’observant avec inquiétude.
  • Dans mon camp ? ai-je répété d’un ton sarcastique. Tu as avoué que tu passais ton temps à m’espionner… Tu m’as enlevé contre ma volonté, et tu m’as imposé ce… ce corps que je voulais pas !
  • C’était le seul moyen de te sauver !
  • C’est toi qui affirme ça ! Mais comment puis-je être certain que tu me dis la vérité ?

Gwenaëlle sembla surprise par l’intensité de ma voix, et resta un instant sans réponse.

  • Si tu me laisses un peu de temps, je pourrais te montrer que je te dis la vérité, tenta-t-elle finalement de m’amadouer avec un nouveau sourire enjôleur. Quand tu commenceras à maîtriser tes pouvoirs, tu verras que…
  • Non, l’ai-je immédiatement arrêté en secouant la tête. Je ne veux pas entendre tes excuses. Je veux juste rentrer chez moi.
  • Mais… et ta vie ? Ton apparence ? me lança mon hôtesse en désespoir de cause. Comment feras-tu…
  • Je me débrouillerai. J’ai toujours réussi à me débrouiller jusqu’à présent. Alors, merci pour tout, mais je vais… rentrer à Paris.

Le sourire de Gwenaëlle se tordit en une grimace de panique, puis de colère.

  • Je ne te laisserai pas rentrer chez toi, déclara-t-elle plus froidement.
  • Je ne te demande pas ton avis, ai-je répliqué en me dirigeant vers l’arcade d’où j’étais venu. Inutile de m’accompagner, je trouverai bien la sortie tout seul. Mais si jamais tu veux bien m’indiquer la direction de Paris, j’apprécierais beaucoup !

A vrai dire, j’avais dit ça sur le ton de l’ironie, et je m’attendais à ce qu’à tout instant un mur de flammes ou je ne sais quoi d’autres me bloque le passage. Vu l’hostilité que Gwenaëlle manifestait à l’idée de mon départ, j’étais certain qu’elle ne me laisserait pas partir comme ça…

  • Très bien.

Surpris, je me suis retourné vers la maîtresse des lieux, qui arborait un sourire narquois.

  • Très bien quoi ? ai-je répété, méfiant.
  • Si tu veux rentrer chez toi, je ne t’en empêcherai pas, me répondit-elle en haussant les épaules. Libre à toi d’essayer.

J’ai dressé l’oreille. Qu’entendait-elle par « essayer » ? Et pourquoi avait-elle l’air si confiante, alors que quelques secondes plus tôt elle semblait résolument déterminée à m’empêcher de quitter le château.

  • Et comme je suis gentille, je vais même te montrer la direction de Paris, annonça Gwenaëlle en se dirigeant vers la terrasse couverte. Viens, je t’en prie ! Je vais t’aider à prendre le bon chemin.

Méfiant, je lui ai emboîté le pas jusqu’à la rambarde de la terrasse surplombant le lac. Là, la sorcière tendit le doigt vers le nord, en direction des montagnes lointaines dont elle désignait le sommet.

  • Paris est dans cette direction ? ai-je relevé d’un ton incrédule, avec une pointe de désespoir (je n’étais pas forcément chétif, mais je n’étais pas non plus un sportif, et l’idée de devoir traverser une immense chaîne de montagnes me faisait assez peur…).
  • Oh non… répondit malicieusement Gwenaëlle, ses yeux brillant d’amusement. Paris est un peu plus haut que cela, Morgan…

J’ai tiqué une nouvelle fois. Un peu plus haut ?

C’est alors que je me suis aperçu que le doigt de la sorcière ne montrait pas, comme je l’avais d’abord cru, le sommet des montagnes. Il visait le ciel au-dessus… et en particulier quelque chose qui, dans ce ciel bleu sans nuages, apparaissait un peu plus clairement à l’horizon quand on se concentrait dessus…

  • Tu te moques de moi ? lançais-je en me tournant vers Gwenaëlle avec agacement. Maintenant tu veux me faire croire que Paris est sur la Lune ? Je m’y connais un minimum en géographie, je te signale !
  • Ce n’est pas la Lune, Morgan.

Sa réponse me fit l’effet d’un coup de massue. Saisi d’un sombre pressentiment, je me suis à nouveau penché sur le rebord de la terrasse en mettant ma main en visière afin de détailler l’astre que j’avais remarqué juste avant. Je l’avais pris pour la Lune, parce c’était cette dernière que j’étais habitué à voir dans le ciel lorsqu’elle prenait le relais du soleil pour la nuit. Il était même possible de l’apercevoir en plein jour, par temps clair ou tôt le matin…

Mais en l’examinant avec plus d’attention, je me suis rendu compte que cet astre ne pouvait pas être la Lune…

Pour commencer, il était bien plus gros, au moins deux voire trois fois la taille du satellite qui gravitait au-dessus du ciel terrestre. Et il était également plus… coloré. Comparé à la blancheur de la lune, cette astre là vibrait de plusieurs nuances de bleus, avec quelque touches de jaune, de vert, de…

Je fus brusquement saisi d’un vertige quand une idée, une idée absolument inconcevable, commença à s’imposer dans mon esprit. Je ne voulais pas y croire, je préférais imaginer que Gwenaëlle m’avait menti ou qu’elle cherchait à me manipuler… et pourtant je savais au fond de moi que la conclusion à laquelle j’étais parvenu était bonne, sans l’ombre d’un doute.

J’avais déjà vu cet astre… Pas dans le ciel, non. Je l’avais vu dans mes cahiers scolaires, sur internet, à la télévision… mais jamais je n’aurais pensé le contempler un jour de mes propres yeux.

  • Je crois que tu as compris, s'aperçut Gwenaëlle avec un petit sourire amusé. Nous autres, sorcières, appelons cet astre Gaïa. Mais les humains ont fini par lui donner un nouveau nom. Ils l’appellent…
  • …La Terre, ai-je achevé dans un murmure incrédule.

Le simple fait de prononcer ce nom m’arracha un frisson d’effroi, car je commençais à peine à réaliser ce que cela signifiait : Je n’étais plus sur Terre. Mais dans ce cas… Où Diable étais-je à présent ?

  • Je crois qu’il vaut mieux que je réponde à la question qui se lit sur ton visage avant que ton cerveau ne se mette à fumer, idécida Gwenaëlle, qui semblait m’observer avec amusement et une pointe d’inquiétude. Ce que tu regardes est la Terre, berceau de l’humanité. Quant à nous, nous nous trouvons actuellement sur Avalon… que les humains appellent la Lune.

Je l’ai regardé, bouche bée, tentant vainement d’enregistrer dans mon cerveau surchargé ce que je venais d’entendre. J’avais failli mourir. J’étais devenu une femme. Je venais de rencontrer une véritable sorcière (qui, soit dit en passant, semblait avoir développé une obsession malsaine pour moi…). Et maintenant j’apprenais que je n’étais plus sur Terre… mais sur la Lune.

Voilà pourquoi Gwenaëlle n’avait pas semblé plus inquiète que cela quand j’avais déclaré mon intention de rentrer à Paris : elle savait que je n’en serais jamais capable ! Il n’était plus question de traverser un lac, une forêt, ou encore une chaîne de montagnes… mais bien des milliers de kilomètres de vide intersidéral !

Face à ce choc supplémentaire qui ébranla une fois de plus mon esprit déjà rudement mis à l’épreuve par les révélations précédentes, mon corps prit immédiatement les commandes pour soulager mon cerveau débordé, et enclencha l’arrêt d’urgence. En moins d’une demi-seconde, j’ai senti le monde tournoyer autour de moi, puis j’ai fermé les yeux alors que je tombais à la reverse, m’évanouissant avant même de toucher le sol.





A suivre... 

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