Chapitre 7

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Septième chapitre

Esméralda secoua la tête. Elle se détacha de ses pensées morbides, puis penchée en avant, elle récupéra son verre qui avait roulé sous la table basse. Elle y versa le fond de whisky restant qu'elle avala d'une traite et fit claquer sa langue sur son palais. Le dos plaqué sur le dossier du divan, elle plaça son verre vide entre ses jambes croisées, ramena ses cheveux vers l'arrière pour dégager son front, et d’une main molle, elle appuya sur la télécommande de l'appareil Hifi.

Tchiqui ! Bang ! Tchiqui ! Bang !

La musique d'introduction de "Dance me to the end of love" de Léonard Cohen, anima le salon de sa cadence latine. Une douce chaleur envahit Esméralda. Très vite, elle se prit à rêver que Léonard Cohen chantait pour elle, et séduite, elle remua la tête au rythme de l’aubade, s'associant au chanteur en duo langoureux.

Dance me to your beauty with a burning violin, fredonnait-elle. Dance me through the panic 'til I'm gathered safely in lift me like an olive branch and be my homeward dove. Dance me to the end of love. Dance me to the end of love. Oh let me see your beauty when the witnesses are gone. Let me feel you moving like they do in Babylon. Show me slowly what I only know the limits of… Dance me to the end of love

À l'écoute de la voix suave et rauque du crooner américain, Esméralda frissonna et reprit le refrain à voix basse :

Dance me to the end of loveDance me to the end of love… Oh Léonard... faites-moi danser jusqu'à la fin de l'amour...

Esméralda posa son verre sur la table basse et alla se placer au milieu du salon. Les bras levés, elle débuta une danse aguichante. Poupée molle et sensuelle, elle ondula, se balança et chaloupa comme une gogo danseuse. Les paupières closes, Esméralda faisait le show devant des murs imperturbables. Elle caressait ses cheveux, son visage, sa gorge et sa poitrine tendue, puis effleura sa bouche d'un index érotique. Dans un mouvement sec, elle colla ses paumes sur son bassin et accompagna son déhanchement. Saoule et désinhibée, Esméralda s’enivrait des paroles susurrées par le chanteur de charme.

Dance me to the wedding now, dance me on and on, fredonnait-elle. Dance me very tenderly and dance me very long. We're both of us beneath our love, we're both of us above. Dance me to the end of love. Dance me to the end of love.

Comme en transe, Esméralda n'était plus elle-même. Dans un jeu de séduction avec Léonard Cohen, elle promenait ses mains sur son corps alanguie en s'imaginant lui faire l'amour. Ses mains frôlèrent ses mamelons dressés et le désir monta en elle. Ses lèvres et son bassin se tendirent vers la voix chaude aux intonations viriles. Offerte à cette main de fer dans un gant de velours, Esméralda fantasmait.

— Serrez-moi dans vos bras, Léonard... susurrait-elle les yeux fermés. Serrez-moi fort…

En besoin d'amour et d'affection, Esméralda s'abandonnait au chanteur populaire, gentleman romantique et merveilleux poète. Elle se consolait dans ses bras imaginaires et faisait de lui son amant, son ami, son frère et son confident du moment. Bras à l'horizontal, elle se mit à tourner comme une enfant quand soudain, sa vue se brouilla. Elle chancela et tomba de sa hauteur. Sur le sol, plus engourdie par l'alcool que par sa chute, Esméralda tendit un bras en direction du haut-parleur où la voix profonde résonnait encore.

— Léonard, aimez-moi, implora-t-elle en se caressant. Venez vite me prendre dans vos bras. J'ai si froid... Si froid...

La chanson terminée, Esméralda garda les paupières closes et reprit sa réflexion : « Léonard Cohen....Cohen ? C'est un nom juif... tout comme toi ma chère mère. Toi, la juive ! La sépharade ! Et moi, ta fille. Fille de quoi ? Fille de rien ! Fille que tu n’as pas su protéger ! Si je suis morte à l'intérieur, c’est aussi à cause de toi ! Je suis morte parce que tu as laissé faire ! Tu as permis qu’il me viole. Tu as permis qu'on me détruise et qu’on me tue ! Le savais-tu ? Bien sûr que tu le savais ! Tu le savais mais tu fermais les yeux ! Je suis certaine que tu étais complice de cette infamie, ma très chère mère indigne ! Peut-être même en étais-tu l’instigatrice. Je te vomis ! Je te déteste ! Je t’exècre ! À mes yeux, tu n’es pas ma mère ! À mes yeux, tu es seulement ma génitrice doublée d'un monstre ! Tu es un monstre qui m’a offert en pâture à mon père ! À ce fou ! Soyez maudits tous les deux ! Vous qui ne m'avez jamais aimée ! Vous qui m’avez conçue pour assouvir vos fantasmes malsains ! Maudits ! Maudits êtes-vous ! Arrgghhh ! Je ne méritais pas ça ! Non ! On dit que la roue tourne... que la chance peut aussi tourner… Foutaises ! Le malheur s’accroche toujours aux mêmes. Il ne les lâche jamais ! Jamais ! Quand on naît sous une mauvaise étoile, le bonheur nous échappe sans cesse. Il ne veut pas de nous. Il nous fuit. C’est comme ça. C'est toujours comme ça. Comment l'accepter et ne pas sombrer ? Comment ne pas lâcher ? Tenir...ne pas lâcher... c'est tellement dur... Oh monsieur Cohen, aimez-moi… Aimez-moi s'il vous plait. Empêchez-moi de trop souffrir. Empêchez-moi de retomber dans le gouffre… Venez m'enlever dans ma chambre de petite fille. Venez me libérer de ces hommes ; de ces géants qui me maltraitent et m'assassinent. Ne les laissez plus me faire du mal. Léonard, aidez-moi... Par pitié, aidez-moi…

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