Chapitre 02

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C’est la rentrée.

J’ai passé ces derniers jours enfermé dans ma chambre à fouiller la pièce et mon esprit. Je sais que ça ne sert à rien mais je n’ai pas réussi à faire autre chose. C’est la première fois que j’oublie autant de choses après la Léthé. Je ne comprends pas ce qui a pu m’arriver.

Je ne comprends pas.

Et j’ai peur.

Si ça se trouve une maladie est en train de faire pourrir mon corps de l’intérieur et je ne le sais pas. Enfin, je ne le sais plus. Ou alors je suis devenu addict à quelque chose et pour l’instant mon corps résiste mais peut s’effondrer à n’importe quel moment. Peut-être que je vais me mettre à faire quelque chose qui me paraîtra inoffensif et qui ne me fera que replonger dans tout cela. Et si ça recommence, qu’est-ce que je pourrai y faire ? Rien. Ou en tout cas, j’aurai moins d’un an pour espérer régler tout ça avant que l’on ne m’efface à nouveau toutes ces choses de mon existence. Puis elles reviendront. Encore.

Alors ça m’effraie.

Et maintenant je retourne en cours. Je vais devoir faire comme si de rien était devant mes potes parce que même si la Léthé oublie tout dans le but d’éradiquer le mal _ c’est l’idée principale en tout cas _ oublier une partie de son année est plutôt mal vue. Les mauvaises choses ne sont peut-être plus là, tout le monde les a peut-être oubliées mais elles ont forcément existé et ça, chaque personne en est consciente. Alors les réactions face à ceux qui ont oublié une grande partie de leur année sont divisées.

Il y a ceux qui pardonnent. Ils partent du principe qu’avec la Léthé, tout le monde repart de zéro et personne n’a à subir de brimade pour ce qu’il a pu faire. La nouvelle année est une assez bonne punition pour ça.

Et il y a ceux qui pensent qu’au contraire, la Léthé n’efface pas tout. Elle efface peut-être les souvenirs, mais les faits sont là. Les personnes assassinées ne reviennent pas à la vie, les corps détruits par les drogues ne se régénèrent pas en un claquement de doigt. Les coupables doivent être punis et comme on ne sait pas si ce qu’on a oublié sont des crimes, des maladies, des addictions, … tout le monde est mis dans le même bateau.

Alors je me tairai.

J’entre dans le lycée. La terminale. Je pourrais dire que le temps passe vite mais en fait, je n’en sais rien. Par contre, ce que je sais, c’est que je vais devoir mettre les bouchées doubles pour le bac, parce que malheureusement, je ne peux même pas mettre mes non-connaissances sur le dos de la Léthé. A la rigueur, si ça peut me permettre de focaliser mon attention sur ça plutôt que sur autre chose.

— Jamie !

Je me retourne vers Reece qui vient d’arriver lui aussi. A première vue, tout à l’air nickel pour lui. L’Alètheia semble avoir bien fonctionné.

— Eh mec ! Pourquoi tu m’as pas appelé après le nouvel an ?

— Parce que tu m’appelles encore Jamie et que j’ai décidé de te renier !

— Tu peux pas faire ça. Tu m’as dans la peau bébé.

Je ne peux pas m’empêcher de rire. Heureusement que depuis des années, il existe une constante dans ma vie qui ne se retrouve pas effacée de ma mémoire malgré toutes les conneries qu’on a sûrement pu faire. Je passe un bras sur ses épaules, lui assurant qu’effectivement, je ne suis rien sans lui avant de partir en cours avec lui.

On est un peu en avance, comme tous les ans. Ça nous permet de voir un peu ce qu’il s’est passé pour les autres en attendant le début des cours. C’est notre rituel. Parce que quand on est jeune, la Léthé, ça peut être assez drôle. Un réveil dans une situation bizarre. Des souvenirs qui reviennent et nous apprennent qu’on est en couple ou qu’on a réussi à foirer notre année. Cette année n’échappe pas à la règle. J’écoute religieusement les histoires de tout le monde en priant pour que le prof arrive avant que ce ne soit mon tour de parler.

Heureusement pour moi, on est vite interrompu par des cris puis par un bruit sourd.

Je sursaute et me retourne à temps pour voir quelqu’un sortir comme une furie de la salle, laissant un de mes potes debout, une main sur sa joue. Rapidement, une autre fille se lève. Je n’entends pas ce qu’elle lui dit, Reece étant trop occupé à s'esclaffer, mais elle le gifle à son tour et sort, elle aussi, de la pièce.

— Bah alors Don Juan, deux pour le prix d’une ? lui crie Reece, mort de rire.

— Riez pas les mecs ! C’est pas de ma faute !

Il s’approche de nous, prend une chaise pour s’installer.

— Alors Josh, tu nous expliques ? demande quelqu’un.

— En fait … L'année dernière je suis sorti avec deux filles en même temps !

— Les deux-là ? je lui demande.

— Ouais ! Mais le truc, c’est que je m’en rappelais que d’une ! La Léthé, elle a effacé une des deux relations de mon cerveau !

— Dur, s’exclame tout le monde.

— Mais ouais ! Si je m’en étais souvenue, je me serais pas fait choper !

Fier de lui, il se laisse acclamer par les mecs à côté de moi. Moi, ça me laisse réfléchir. A priori, le gouvernement n’aime pas l’infidélité. Ça pourrait expliquer mon amnésie, mais je n’y crois pas. Si j’avais été infidèle, je me serais au moins souvenu de la fille avec qui j’avais une relation officielle. Ou alors de l’autre fille, mais à première vue, au moins une des deux. Sauf que ce n’est pas le cas, alors je raye directement cette possibilité de mon cerveau.

Le cours commence.

J’avais oublié à quel point c’était barbant. Heureusement, le prof est rapidement interrompu par une personne qui frappe à la porte. Elle s’ouvre et laisse passer un mec que je ne connais pas. Un nouveau sûrement. C’est assez fréquent après la Léthé que certaines personnes déménagent. En tout cas, ce gars ne serait pas le premier à changer d’école en début d’année.

Je le vois s’excuser rapidement avant de s’installer à une place libre. Il aurait au moins pu se présenter. Je me retourne alors vers Reece pour lui en faire la remarque.

— C’est pas un nouveau ! Tu te souviens pas de lui ?

Non.

— Si ! Sa tête ne m’était juste pas revenue.

Et elle ne me revient toujours pas. Je ne peux pas m’empêcher de l’observer. J’essaye de trouver une trace de lui dans mes souvenirs. Mais rien. Il est totalement inconnu au bataillon et ça ne me dit rien qui vaille. Si je le connais de l’année dernière et qu’il a été effacé de ma mémoire, ça ne m’annonce rien qui vaille. Il vaut mieux que je ne m’approche pas trop de lui. Si on veut m’empêcher de me rappeler son existence, il doit y avoir une raison. Peut-être qu’on ne pouvait pas se blairer. Ou alors au contraire, on s’entendait mais on a fini par dévier un peu trop. Qui sait, peut-être qu’il se drogue et m’a incité à plonger avec lui. Ou alors l’inverse.

Dans tous les cas, jusqu’à ce que je mette au clair tout ça, je ne m’approche pas de lui. Je l’observe de loin, je vois s’il a un comportement étrange qui pourrait m’aider et j’essaye de résoudre tout ce bordel.

Pourtant, à première vue, il a pas l’air d’être un mauvais type. Mais bon, c’est forcément ce qu’on se dit à propos de tous les mauvais types avant d’en apprendre plus sur eux. Et là, je viens de me faire griller. Il vient de capter que je l’observais et me regarde lui aussi. Je sais pas trop comment réagir. Encore moins après qu’il ne me fasse un clin d’œil et reporte son attention vers le cours.

J’essaye de faire pareil mais c’est peine perdue.

Les heures suivantes ne sont pas meilleures. J’ai l’impression que tous les profs ont oublié comment être intéressant avec la Léthé et il semblerait que tout le monde pense comme moi. A côté de moi Reece est occupé à dessiner. Au moins, il n’a pas perdu ça avec l’amnésie. Ça aurait été dommage. Ce mec a un vrai talent.

Je trouve alors plus intéressant de le regarder faire.

— Alors beau gosse, je suis plus intéressant que le cours, me chuchote-t-il au bout d’un moment.

— Toujours, Darling !

Il pouffe et retourne à ce qu’il faisait. J’ai de la chance qu’il soit une constante dans ma vie et me sens subitement mal de lui cacher ce qu’il m’arrive. Peut-être que tout lui raconter pourrait m’aider. IL pourrait m’aider. J’en suis même sûr. Surtout qu’à première vue, lui se souvient de l’autre gars. Il est déjà plus avancé que moi dans l’histoire. J’arriverai peut-être à en savoir plus sur lui grâce à Reece.

C’est décidé. Je dois tout lui raconter.

Les cours se terminent enfin. J’ai demandé à Reece s’il pouvait passer à la maison ce soir. J’ai l’impression qu’il a compris que quelque chose me tracasse parce qu’il a accepté sans rien dire d’autre.

On sort du lycée en papotant normalement. On commente le peu d’intérêt des cours et des choses que les autres nous ont racontées dans la matinée. Je ne peux pas m’empêcher de jeter un dernier regard vers l’autre inconnu. Il passe près de nous en saluant tout le monde avant de partir à l’opposé.

J’ai vraiment du mal à penser que j’ai pu oublier l’existence même d’une personne.

J’ouvre la porte d’entrée en criant bonjour. Bien, il semble qu’il n’y ait personne à la maison. Comme à son habitude, Reece balance ses chaussures sur le pas de la porte, à côté des miennes, et pose son sac près des escaliers avant de partir nous servir à boire et prendre un paquet de gâteaux voire plus si affinité.

Ok. Il a vraiment compris que quelque chose n’allait pas. Il se comporte comme lorsque je suis cloué au lit. D’un coup d’œil, il m’intime de monter le premier. Ça pourrait paraître déplacé mais Reece a toujours été comme ça. Puis ma maison est la sienne. On a passé tellement de temps chez l’un et l’autre que même mes parents trouveraient ça normal de le voir nous préparer un plateau de cochonneries pour nous deux.

En l’attendant, je m’avachis dans mon lit. J’espère que tout se passera bien. J’ai confiance en lui mais je me trouve dans une situation assez … inédite pour moi et pour lui. S’il décidait de s’éloigner, je ne pourrais même pas lui en vouloir. Je ne sais pas comment moi-même je réagirais dans le cas contraire. J’aime croire que ça ne changerait rien mais … je ne sais pas. C’est le genre de situation qu’on ne peut pas vraiment imaginer avant de la vivre.

J’entends la porte s’ouvrir. Je me redresse et attrape le paquet de marshmallow que Reece m’envoie. Mon réconfort préféré.

Bon sang, je ne mérite vraiment pas ce mec comme meilleur ami.

Je le regarde s’installer sur le tapis, ouvrir un paquet de chips, en manger deux-trois avant de se tourner vers moi, un air sérieux que je lui connais peu, sur le visage.

— Ok James, maintenant tu m’expliques ?

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