Chapitre 06
Une semaine vient de passer depuis que j’ai passé le carnet à Riley. Une semaine que je ne peux pas m’empêcher de l’observer pour voir le moindre changement, le moindre indice ou un je ne sais quoi qui m’avancerait.
J’ai vraiment du mal à le cerner et le côtoyer quasiment tous les jours ne m’aide même pas.
Aujourd’hui, j’ai pu partir plus tôt du lycée. Je suis rentrée directement chez moi sans faire aucun détour. J’ai juste envie de me poser dans mon lit et d’essayer de ne penser à rien de cette histoire pendant au moins cinq minutes. Je soupire. Chose que j’ai dû faire des millions de fois depuis la rentrée. Pourquoi tout doit être aussi compliqué ? Je ne pouvais pas avoir un quotidien normal ? J’aurais pu oublier un rendez-vous, un petit événement sans grande importance ou encore le fait qu’il ait eu un animal de compagnie ? Ça aurait été triste mais au moins je n’aurais pas oublié la moitié d’une année et, en prime, l’existence d’un gars.
Ça me fatigue.
J’ai presque envie de m’endormir et de me réveiller que l’année prochaine. Au moins, j’aurais oublié que j’ai oublié. C’est un bon plan. Je commence même à sentir mes yeux se fermer lorsqu’un bruit me fait sursauter. On aurait dit un bruit de chute mais je suis censé être seul à la maison à cette heure-là. A moins que Jude ne soit déjà rentré.
Par sécurité, je vais quand même vérifier. J’espère juste que c’est pas un délinquant qui s’est introduit ici. Déjà il ne trouvera pas grand-chose d’intéressant, puis je ne sais pas ce que je ferai dans ce cas-là. Peut-être que je me planquerai sous mon lit … ou au fond de l’armoire.
Heureusement pour moi, c’est Jude qui est déjà rentré à la maison. Il est assis sur la première marche de l’escalier et semble se frotter les genoux. Je descends pour le rejoindre, lui faisant involontairement peur par la même occasion.
— Hey Jude, ne soit pas effrayé !
— Haha. Tu comptes me la faire encore longtemps Paul McCartney ?
— Jusqu’à ta mort ! A moins que la prochaine Léthé me l’efface de l’esprit.
— Je vais commander ça à Noël alors ! ronchonne-t-il.
C’est bizarre. C’est rare qu’il soit de mauvaise humeur.
— Ça va ? je lui demande.
— Ouais, t’inquiète pas. J’ai juste perdu l’équilibre à la première marche et me suis explosé les genoux. En même temps, j’ai quasiment pas dormi de la nuit. Je rêve que d’une chose, de plonger sous ma couette.
Je ris. Tel frère, tel frère il paraît.
Je descends les quelques marches qu’il reste et m’accroupie face à lui. Il a l’air vraiment épuisé. Alors je l’aide à se relever et l’emmène dans ma propre chambre. Je l’allonge dans mon lit et me mets à côté de lui. Une vieille habitude.
Jude et moi avons peu d’année d’écart alors nous avons toujours été très proches. Ça me fait bizarre à chaque fois de ne plus l’avoir dans la même école que moi. Mais nous ne nous destinons pas à la même branche alors nous n’avons pas eu tellement le choix. Malgré tout, nous avons gardé pas mal d’habitude, comme celle de venir se réfugier dans ma chambre lorsque Jude ne va pas très bien. Et là, c’est le cas.
Alors que ses yeux commencent à se fermer, je l’observe. Il a des cernes sous les yeux qui ne semblent pas dater d’aujourd’hui. Je me demande si son insomnie de cette nuit était une exception ou si ça lui arrive souvent. Peut-être qu’il a des problèmes comme j’en ai. Je n’ai pas été hyper présent depuis le début de l’année mais … Non, je ne pense pas qu’il ait les mêmes problèmes que moi. Parce qu’il y a une chose qui nous différencie bien Jude et moi. C’est la manière dont nous exprimons nos émotions. S’il avait eu un problème dans ce genre, il me l’aurait dit. Il l’aurait même sûrement fait savoir à tout le monde ici pour qu’on l’aide.
Moi par contre, c’est une autre histoire.
Je finis par m’endormir à côté de lui et je crois que passent les deux heures les plus reposantes depuis le début de l’année. Je n’ai pas rêvé. J’ai juste dormi du sommeil du juste jusqu’à ce que Jude se mette à remuer à côté de moi. Quand j’ouvre les yeux, je le vois se lever et sortir du lit le plus discrètement possible. Ça me fait doucement sourire. C’est rare qu’il fasse preuve d’autant de discrétion quand il se réveille.
Pendant quelques minutes, je me demande si je devrais pas me lever moi aussi. Mais j’opte finalement pour une soirée au fond de mon lit. Je descendrai peut-être plus tard, lorsque j’aurai faim. Pour le moment, je veux juste profiter de ce sentiment de paix qui m’envahit enfin.
Mes pensées essayent d’aller du côté de Riley mais je fais tout pour l’éloigner. Je sais qu’on est lié par quelque chose d’encore inconnu pour le moment, mais je ne comprends pas pourquoi il revient autant dans mes pensées. Il est sûrement la clé de tout ceci. Il en est même peut-être la cause. J’en sais rien. D’un côté, je m’en veux de lui mettre tout sur le dos de cette manière. Mais d’un autre côté … s’il revient autant dans ma tête alors que je l’ai totalement oublié, c’est qu’il y a une bonne raison.
En plus de tout ça, il n’a toujours pas rendu le carnet commun et ça fait une semaine. Est-ce qu’il avait autant de choses à écrire ? J’ai un doute. A part s’il a passé beaucoup plus de temps avec Reece que moi l’année dernière.
Est-ce même possible ?
D’autant que je me souvienne, Reece a vécu à moitié chez moi pendant une partie de l’année dernière. Je n’en connais même pas la raison … j’ai sûrement dû l’oublier. Une broutille je pense. Ça lui est déjà arrivé de rester une semaine chez moi simplement parce que sa mère avait décidé de faire une semaine dédiée à la cuisine épicée et qu’il a déclaré à mes parents qu’il ne voulait en aucun cas subir l’expérience de toilettes bouchées.
Il faut que j’arrête de faire des suppositions. Rien n’a de sens dans tout ce que je peux penser et ça me perd simplement encore plus. Je soupire. Je ne sais faire que ça de toute façon. Ça et me mettre dans des situations foireuses.
Si seulement Riley m’avait rendu le carnet. J’aurais déjà pu commencer à faire des comparaisons entre nos deux récits ! Faire un peu avancer les choses ! Mais non, je suis là, dans mon lit à ne rien faire. J’ai même pas fait mes devoirs pour demain c’est pour dire. Je ne dois pas en avoir beaucoup de toute façon. Je crois. Il faudrait quand même que je pense à vérifier. Mais comme par hasard, une envie pressante se fait ressentir.
Ah, la magie de la vessie. Elle se manifeste toujours au moment où on se motive à faire quelque chose d’intelligent. Et à tous les coups, en revenant, quelque chose d’autre se déclenchera.
Et effectivement, au moment où je m’installe enfin à mon bureau et que j’attrape mon sac, mon téléphone se met à vibrer plusieurs fois, signe que quelqu’un m’appelle. Je jette un coup d’œil et vois le prénom de mon meilleur ami s’afficher. Je décroche et n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit avant que Reece ne parle, excité.
— Reece. Reece ! Je ne comprends rien à ce que tu dis !
— Je te dis que j’ai une nouvelle hyper importante à t’annoncer !
— Et quel genre de nouvelle ? T’as trouvé un chat abandonné ? Il y avait des réductions sur le chili ?
— Mais nan pauvre tache ! C’est à propos de Riley et de toi !
Ok, là ça m’intéresse.
— D’accord beau-gosse ! Je t’écoute.
— Bon, alors ! Hier, j’ai récupéré le carnet commun pour pouvoir y ajouter moi aussi ma petite contribution.
Tient … alors en fait, Riley a déjà fini de le remplir ? Je m’en veux encore plus maintenant d’avoir commencé à me poser encore plus de questions et à faire des suppositions à son propos.
— Et ?
— Eh ben, j’ai commencé à écrire. Tu vas déjà halluciner de certaines choses ! Mais tu verras ça plus tard. Ce dont je veux te parler, c’est d’un autre détail super important.
— Bon, allez, accouche maintenant !
Je commence à vraiment perdre patience. D’autant plus que Reece à le sens du spectacle, de la mise en scène et de l’exagération alors je m’attends clairement à n’importe quelle information, sensée être super importante, de sa part.
— C’est toi qui m’a présenté Riley, me coupe-t-il dans mes pensées.
— J’ai dû me présenter à lui avant toi ! C’est rien. Tu arrives quasiment en retard tous les jours, ça m’étonnerait même pas que j’ai fait la connaissance de Riley en t’attendant.
— Non, tu comprends pas ! il s’égosille. Tu le connaissais déjà ! D’avant la rentrée je crois. Et à première vue, moi, je le connaissais à peine ou en tout cas, je n’étais pas ami avec lui à ce moment-là. Et je crois que ce n’était pas ton cas !
Ok … j’ai rien dit. C’est une vraie information là et ça ne m’aide absolument pas. Ça vient même juste créer tellement de questions supplémentaires.
D’où j’ai connu Riley avant la rentrée ? Pourquoi Reece semble ne pas l’avoir connu avant le début des cours ? Est-ce qu’on lui a caché quelque chose me poussant à cacher à mon meilleur ami l’existence de quelqu’un d’autre ?
Et surtout …
Quand est-ce que j’ai réellement connu Riley ? Si ce n’est pas depuis la rentrée … depuis quand exactement ?
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