Chapitre 5 : Le Lac Viviane, Partie 2
Je ne savais pas si le temps s’écoulait différemment sur Avalon, mais j’ai eu l’impression qu’à peine après avoir fermé les yeux, le jour se levait à nouveau.
Ce furent trois coups frappés à ma porte qui me réveillèrent. Au début, j’ai voulu ignorer ce visiteur impromptu, mais de nouveaux coups plus insistants retentirent, me forçant à me redresser dans mon lit. Le soleil resplendissant qui réchauffait le lac d’Avalon m’accueillit.
- Si c’est encore ce fichu nain… je le balance dans le lac ! ai-je grommelé entre mes dents serrées, tandis que je me levais en me frottant les yeux pour aller ouvrir la porte.
Le sourire rayonnant de Marga m’accueillit.
- Bonjour, trésor ! Vous avez bien dormi ?
Son expression se figea lorsqu’elle aperçut mon visage.
- Oh ma p… mon pauvre, vous avez dû passer une nuit affreuse ! Vous avez…
- Une tête de zombie ? lui ai-je suggéré d’un ton aigre.
- Allons, trésor… J’ai déjà vu des morts-vivants et mes ancêtres soient loués, vous êtes loin de leur ressembler !
Alors comme ça, les zombies existaient… Pourquoi pas, après tout.
- Nous, vous avez plutôt l’air d’un vampire qui ne s’est plus nourrit depuis des lustres, poursuivit Marga en entrant dans la chambre avec autorité pour commencer à changer mes draps. Mon cousin Gorgos, un lointain cousin par alliance du côté de ma mère, avait d’ailleurs épousé une vampires de Tesserra. Oh, il s’est mis toute la famille à dos avec cette histoire-là !
Marga continua de me raconter l’histoire de ma famille (très intéressante, je devais l’admettre) tandis qu’elle faisait mon lit. Machinalement, je me suis mis à l’aider, l’écoutant en silence. Et c’est tout naturellement qu’après avoir changé mes draps, je me suis installé devant la coiffeuse tandis que Marga se mettait à me peigner les cheveux.
- Bien sûr, c’était avant que la cité ne soit réduite en cendre, et que…
- Aïe, n’ai-je pu m’empêcher de lâcher lorsque son peigne buta contre un nœud dans ma chevelure.
- Oh ! Pardon, trésor. C’est le problème des cheveux longs, ça : si vous ne les entretenez pas comme il faut, vous allez avoir des nœuds partout.
- Je n’ai jamais eu ce problème là avant…
Lorsque j’avais encore un corps masculin, mes cheveux étaient en effet plus court.
- Eh bien il va falloir prendre l’habitude de vous peigner régulièrement, trésor ! reprit Marga avec entrain. Vous avez de magnifiques cheveux… ce serait dommage qu’ils s’abîment parce que vous n’en prenez pas soin ! Remarquez, peut-être que la maîtresse pourrait vous apprendre deux ou trois tours de magie…
- Tiens donc, c’est vrai ça ! Pourquoi vous n’utilisez pas votre hachoir pour rendre mes cheveux lisses ? lui ai-je demandé avec étonnement.
- La magie ne remplace pas tout, trésor. Il y a des choses pour lesquels on aime prendre son temps. Par exemple, j’aime prendre soin des autres. Je pourrais faire un lit en un tour de poignet… mais je n’aurais pas la même satisfaction. Vous comprenez ?
J’ai hoché la tête après quelques secondes de réflexion. J’adorais la musique, et je m’étais entrainé des années à maitriser mon violon. Un jour, un ami étudiant m’avait demandé pourquoi je m’embêtais à jouer sur mon instrument, alors qu’il suffisait aujourd’hui d’un ordinateur et d’un bon logiciel pour créer des morceaux entiers sans le moindre effort. Je lui avais répondu que c’était justement l’effort qui me plaisait. Jouer de la musique avait le don de me calmer, d’apaiser mes craintes et ma colère… Alors je comprenais parfaitement ce que voulais dire Marga.
- D’ailleurs en parlant de satisfaction… Comment s’est passé votre dîner avec la maîtresse ?
Pendant un instant, j’ai crus que Gwenaëlle m’avait à nouveau gelé sur place, car j’étais devenu incapable de bouger le moindre muscle.
- Je… Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, ai-je fini par articuler.
- Allons… Ne me dites pas qu’il ne s’est pas passé quelque chose ! La maîtresse était impatiente de diner avec vous, hier…
- Et bien je pense qu’après cette soirée, cela refroidira ses ardeurs… Ça a été un désastre complet.
- Oh…
Marga se mit à me coiffer dans un silence gêné qui n’était agréable pour aucun d’entre nous. J’aurais préféré qu’elle me raconte l’histoire de Gorka, le fils nano-vampire de son cousin Gorgos qui avait fait fortune en cherchant le triangle des Bermudes.
- Vous savez, trésor, déclara-t-elle finalement au bout d’un moment. Je ne pense pas que la maîtresse soit réellement fâchée contre vous. Depuis que vous êtes arrivé ici, j’ai l’impression qu’elle a repris goût à la vie.
- Parce que Gwenaëlle était dépressive, avant ? me suis-je étonné. Elle peut pourtant avoir tout ce qu’elle veut !
- Malheureusement non… même la Sorcière de l’Infinie ne peut pas tout avoir, lâcha Marga en secouant tristement la tête.
J’ai plissé les yeux, intéressé. Il y avait donc quelque chose que Gwenaëlle ne pouvait pas obtenir ? Quoi donc ? Un pouvoir mystérieux peut-être… Celui qui me permettait de résister à sa magie, par exemple ? Il fallait que j’en apprenne davantage.
Avant que je n’ai pu pousser Marga à se livrer, quelqu’un frappa de nouveau à ma porte.
- Qui est-ce ? ai-je demandé, sur mes gardes.
- Un messager de Dame Gwenaëlle, Mademoiselle, répondit une voix d’homme grave. Puis-je ?
Il ne manquait plus que ça…
- Je suppose que si je lui dit de ne pas entrer, il le fera quand même ? ai-je chuchoté à Marga.
- Tendoris aurait ouvert la porte sans frapper, me répondit la servante sur le même ton. Mais lui, non. Par contre, il risque de passer la journée devant votre porte si vous ne l’autorisez pas à entrer… C’est à vous de choisir, trésor.
En poussant un soupir, j’ai lancé d’une voix agacée :
- Entrez !
La porte s’ouvrit sur un grand homme vêtu d’un costume impeccable de majordome. Visage masculin rasé de près, chevelure blanche parfaitement peignée vers l’arrière et des yeux argentées qui me renvoyaient mon propre reflet, cet homme semblait être une statue de marbre figée entre deux âges, et qui alliait la grâce de la jeunesse à la sagesse de la vieillesse.
- Mes hommages, Mademoiselle Laufey, déclara-t-il en esquissant une petite révérence devant moi avec un sourire bienveillant. Je regrette de ne pas avoir pu me présenter plus tôt : je me nomme Hélianthal, l’intendant de Gawain et majordome de Dame Gwenaëlle.
- Intendant et majordome, ce n’est pas la même chose ?
Le sourire d’Hélianthal s’étira avec amusement.
- Il est vrai que les deux termes sont souvent employés comme des synonymes, mais il existe tout de même de subtiles différences entre les deux…
- Mais vous cumulez quand même les deux fonctions, non ?
Hélianthal, manifestement très habile diplomate, eut la bonne grâce de s’incliner devant ma logique imparable.
- Dame Gwenaëlle m’a demandé de vous inviter en son nom à venir l’accompagner pour une promenade autour du château, m’informa-t-il plutôt. Elle pense que cela vous plairait de sortir un peu.
Vu comment Gwenaëlle s’était jouée de moi hier, j’avais très envie de lui dire d’aller voir ailleurs si j’y étais. Mais l’idée de sortir était trop tentante pour que je puisse passer à côté par simple défiance envers Gwenaëlle. Si je voulais quitter Avalon un jour, il fallait déjà que je commence par l’explorer pour y déceler les failles… notamment ces dolmens dont Tendoris m’avait parlé.
- Pourquoi pas, ai-je fini par lâcher, avant d’ajouter avec une pointe de fierté. Mais pas avant que je ne sois prêt à sortir.
- Mais qu’est-ce que vous racontez, trésor, s’exclama Marga en s’écartant de moi. J’ai fini de vous coiffer, et l’air frais fera le plus grand bien à vos cernes.
- Mas je… il me reste encore à m’habiller ! ai-je protesté.
En pure perte. Ni une, ni deux, Marga dégaina son hachoir et l’agita dans ma direction. J’eus à peine le temps de baisser les yeux que j’étais vêtu d’une nouvelle tunique violette décorée de petits dauphins turquoise, d’un pantalon ocre et de hautes bottes en cuir avec une ceinture assortie.
- Voilà ! Maintenant, vous êtes paré pour l’exploration, trésor ! me dit Marga avec un sourire complice.
- Super… Et qu’est-il arrivé au : la magie ne remplace pas tout ?
Marga me répondit avec un sourire espiègle.
- Si vous êtes prête, Mademoiselle Laufey… puis-je vous escorter jusqu’à Madame ? offrit alors le majordome en me tendant galamment la main.
- C’est Monsieur Laufey, ai-je rétorqué.
- Mes excuses, Monsieur Laufey.
N’ayant plus de motif valable pour retarder l’échéance, j’ai fini par hocher sèchement la tête avant de glisser mes doigts dans les siens. Aussitôt, la chambre disparut autour de nous.
Je me trouvais à présent dans un immense hall rectangulaire aux allures de cathédrale, bordé par des colonnes titanesques et qui se terminait à chaque extrémité par des portes toutes aussi impressionnantes. A vue d’œil, le hall semblait traverser le château.
- Bonjour, Morgan.
J’ai tourné la tête vers ma droite pour envisager Gwenaëlle, qui m’envisageait avec un sourire timide. Elle était vêtue d’une robe plus légère, couleur lavande avec des touches de doré.
- Tu as bien dormi ? s’enquit la sorcière.
- Pas trop mal, ai-je répondu en haussant les épaules, avant d’ajouter d’un ton aigre. Je n’ai pas pris froid, au moins.
Le sourire de la sorcière se crispa un peu, mais elle se recomposa très vite une expression joviale.
- Je suis ravie que tu aies décidé de m’accompagner pour cette promenade. Cela fait deux jours que tu es ici maintenant, et tu n’as même pas posé le pied dehors ! I
« Et c’est la faute à qui, d’après toi ? » ai-je ironisé intérieurement.
- Je me suis dit que c’était l’occasion de te montrer le domaine de Gawain, poursuivit la sorcière avec entrain. Je suis certaine que cela te plairait.
- Je n’ai jamais été très porté sur la nature ai-je objecté en haussant les épaules.
Néanmoins si cette excursion me permettait au moins de repérer mon environnement (notamment l’un de ses dolmens dont Tendoris m’avait parlé) ou de baisser quelque peu la garde de Gwenaëlle en étant docile… Ce serait déjà une grande avancée dans mon projet d’évasion.
- Mais j’avoue que je suis curieux de voir à quoi ressemble l’extérieur d’Avalon, ai-je donc ajouté.
Le visage de Gwenaëlle s’illumina, et une ombrelle apparut dans sa main.
- Merci, Hélianthal, dit-elle au majordome qui se tenait en retrait. Nous devrions être de retour pour le thé de quatre heure.
- Je vous souhaite une bonne promenade, Madame, répondit ce dernier en s’inclinant, avant de s’évanouir comme un mirage.
Gwenaëlle claqua ensuite des doigts. Avec un déclic, les gigantesques portes qui nous faisaient face commencèrent lentement à pivoter, laissant entrer la lumière du soleil dans le hall. Devant nous s’étendait l’immensité scintillante du lac.
- Tu es prêt, Morgan ? s’enquit Gwenaëlle en s’approchant de moi.
Instinctivement, je me suis écarté d’elle.
- Je t’en prie, lui ai-je répondu en tendant le bras pour l’inviter à mener la marche.
Une ombre de tristesse traversa le visage de Gwenaëlle, qui passa néanmoins devant moi sans dire un mot.
A suivre...
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