La danseuse
L’ombre blanche de la fenêtre s’allonge sur le mur, la pluie de lumière s’étiole en laissant derrière elle des flaques de soleil. Il est huit heures du soir.
La ville s’agite.
C’est l’heure où les klaxons d’ordinaire si grave invitent à la déraison.
C’est l’heure où le brouhaha devient musique, se change en phrases, se ponctue, s’exclame : viens danser !
C’est le moment où les cafés cèdent la place aux restaurants dont les parfums se répandent dans la rue et s’accrochent aux nez des passants.
C’est l’heure où les bureaux se vident, où la marée des chaussures cirées se retire sur les parquets patinés. L’heure où le bois redevient doux sous les pieds.
C’est l’instant précis où les plafonds endormis se réveillent et la regardent ; la danseuse. Ils la déshabillent. Parce qu’il n’y a plus besoin, parce qu’il n’y a plus qu’elle et que le bon goût n’en saura rien, il est dehors, en bas, il se détend.
La danseuse toupille, frénétique, ses pieds tapent, picorent le bois de coups de becs qui n’en finissent pas, le passent à tabac, sans faire un bruit.
Sa peau passe et repasse dans le quadrilatère de la fenêtre. Son désir d’être là, dans l’été, dans la ville, à huit heures du soir, se lit partout sur elle. La chaleur qui l’envahit finit par exploser, dans son visage, dans ses joues rosées. Elle balance ses cheveux en arrière, sa main glisse sur la brume de sa peau brune, elle s’arrête.
Est-ce la caresse du vent encore tiède ou la promesse de la nuit qui lui fait prendre conscience de sa nudité ? Elle jette un tissu fin sur sa chair brûlante, et s’enfuit.
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