Soirée au Starship
Le Starship est bondé, comme tous les samedis soir. La sono vomit ses décibels de musique des années quatre-vingts. Je dois avouer que le morceau actuel, un remix de Depeche Mode et de New Order, est très réussi. La lumière des spots glisse sur l'imperturbable maquette de vaisseau spatial qui trône au centre de la piste et qui domine les danseurs de sa prestance métallique. Avec toutes ces lueurs qui caressent ses flancs, on dirait qu'il navigue dans l'espace. J'aime cet endroit. Ici, je me sens bien. La musique pulse dans mes veines, je me détends et j'oublie peu à peu les événements de ces deux derniers jours. Et surtout, surtout, j'oublie Alexandre et sa Barbara. Je me penche vers Laura et Aymeric et leur crie :
- On va danser ?
- OK, on arrive !
Je pose mon verre de Virgin Mojito sur la table et m'élance vers la piste. Après toute la tension accumulée ces derniers jours, quel bonheur de se laisser emporter par le rythme, de bouger son corps et de ne plus penser à rien ! Je souris à Laura qui se contorsionne comme un beau diable et à Aymeric, qui fait l'imbécile comme d'habitude. Nous finissons par éclater de rire à l'unisson. Rockwell succède à New Order avec « Somebody's watching me », suivi de « Slave to love » de Bryan Ferry, puis du groupe Europe avec « The Final Countdown ». Avec Aymeric et Laura, je braille le titre à fond : « It's the fiiiiiinal... ». Je m'arrête net, ils continuent sans moi : « ...countdooooown ! ».
Alexandre vient d'entrer. Je reste bouche bée, figée et stupide. Pourvu qu'il soit venu seul ! Il porte un jean noir et une chemise. Sobre et classe. Des points de lumière de toutes les couleurs glissent sur ses cheveux bruns. Son visage s'illumine d'un sourire chaleureux et ses yeux marron pétillent. On dirait que c'est moi qu'il regarde. Je sens mon cœur s'emballer et mes joues me brûler. Mais non, ma pauvre Flora, arrête de rêver. D'ailleurs, Barbara vient d'arriver, évidemment. Encore plus déroutante que la veille. Plus étrangère. Ses cheveux descendent jusqu'au bas de son dos et sont entièrement bleus à présent. Différentes nuances de bleu. Clair, azur, ciel, marine. Une perruque ? Une teinture, encore ? Son teint, déjà pâle hier, tire carrément sur le bleuté à présent. Du maquillage ? Non, mon intuition me dit autre chose. Je repense à la cuillère tordue, transformée en grotesque amas de métal. J'en suis sûre, c'est elle. Elle sait que je l'espionne. Elle veut me faire peur. D'où vient cette fille, à la fin ? Ce n'est quand même pas une extr... ?
Et voilà, c'est reparti. Je devrais tout planter là et rentrer chez moi. Oui, c'est ce que je vais faire.
- C'est qui cette nana zarbi ? me hurle Laura à l'oreille.
- Je ne sais pas. Elle s'appelle Barbara, c'est tout ce que je peux te dire.
- C'est moi ou elle drague ton cher Alexandre ?
Je la regarde sans répondre. Je me sens soudain très lasse. Le cœur en miettes et le cerveau liquéfié.
- Elle sort d'où ? poursuit Laura. Je ne l'ai jamais vue sur le campus, et pourtant, avec une dégaine pareille, Dieu sait que je l'aurais remarquée depuis longtemps !
- Aucune idée...Sans doute une étudiante étrangère qui vient d'arriver. Ecoute, Laura, ne m'en veux pas trop, mais je suis crevée. Je crois que je vais rentrer.
- Ah bon, déjà ? Dommage, on s'amuse bien pourtant !
- Vous pouvez rester, si vous voulez. On se revoit Lundi de toute façon.
Je jette un regard désabusé à Alexandre. Le tout dernier avant de mettre une croix définitive sur cette histoire. Cette fois, j'en ai assez vu. Je me lève et fais un vague signe de la main à Aymeric qui se démène toujours sur la piste comme si sa vie en dépendait. Il ne me voit même pas, totalement absorbé par son monde intérieur. Ou alors par la plastique de la grande blonde qui se déhanche avec conviction devant lui tout en mâchant son chewing-gum. Lui, au moins, passe un bon moment. Alexandre aussi, sans aucun doute. Moi, je lâche l'affaire.
Je m'apprête à sortir pour récupérer mes affaires au vestiaire lorsque Barbara passe devant moi comme un missile et s'en va. Seule. Sans Alexandre. Eux qui semblaient si bien s'entendre ! Voilà qui est pour le moins...inattendu. Je me retourne et vois Alexandre assis seul sur un coin de banquette. Il semble dérouté et perplexe. Il ne fait rien pour la retenir. Pas un geste. Son expression égarée fait peine à voir. J'ai envie d'aller le voir, de le réconforter, mais d'abord, il faut que je connaisse le fin mot de l'histoire concernant cette énigme aux cheveux improbables. Qui est-elle ? Pourquoi joue-t-elle avec nous ainsi ? Elle est peut-être dangereuse, j'en suis consciente, mais je dois savoir.
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