Chapitre 07
Nous revoilà à nouveau, une semaine plus tard, tous les trois, à manger dehors. Encore une fois Reece et Riley ont l’air de ne rien sentir alors que j’en suis à me demander si mon cul est encore entier ou totalement gelé. Je me tortille sur place, je vais pas tenir longtemps alors je prie pour que l’un d’entre nous ait un nouveau plan dans les secondes qui arrivent.
— Et si, commence Reece. Non, en fait, j’ai aucune idée.
— On devrait peut-être établir d’abord une liste de ce qu’on doit savoir, propose Riley.
S’il y a quelque chose que j’ai bien compris à propos de Riley durant ces derniers jours, c’est qu’il est une personne très organisée. J’ai vu le carnet commun, la partie qu’il a écrite, et c’était super organisé. J’ai juste écrit mes souvenirs à la suite, en essayant de mettre chaque mois sur une page différente pour qu’ils puissent intercaler leurs souvenirs aux miens. Mais lui, il avait organisé ses idées par date, par lieu _ donc lycée ou ailleurs _ s’il y avait Reece ou si c’était un événement où on aurait potentiellement pu s’y retrouver tous les trois. J’ai même entraperçu son carnet personnel à un moment et, là aussi, tout semblait bien mieux organisé que le mien dans lequel s'enchaînent simplement les choses dont je me souviens.
On a plutôt de la chance que ce soit lui que j’ai oublié et pas un deuxième Reece ou un deuxième moi. Puis ce côté très sérieux de la personnalité de Riley, alors qu’en cours il paraît tout le contraire, c’est plutôt charmant.
Enfin … charmant …
Je veux dire que c’est plutôt sympa à savoir, d’en apprendre plus sur lui et de découvrir des facettes de sa personnalité qu’il montre peu. Ouais, c’est ça … sympa.
— Alors ? nous relance-t-il.
Je remarque alors que, pendant tout ce temps, je le fixais du regard alors que Reece tentait tant bien que mal d’enfourner la fin de son tacos. Il doit vraiment nous prendre pour des abrutis. Lui par contre doit regretter d’être tombé sur moi.
Je me ressaisis et essaye de me souvenir de ce qu’il a proposé.
— La liste, nous rappelle-t-il.
— Oui, bien sûr, la liste, je bafouille. Je pense que c’est une bonne idée. Comme ça, on saura plus facilement où on en est et surtout vers où on va.
— C’est exactement ça !
Il m’adresse un sourire éblouissant. Je ne pensais pas qu’approuver son idée et comprendre le cheminement de son idée le rendrait aussi heureux. On dirait presque un enfant. Ou Reece à un buffet à volonté. Moi aussi d’ailleurs.
Je sors mon carnet perso pour commencer à écrire la liste. Je vois Riley faire la même chose pendant que Reece se bat avec ses affaires et ses mains grasses. Le regarder agir au quotidien est un vrai spectacle. Vraiment.
— Bon, du coup, première question : depuis quand on se connait ? je propose, incertain alors qu’on a clairement déjà établi le fait qu’il faille vraiment qu’on réponde à cette question.
— Oui. On doit aussi trouver la nature de notre relation, continue Riley. A première vue, j’ai l’impression qu’on était potes sinon tu ne m’aurais pas présenté à Reece !
— Mais si vous vous êtes oublié l’un l’autre, vous avez forcément fait une connerie tellement grosse qu’il a jugé nécessaire que vous ne vous côtoyez plus. Vous avez quand même pas fait un braquage sans moi ? s’exclame Reece, faussement vexé et déçu.
— Je pense pas que ce soit ça, répond Riley avec un petit sourire. On est quand même trop beau pour se cagouler !
— Tu marques un point, répond mon meilleur ami.
— Donc, déterminer la nature de notre relation, je reprends. J’espère que tu n’étais pas mon dealer !
Je ris mais en vrai, je l’espère vraiment. Et je sais qu’au regard de Riley, lui aussi espère que ce n’est pas une histoire de ce genre. Pas forcément qu’il soit dealer, mais qu’on soit tombé dans une affaire de consommation de drogue qui aurait mal tourné. L’un de nous a peut-être fait une overdose et on l’a oublié. En plus, on a absolument rien pour savoir ce qu’il nous est arrivé niveau maladie. On a évoqué en cours d’histoire les carnets de santé. Mais depuis la Léthé, ça n’existe plus ! Et dans le cas contraire, ils disparaîtraient ou se videraient sûrement chaque année.
— Ok, ça nous fait deux points à résoudre, continue Riley, aussi désireux que moi d’éviter de penser à un possible malheur.
— On pourrait, je commence avant de m’arrêter.
J’ai quelque chose en tête. Mais quelque chose d’impossible. On n’y arriverait pas. Une réussite est totalement improbable, surtout pour nous. On est que trois pauvres lycéens qui ne savent même pas s’ils vont avoir leur bac cette année. Alors me mettre une telle idée en tête est insensé.
— Vas-y, dit ! m’encourage Reece.
— On pourrait découvrir comment fonctionnent la Léthé et l’Alètheia, je finis par dire. Et peut-être trouver un moyen direct de retrouver nos souvenirs.
Totalement insensé. J’ose même pas les regarder. Cette idée est totalement …
— Mais oui ! me coupe Reece de mes pensées. C’est ce qu’il faut faire !
Quoi ? Mais … Enfin, c’est mon meilleur pote. Il me suivrait dans toutes mes pires idées je pense. Riley par contre …
— Je pense que c’est une bonne idée !
— Mais vous êtes dingues ! je m’exclame. C’est une idée totalement idiote et inimaginable ! Vous nous imaginez trouver la réponse au secret le mieux gardé de ce pays ?
— Non, c’est pas idiot ! me contredit Riley. C’est même très intelligent ! C’est un peu comme venir à l’origine du problème au lieu de s’occuper des conséquences ! Si on comprend la cause, on peut venir à bout de tout ce qui en découle !
Maintenant qu’il dit ça, je me sens tellement intelligent. Genre … il flatte mon égo. Je me sentirais presque pousser des ailes. Pourtant je retombe très vite les deux pieds sur Terre. C’est bien beau de vouloir aller à l’origine du problème mais il reste quand même un énorme problème à ça, je dirais même qu’il y a un énorme obstacle qui porte le doux nom de gouvernement. S’il y a bien un secret qui est bien caché, c’est la vérité sur la Léthé et l’Alètheia.
Bon, en vrai, ils doivent garder énormément de secrets dont on n’a pas idée, mais la Léthé et l’Alètheia … c’est quelque chose qu’on connait tous, qui nous suit dès notre naissance jusqu’à notre mort. Et personne ne se pose de questions. A moins que ceux qui en ont posé ne soient plus capables de se les poser … ou d’y répondre.
Je frissonne en pensant à ce qu’il pourrait arriver si la vérité était découverte. Heureusement pour nous _ ou malheureusement, ça dépend du point de vue _ nous trois sommes, clairement, pas assez intelligents pour espérer nous approcher un minimum de tout ça. Même si Reece a pas mal de jugeote quand il veut bien et Riley semble avoir un cerveau qui réfléchit assez vite, je ne pense pas que ce soit réalisable.
— Et comment trois lycéens comme nous arriveraient à résoudre le plus grand mystère de notre ère ?
— Le deuxième, me contredit Reece. Le premier, c’est la disparition des chaussettes dans la machine à laver.
— Dans ce cas-là, on peut aussi parler de l’œuf et la poule, renchérit Riley.
Je soupire. En fait, j’en viens à me demander s’ils ont vraiment trouver mon idée intelligente ou s’ils se foutent de moi. Et pour être honnête avec moi-même, je ne sais même pas quelle supposition est la meilleure.
— Fait pas cette tête !
— Mais oui bébé ! On te taquine ! En vrai, je ne sais absolument pas comment on ferait ça !
— Moi j’ai peut-être une idée !
On se tourne vers Riley. Je crois que Reece est aussi sceptique que moi. Une idée ? Genre … Une idée qui nous aiderait à connaître la vérité la mieux gardée de notre existence ? Surtout, une idée qui nous permettrait à nous de réussir ?
— Bon, en vrai, c’est quelqu’un d'autre qui pourrait nous aider ! Elle est dans ce lycée et elle est sûrement la personne la plus apte à trouver une réponse.
Il existe réellement une telle personne dans notre lycée ? Si c’est le cas, pourquoi est-ce qu’on ne la connaît pas ? Elle doit être super intelligente ! Sauf qu’on connait toutes les grosses têtes de l’école et je n’ai pas souvenir qu’une d’entre elles s’intéresse au mystère de la Léthé. Peut-être que cette personne se cache. Ou alors …
Subitement, j’ai un doute. Il y a peut-être une personne qui s’y connaîtrait plus que nous sur ce sujet. J’ai cru l’entendre être évoqué une fois … mais pas forcément de manière très gratifiante. Plutôt comme étant de la folie. Une lubie étrange. Et sincèrement, je ne sais pas quoi en penser. Et surtout, je ne pense pas que ce soit possible. Pourtant, quand Riley nous dit que cette fameuse personne doit être libre à l’heure actuelle et qu’on devrait en profiter pour aller la voir, j’accepte. Je veux vérifier que mon intuition ne m’a pas trompé.
Alors on jette nos déchets, on range nos affaires et une fois nos sacs sur le dos, on revient dans le lycée. Riley semble savoir exactement où trouver cette fameuse personne et plus on avance, plus je vois Reece se tendre. Je crois qu’il commence lui aussi à penser à la même chose que moi.
Nos pas se font de plus en plus traînants, au point que Riley finit par nous intimer d’accélérer. Mais lorsqu’on arrive à l’avant-dernier couloir, Reece s’arrête.
— Je refuse.
Riley s’immobilise à son tour avant de se tourner vers mon meilleur ami, un air d’incompréhension sur le visage.
— Tu sais même pas où on va !
— Si. Tu nous emmènes voir la Chouette. J’ai eu un doute au début puis je me suis dit que tu allais sûrement nous emmener voir quelqu’un d’autre. Mais le couloir qu’il y a là bas, c’est celui où elle s’installe toujours le midi. Celui où dès que je passe, elle m’observe fixement sans cligner des yeux. Elle est flippante et me rend tellement nerveux. Tu n’imagines même pas le nombre de fois où je l’ai vu dans mes cauchemars.
— Elle n’est pas comme ça. SI elle te regarde, c’est qu’elle a une bonne raison.
— Pour me rendre mal-à-l’aise oui ! Imagine seulement sentir un regard sur toi toute la journée sans que tu ne puisses rien faire ! Comment ça te rendrait ?
— Je ne sais pas, consent finalement Riley. Mais je te promets qu’elle n’a rien d’effrayant ! Et surtout, elle fait des recherches sur la Léthé et elle est la seule qui peut nous aider.
Reece se retourne vers moi. Je sais qu’il attend que je dise quelque chose mais je ne peux pas. Je suis littéralement tiraillé entre le fait de refuser d’aller voir la Chouette et celui de vouloir avancer dans cette histoire. Mais je sais à quel point Reece vit mal ces moments, ces regards. On a essayé une fois d’y remédier mais la Chouette s’est simplement levée et est partie. Puis le lendemain, c’est comme si on avait rien tenté. Alors je ne peux pas forcer mon meilleur ami à côtoyer une personne qu’il déteste.
— Ok, on y va, dit Reece avant que je ne puisse ouvrir la bouche.
— Mais …, j’essaye d’intervenir.
— Non, c’est bon ! me coupe-t-il. Je sais que tu allais refuser, je l’ai vu dans ton regard, mais on a besoin d’infos alors je dois passer au-dessus de ça.
Il recommence à marcher. Je le suis, inquiet. J’espère vraiment que ça se passera bien et surtout que ça en vaudra la peine. Je m’en voudrai si ce n’est pas le cas. Riley prend la tête et tourne dans le dernier couloir qui nous sépare de l’un des cauchemars de Reece.
Elle est là.
Comme toujours.
Installée au sol dans un coin du couloir, elle lit. Elle paraît un peu moins effrayante comme ça, mais lorsqu’elle finit par nous entendre, son regard se dirige directement vers Reece. Deux grands yeux qui ne prennent presque plus la peine de cligner. C’est comme si elle avait un automatisme et qu’elle était capable de repérer Reece en moins de temps qu’il ne fallait pour dire Chouette.
— Salut.
Elle tourne la tête vers Riley avant de froncer les sourcils. Elle a l’air … confuse. Peut-être qu’elle pense qu’on s’est ramené à trois pour régler nos problèmes avec elle. Je la plaindrais presque. Tout résidant dans le presque.
— Qu’est-ce que tu veux Lewis ?
Son ton est quand même agressif. Je ne sais pas si c’est notre présence à Reece et moi qui fait ça ou simplement celle de Riley. Pourtant, lorsqu’il nous en a parlé juste avant, il avait l’air de la connaître un minimum voire d’avoir discuté avec elle plusieurs fois. Assez pour savoir qu’à priori elle ne serait pas comme l’a décrit Reece.
— On a besoin d’aide et je sais que tu peux nous aider.
— Et pourquoi je ferais ça ? On est pas ami à ce que je sache !
— Je savais que c’était une mauvaise idée, marmonne Reece.
Les yeux de la Chouette dérivent directement vers lui et je ne sais pas comment interpréter son regard. Trop d’émotions y passent dont une qui me fait frissonner de malaise. De la rancune. Comme si elle en voulait à Reece pour quelque chose donc nous ne sommes pas au courant. En tout cas, je ne le suis pas et si mon meilleur ami l’avait été, il me l’aurait sûrement dit.
Très vite ce sentiment s’évapore et son regard devient vide. Il est pourtant toujours figé sur Reece qui n’en mène pas large. Je pense que je vais lui proposer de dormir à la maison ce soir. Sa nuit ne risque pas d’être de tout repos.
Finalement, elle se met à soupirer, referme son livre dans un énorme claquement et se lève, prête à partir.
— C’est à propos de la Léthé, je me lance finalement.
Je n’ai pas le temps de me rendre compte de quoi que ce soit qu’une main m’attrape et me tire vers une salle de classe vide.
— Mais tu es dingue ? s’exclame la Chouette. Il ne faut jamais parler de la Léthé ou de tout ce qui s’en rapproche ! C’est le meilleur moyen de se faire remarquer par les personnes qui nous surveillent.
Ok, elle est folle. Et elle a une sacrée poigne. Je me frotte le bras, là où elle m’a attrapé, et grimace légèrement. Je suis bon pour avoir une marque.
— Bon, expliquez-moi tout. En quoi la Léthé vous intéresse ?
Je jette un coup d’œil à Riley. Je n’ai pas confiance en elle. Je ne vois pas pourquoi je l’aurais. Mais je lis dans le regard de Riley qu’il veut lui raconter. La question est donc de savoir si j’ai confiance en lui. Étrangement, oui, j’ai confiance. On est dans le même bateau lui et moi et si finalement la Chouette venait à nous balancer, il serait autant en galère que moi. Du coup, j’hoche la tête. Qui vivra verra après tout. Puis si vraiment il y a un problème, ça ne durera que le temps d’une année. Faut se dire ça.
Super rassurant.
Alors on s’installe et Riley commence à lui raconter tout. Le fait qu’on ait oublié une grande partie de l’année passée. Nos maux de tête. Le fait que l’on se soit oublié l’un l’autre. Il ajoute aussi qu’à priori, on se connaîtrait d’avant la rentrée de septembre mais qu’on a aucune date précise. Il lui parle de notre liste, des choses que l’on doit résoudre. Et donc du fonctionnement de la Léthé que l’on doit trouver.
— Vous voulez dire que vous voulez découvrir le plus grand secret de notre nation ?
Elle a l’air incrédule. Comme si notre idée était insensée.
Soit … elle est insensée. Je l’ai moi-même pensé mille fois depuis tout à l’heure. Puis finalement, je vois la Chouette sourire et je dois avouer que je bugge légèrement. Elle a l’air tout à coup moins étrange, elle paraîtrait même jolie si son regard était différent … c’est comme si une lueur de folie s’est allumée dans son regard. Peut-être qu’on vient de réveiller un monstre.
— Je suis avec vous ! La Léthé est un fléau alors si je peux vous aider et faire un truc contre le gouvernement, je ne vais clairement pas refuser.
Elle se lève de la chaise où elle s’était installée pour écouter notre explication et se dirige vers Riley pour lui serrer la main. Elle va ensuite vers Reece qui se crispe. Malgré tout, il attrape sa main avant de la lâcher moins d’une demie seconde après. Je crois même le voir s’essuyer la main sur son pantalon. J’aurais pu en rire si la Chouette ne s’était pas retournée ensuite vers moi. Elle me tend la main avec un grand sourire.
— Au fait, vous ne devez pas le savoir, mais je m’appelle Nora.
J’attrape sa main avec un sourire que j’essaye de rendre convaincant avant d’être pris d’une sensation étrange. Je regarde les doigts qui se serrent autour des miens puis les yeux de la Chouette _ enfin de Nora. Je ne l’avais pas encore vu d’aussi près et pourtant.
A ce moment-là, elle me semble si familière pourtant, je suis quasiment sûr qu’elle n’a pas subi la même chose que Riley dans mes souvenirs. C’est comme si je la connaissais mais d’une autre vie … C’est un sentiment étrange mais à cet instant même, je sens que durant ces prochaines semaines _ enfin plutôt mois _ les choses changeront énormément.
En attendant, j’espère que nous avons raison de te faire confiance très chère Nora.
Oh oui, je l’espère.
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