Chapitre 6
Sixième chapitre
Esméralda avait parlé de l'hypnose à Christian qui l'engagea vivement à la faire. Elle se soumit à son avis, mais c'est la peur au ventre qu'elle accepta la thérapie. Sur le divan de la guérisseuse d'âme, en position confortable, Esméralda s'était laissé bercer par la voix douce à l'inflexion lente utilisée par la jeune femme. Elle s'était relaxée puis abandonnée aux images positives suggérées. Esméralda se sentait comme dans du coton. Et tandis qu'elle lâchait prise, des larmes avaient perlé sur ses joues. Les trois premières séances, Esméralda n'avait fait que sangloter. Lorsqu'elle reprenait ses esprits, ses joues étaient trempées et ses yeux brûlants. Esméralda était troublée. Elle se questionnait sur l'efficacité de l'hypnose et craignait encore que cela n'ouvre de nouvelles blessures au lieu de l'en débarrasser. Elle s'en était confiée à la psychologue qui l'avait rassurée. Pour elle, les pleurs d'Esméralda étaient une excellente chose. Cela signifiait que le travail avait commencé et qu'une action de libération se faisait en profondeur. Elle ajoutait que si elle persévérait, elle en verrait bientôt les fruits.
À la cinquième séance, alors qu'elle avait franchi l'état d'hypnose avec l'impression similaire de plonger dans de la ouate, Esméralda en était ressortie suffocante et affolée. Dans un demi-sommeil cotonneux, elle avait vu et senti le corps lourd de son père pesant sur sa poitrine d'enfant. Dès la sensation d'étouffement, quelque chose s'était débloquée en elle. D'abord de manière un peu confuse, elle avait perçu un petit rire nerveux. Elle avait reconnu les gloussements de son père et son souffle excité. Puis, au travers d'une vision floue, elle l'avait revu se trémoussant sur elle et dégoulinant sur sa peau nue. Les représentations de son père avaient disparu au profit d'images de mains d'hommes aux visages masqués qui la tripotait.
La boite de Pandore ouverte, l'expérience était traumatisante. Esméralda s'était réveillée en panique. Honteuse et sous le choc, elle avait refusé d'entendre l'enregistrement de la dernière séance et n'avait pas voulu raconter l'expérience de vive-voix. Elle avait préféré l'écrire, notant d'une main tremblante que toutes les scènes étaient enveloppées de brouillard et que les voix étaient presque inaudibles. Elle avait précisé qu'elle ne s'était pas vue en tant que victime, mais plutôt comme spectatrice de la situation. Alors que la psychothérapeute lui avait parlé de prise de drogue durant les abus, Esméralda avait eut un deuxième choc. Elle s'était effondrée et avait beaucoup pleuré.
Après d'abondantes larmes versées, Esméralda avait demandé en hoquetant comment de telles horreurs avaient pu disparaître de sa tête. Il lui fut répondu que les souvenirs ne s'étaient pas envolés, mais qu'ils demeuraient quelque part dans son subconscient. La psy avait expliqué que son amnésie venait de sa mémoire traumatique et que d'autres victimes comme elle, présentaient des blancs dans leur passé. Elle avait dit que paralysée par la violence des actes et sous l'effet de la sidération, le cortex cérébral humain produisait une trop grosse quantité d'hormones et de stress, et que cet excédent était dangereux pour l'organisme, particulièrement pour le cœur et l'encéphale. Par système de défense, le mécanisme neurobiologique de sauvegarde faisait donc disjoncter le cerveau qui mettait de côté les sévices et les brutalités dans des coffres-forts internes. La thérapeute avait souligné que l'hypnose n'avait fait que rouvrir ses tiroirs fermés à clef depuis des lustres, mais que le passé revenu à la lumière devait être traité puis asséché, afin d'entamer un travail de résilience, de libération et de pardon.
Pour éviter qu'Esméralda ne sombre avec ses souvenirs, il fallait donc rapprocher les séances d'hypnose et accélérer le travail. Ainsi, de connexions en reconnexions, la mémoire d'Esméralda s'ajusta à sa réalité. Avec douleur, elle comprit qu'en plus de son initiateur de père, d'autres voleurs avaient forcé la porte de sa grotte et l'avaient aussi vandalisée. D'après ses éléments, elle avait pu dater les premiers viols à l’âge de cinq ans environ et les derniers au décès de son père. Soit, l'année de ses douze ans.
Esméralda avait mentionné ses changements de personnalité fréquents, éprouvants et déstabilisants pour ses proches. La thérapeute avait alors expliqué que le sadisme des adultes et les abus rituels subis, l'avaient obligée à se dissocier mentalement d'elle-même pour survivre à l'horreur et qu'elle s'était donc fondue dans des identités multiples. Elle lui apprit alors qu'elle souffrait d'un TDI important " trouble dissociatif de l'identité ".
Enfin une bonne nouvelle ! Esméralda pouvait enfin mettre un nom sur ses troubles. Elle n'était donc pas folle ! Son corps avait simplement mis en place des systèmes de défense.
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