J'ai demandé à ce qu'on se réunisse, Nora, Riley, Reece et moi. Il faut reprendre les recherches. Je sais que la rentrée est bientôt, que chacun d'entre nous a des choses à préparer ou veut simplement profiter de la fin des vacances. Mais le temps presse de plus en plus, on a plus de questions que de réponses et aucun moyen d'y répondre jusqu'à présent.

Nous sommes chez Nora, comme le plus souvent. Elle est en train de fouiller dans chaque étagère pour voir si elle n'a pas loupé un livre qu'elle aurait rangé ou caché. Je lui ai raconté pour Jude et, je ne sais pas pourquoi, ça l'a touchée bien plus que je ne l'aurais pensé. Lorsque je lui ai expliqué pourquoi il nous fallait accélérer les recherches, elle s'est automatiquement mise à chercher de manière frénétique chez elle.

Riley a essayé de lui dire quelque chose, mais elle ne l'a pas écouté. Elle s'est focalisée dans sa recherche et semble presque nous avoir oubliés. Comme si cette nouvelle avait déclenché quelque chose en elle. Alors qu'elle fouille _ ou plutôt qu'elle s'acharne sur ses étagères _ je vois qu'elle entre dans un état de panique. Ses mains tremblent et agrippent de moins en moins bien les livres. Je suis le premier à réagir. Je me lève et la rejoins. J'attrape ses mains et l'oblige à arrêter. Je la retourne vers moi et la regarde dans les yeux.

Derrière moi Reece et Riley se sont aussi levés et comme moi, ils voient ses yeux remplis de larmes.

— Nora, je commence.

Mais elle baisse la tête, se dégage de ma faible poigne et fonce dans les bras de Reece. Les yeux de mon meilleur ami sont écarquillés. Lui non plus ne comprend pas son comportement. Ses bras sont levés, de chaque côté de sa tête et il ne sait pas comment réagir.

— Nora, dit-il à son tour. Lâche-moi s'il te plait et explique-nous.

Elle secoue la tête et resserre son étreinte autour de Reece qui se tend. Je sais qu'il est sur le point de craquer. Pourtant, ça faisait longtemps qu'il ne s'était rien passé d'étrange lorsqu'ils sont tous les deux présents dans la même pièce. Tout s'était calmé et une amitié commençait à naître. Mais là, je crois qu'avec Nora de cette manière lui fait remonter trop de souvenirs, de cette période où elle hantait ses cauchemars à l'observer sans un bruit.

Je le vois poser ses mains sur ses épaules et la repousser légèrement. Elle s'écarte, le regarde et finit par partir en courant, en direction de sa chambre.

Je ne comprends vraiment rien. Je regarde les deux autres avant de me diriger vers les escaliers. Mais avant que je n'y parvienne, la main de Reece se pose sur mon épaule.

— Je vais y aller.

— Reece ...

— Non. Il faut que je parle avec elle. Ça fait un moment déjà qu'on aurait dû parler elle et moi. Toi, va voir ton frère. Ils sont censés le transférer aujourd'hui et autoriser les visites. Vas-y et occupe toi de lui. Je viendrai te voir ce soir pour te dire si ça s'est bien passé.

— Tu es sûr ?

— Oui. Riley, accompagne-le s'il te plait. Il n'aime pas les hôpitaux.

Je le remercie et, finalement, récupère mes affaires avant de partir avec Riley. Je me tourne vite fait pour m'assurer que tout ira bien pour Reece mais il est déjà dans les escaliers.

Comme s'il l'avait prévu, Riley est venu en voiture, et le connaissant, c'est le cas. Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Il fait souvent ce genre de choses, ces petites attentions presque inaperçues, et je sens à chaque fois ces fourmillement dans mon estomac. Si je dois être sincère, je pense que si je ne l'étais pas déjà l'année dernière, là, je commence à tomber amoureux de Riley.

Je le suis même déjà, très certainement. Mais je me refuse pour l'instant d'y penser et encore moins de l'avouer à Riley. Pas quand on risque de l'oublier d'ici quelques mois. Je veux le lui dire tout en sachant que le lendemain, il s'en souviendra. Alors en attendant, je garde tout pour moi et je compense cette frustration naissante autrement.

Une fois installé et attaché, j'attrape son menton et l'embrasse. Rapidement, un simple petit baiser sur les lèvres pour le remercier de penser encore à moi. En réponse, je vois un rictus apparaître sur ses lèvres, comme s'il me répondait que je n'avais pas à le remercier mais qu'il était quand même le meilleur.

Nous arrivons rapidement à l'hôpital. J'espère que mes parents ne sont pas là. Je n'ai pas vraiment discuté avec eux depuis notre dispute et, pour être sincère, je n'ai pas envie de leur parler pour le moment. Je risquerais de leur révéler bien trop de choses sous la colère et ça n'en vaudrait pas la peine. Ça compliquerait même la situation si, par malheur, ils venaient à être au courant de toute l'histoire.

Heureusement pour moi, mon frère était seul ... et réveillé.

Il a mauvaise mine. En même temps, qui ne l'aurait pas après une overdose. Son teint est pâle et son visage émacié. Il a l'air fatigué mais il est vivant et c'est tout ce qui m'importe pour le moment. Je m'approche doucement de lui comme si j'avais peur qu'un peu de brusquerie le brise.

— Hey Jude, je l'appelle doucement, le faisant sursauter. Ne sois pas effrayé.

Je vois un sourire apparaître furtivement sur ses lèvres.

— Comment tu te sens ?

— Je ne sais pas. J'ai l'impression d'être passé sous un camion. Même mes cheveux me font mal, c'est pour dire.

Il me regarde enfin et je vois dans ses yeux qu'il s'apprête à craquer. Je m'installe à ses côtés et le prends dans mes bras. Aussitôt, je sens son corps être secoué de sanglots. Je le sers au plus près de moi et caresse ses cheveux. Le voir comme ça me fait mal.

— J'ai déconné hein ? me dit-il entre deux hoquets.

— Oui ... mais tu n'es pas le seul responsable dans l'espoir. Cette société corrompue est fautive. Sans la Léthé, tu aurais pu être soigné bien plus tôt. Les parents parce qu'ils n'ont pas su s'occuper de toi quand ça allait mal. Tes amis aussi. Et puis ... moi. Je suis tellement désolé. J'aurais dû passer plus de temps avec toi, t'écouter lorsque tu as dit que tu avais besoin de moi, répondre au téléphone pour venir te voir, t'aider et empêcher tout ça au lieu ... au lieu de ...

Qu'est-ce que je peux lui dire ? Au lieu de m'envoyer en l'air avec mon petit copain ?

— Au lieu de rester avec ton copain ? termine Jude, faisant écho à mes pensées.

Je me fige et Riley, qui est resté près de la porte de la chambre, en fait tout autant. Un simple coup d'œil me suffit à confirmer qu'il a compris la même chose que moi.

— Je ... ne vois pas ce que tu veux dire, je tente de répliquer.

— Je le sais, hein ! Que tu sors avec Riley ! Ça fait plus d'un an que vous êtes ensemble, j'allais bien le voir à un moment ou à un autre. Je suis déçu que tu ne me l'ais jamais dit.

Alors là, je suis sur le cul. S'il y a bien une chose à laquelle je ne me serais jamais attendu, c'est ça. Et il dit ça avec un naturel déconcertant, comme si rien ne le choquait dans cette histoire. Pourtant, il vient quand même de m'avouer être au courant pour ma mise en couple avec Riley, un garçon, et ce ... depuis plus d'un an ?

— Attends ... Tu as bien dit plus d'un an ?

— Bah oui ! Je sais pas depuis quand exactement mais c'est pour ça que ça m'avait fait bizarre de ne pas le voir en début d'année alors que vous étiez toujours ensemble. Vous vous étiez disputé ?

— On s'était surtout oublié, lâcha Riley en venant s'installer sur une chaise pas loin du lit.

— Comment ça ?

— La Léthé nous a fait oublier l'existence de l'autre, je finis par lui avouer. C'est pour ça que de savoir que toi tu t'en souviens c'est ... bizarre. Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

— Je pensais que tu voulais cacher ça. Je voulais pas te forcer à le révéler. En même temps, c'est pas commun alors je comprenais à peu près pourquoi tu ne disais rien.

— Et tu prends ça aussi facilement ? Ça te choque pas de savoir que ton frère sort avec un autre gars ?

— Je t'avoue que je ne sais pas trop comment je l'ai pris. J'ai dû l'oublier au Nouvel An, mais du coup, maintenant, ça ne me fait rien du tout. Si tu es heureux Jamie, ça me va.

Je me sens nul. Le pire des frères et même le pire être humain de cette planète. J'ai fait tellement souffrir mon frère, il a eu tellement besoin de moi et je l'ai abandonné, alors que lui, il a fait attention à moi, il m'a accepté.

— Je ne te mérite pas, je lui dis en le serrant un peu plus contre moi.

Il finit par s'endormir contre moi. On a pas parlé plus que ça de ce qu'il s'est passé, de la cure qu'il va suivre ou de quoi que ce soit d'autre. Mais c'est pas grave, maintenant, on a le temps pour ça. Et je serai là. Je serai toujours là. Je dois simplement trouver un moyen d'être sûr que l'année prochaine, je ne l'abandonnerai pas encore une fois.

— On a un espoir, me dit Riley comme s'il avait lu dans mes pensées.

— Comment ça ?

— Jude s'est souvenu de notre relation alors que n'importe qui d'autre l'a oublié. Même nous. Ça ne veut dire qu'une chose ... Ce souvenir a réussi à échapper à la Léthé. Ça veut dire qu'il y a un moyen de ne pas oublier.

C'est vrai ... Riley a raison. Il reste un espoir de se souvenir. Mais à quel prix ? Pourquoi se souvenir de son frère sortant avec un autre garçon plutôt que de sa propre addiction, sa propre overdose qui aurait pu lui coûter la vie ? Quel est l'intérêt ? Je n'en vois pas. J'aurais préféré qu'il oublie ma relation et se souvienne qu'il a déjà risqué sa vie une fois et qu'il doit s'éloigner impérativement de la drogue.

Je le sens remuer contre moi. Il a l'air de faire des cauchemars. Il est comme en train de se débattre contre un ennemi invisible, un monstre énorme qui semble vouloir l'écraser de tout son poids. Une version horrifique de son addiction sûrement. Alors je passe ma main dans ses cheveux, le caressant jusqu'à sentir son corps se calmer et s'immobiliser.

— Ne me laisse pas tomber, marmonne-t-il en se rapprochant de mon étreinte.

— Hey Jude, ne sois pas effrayé, je lui réponds avec un petit sourire.

Et je ne bouge pas. Je le regarde dormir, paisible, et n'ose même pas regarder ailleurs comme si une minute d'inattention suffirait à ce qu'il disparaisse. Je sens à quelques moments Riley bouger de sa place, aller nous chercher de quoi boire, de quoi manger, de quoi s'occuper. Je crois qu'à un moment je m'assoupis contre mon frère. Lorsque je me réveille, je suis recouvert d'un drap et je tiens toujours mon frère contre moi. Riley a rapproché sa chaise et me regarde.

Pendant quelques secondes, aucun de nous ne détourne le regard. Je n'aurais jamais pensé que simplement plonger mon regard dans le sien pourrait m'apporter un aussi grand sentiment de bien-être. Comme si je me trouvais à ma place.

J'ai envie de l'embrasser. Et je pense que lui aussi puisqu'il se lève de sa chaise et vient poser ses lèvres sur les miennes, ses doigts glissant dans mes cheveux, m'obligeant à basculer ma tête en arrière. Ses dents attrapent ma lèvre inférieure et la tire légèrement avant de la lâcher et de s'éloigner de quelques millimètres. Assez pour que ses lèvres ne touchent plus les miennes mais que son souffle s'échoue contre le mien.

Il s'approche à nouveau lorsque Jude se réveille en sursaut. Il geint de douleur, haletant comme s'il venait de gravir le mont Everest et me lance un regard perdu.

— J'ai failli mourir, me dit-il.

Et pour la seconde fois de la journée, les larmes dévalent ses joues pendant que je le sers tout contre moi. Il a trop de choses douloureuses à emmagasiner et il doit le faire à son rythme. Cette fois-ci, Riley ne s'éloigne pas. Il s'assit au pied du lit et pose sa main sur son tibia, tapotant doucement en une marque de réconfort. La pièce n'est remplie que des pleurs de mon frère et ça me brise le cœur.

Une dizaine de minutes plus tard, les larmes se tarissent mais Jude hoquète encore un peu. Il baille un grand coup et se réinstalle comme il peut dans le lit.

— Je pense qu'on va te laisser te reposer, je lui dis en me levant.

— Attends ! crie-t-il presque en m'attrapant par le bras. Il faut que je te dise un truc avant d'oublier ! Il faut que tu ailles dans la cabane des petits bois. Je ne sais pas où c'est, ce que c'est, mais l'année dernière, tu m'as demandé de garder cette information et de te la redire. Je ne sais pas si c'est mon accident qui a fait ça, mais je viens de m'en rappeler, aujourd'hui même.

— La cabane des petits bois ?

— Ouais. Ça te parle ?

— Nan, mais je demanderai à Reece. Il doit forcément savoir. ... Maintenant, repose-toi. Je repasserai demain. Je t'aime frangin.

Il me répond avant de lentement sombrer dans un sommeil que j'espère réparateur. Demain sera un autre jour, nous parlerons de ce qu'il arrivera à sa sortie de l'hôpital, de ce qui l'attendra après. Mais ça suffit pour aujourd'hui. J'estime qu'il a déjà eu sa dose d'émotions pour aujourd'hui.

On remonte dans la voiture de Riley et file jusque chez moi. Sur le chemin, j'essaye d'appeler Reece. En vain. Au troisième appel qui me renvoie jusqu'à sa boîte vocale, je ne peux m'empêcher de paniquer et de lui demander _ voire ordonner _ de me rappeler dès qu'il reçoit mon message. L'accident avec Jude est bien suffisant, je n'ai pas besoin qu'il arrive quelque chose à mon meilleur ami.

Riley comprend ma peur et accélère pour que je puisse rentrer chez moi au plus vite. Pendant ce temps, je continue d'harceler Reece d'appels et de messages. J'espère vraiment qu'il est simplement en train de parler avec Nora et qu'il ne fait juste pas attention à son téléphone. Ce qui est sûr, c'est que dès que je rentre, je pars chercher le double des clés de Reece et je fonce chez lui.

Il semble, cependant, qu'il m'ait devancé.

Lorsque Riley se gare, Reece est là, sur le palier de ma maison. Je ne sais pas s'il vient d'arriver ou s'il m'attend depuis longtemps, mais le simple fait qu'il soit devant chez moi et non pas dans ma chambre m'inquiète. Je ne perds pas une minute et sors de la voiture pour le rejoindre. A peine, j'arrive devant lui, je me mets à débiter trop de choses à la suite pour qu'il puisse suivre. Mais je n'y peux rien, il y a trop de choses qui sont arrivées aujourd'hui.

— Faut qu'on monte pour que je te raconte tout en détail ! Mais tu vas halluciner. Il peut rien arriver de plus bizarre aujourd'hui.

— Nora est ma sœur, lâche-t-il finalement.

Je me fige, le temps d'assimiler ce qu'il vient de me dire.

Ok, il y a peut-être eu plus bizarre aujourd'hui.