Chapitre 1
L'aube naissante accompagne la voiture de police dans les rues de Marseille. Pas de sirènes, il faut faire vite et se montrer discrets. Bientôt, il sera six heures et les trois fonctionnaires pourront jaillir de leur Renault Mégane banalisée pour cueillir le suspect à son domicile.
— C’est bon les mecs, on peut y aller !
Le petit groupe se dirige vers un modeste immeuble de la rue Paul Codaccioni, dans le 7e arrondissement.
— Merde, la porte est fermée.
— Ne sonne pas chez Van-Hecke, petit, nous allons le cueillir à l'entrée de son domicile, c'est plus sûr ! Il ne faut pas lui laisser l'opportunité de se tirer chez la voisine, si tu vois ce que je veux dire... Le jeune flic en uniforme sélectionne un nom au hasard. L'interphone grésille et la voix d'une vieille dame résonne.
— Qui est-ce ? On n'a pas idée de réveiller les gens si tôt.
— C'est la police, ouvrez-nous, s'il vous plaît.
Ici, quand on entend le mot police vers six heures du matin, on ne fait pas le malin et on obéit. Question d'habitude... Le clic magique déverrouille la serrure.
L'appartement est situé au 2e étage sans ascenseur, les trois hommes s'engagent dans l'escalier en prenant soin de ne pas faire de bruit. Une fois sur le palier ils stoppent devant la porte côté droit.
— Merde, il n'y a pas de nom.
Le plus âgé d'entre eux, le seul qui est en civil, désigne la porte d'en face. L'un des flics s'approche et déchiffre le patronyme sur la plaque. Il chuchote.
— Paoli.
Le dénommé Van-Hecke n'a pas daigné afficher son identité sur la porte d'entrée de son domicile. Un homme discret sans doute... Le flic appuie sur la sonnette qui reste muette. Le plus costaud frappe violemment sur l'unique battant. Tandis que le vieux hurle.
— OUVREZ, Monsieur Van-Hecke, c'est la police !
À l’intérieur, personne ne bouge. L'homme répète deux fois la même injonction avant qu'un léger frémissement ne s'opère et qu'un mince rai de lumière filtre de l’œilleton. Le gars les observe, c'est sûr.
— Ouvrez, nous savons que vous êtes là.
Le temps d'un cliquetis et la porte s’entrouvre. Le flic balèze la pousse brusquement et tout le monde pénètre dans l'antre du lascar. Une odeur de friture et de renfermé les saisit.
— Inspecteur Stéphane Maurin, il est 6 h 05, vous êtes suspecté d'un délit très grave, Monsieur Louis Van-Hecke. Les faits ont eu lieu dans la nuit.
— Les faits ? Quels faits ? J'ai rien fait, moi !
Le pauvre Louis est hagard, il est simplement vêtu d'un slip et d'un tee-shirt. L'irruption de la police l'a surpris dans son sommeil.
— Nous vous dirons ce qui vous est reproché quand nous aurons rejoint l’Évêché. En attendant, habillez-vous et munissez-vous de vos pièces d'identité, carte bancaire, téléphone portable. Avez-vous un ordinateur ?
Van-Hecke opine et lui désigne un PC portable simplement posé sur l'unique table de la pièce. Il enfile un pantalon, un sweat et un blouson et se saisit de sa sacoche. Le flic Balèze lui passe les menottes.
L'inspecteur enfile des gants en latex et fouille le contenu de la sacoche.
— Où est votre téléphone portable, je ne le vois pas ? Votre carte bancaire n'est pas rangée dans votre portefeuille !
— J'en sais rien, les deux devraient être dans la sacoche, regardez encore.
— Bon OK, Monsieur veut jouer les idiots. On l'embarque. Nous reviendrons fouiller son appart dans la journée.
C'est en se dirigeant vers la porte pour sortir que la carte bancaire leur apparaît. Elle est posée sur le sol, à environ 50 centimètres du seuil. Stéphane Maurin la ramasse et l'insère dans une pochette plastifiée.
— Quel bordel ici, bougonne l'inspecteur, il est probable que son téléphone se trouve au beau milieu de ce fatras. Bon, on pose les scellés et on file.
Louis Van-Hecke est embarqué manu militari dans la Mégane, il est très loin de réaliser ce qui l'attend.
À quelques mètres de là, un homme dans une voiture observe la scène. Il est garé et dissimule son visage en faisant mine de lire le journal.
*
Louis est originaire de Dunkerque où il a travaillé comme cariste sur le port. Il n'est pas né une cuillère en argent dans la bouche. Ses parents, toujours vivants, se sont séparés alors qu'il n'avait que dix ans.
Son père, qu'il n'a pas vu depuis plusieurs années, s'est remarié en s'empressant de recommencer les mêmes erreurs, avec sa nouvelle compagne, que celles commises avec sa mère. Alcoolique invétéré, il a poursuivi sa longue déchéance sans aucune prise de conscience du mal qu'il pouvait faire autour de lui. Dès que l'usine le libère, c'est le bar et les copains qui l’accueillent avant qu'il ne rentre au bercail pour engueuler tout le monde et très souvent se coucher sans même manger. Avec cette femme, il a engendré une flopée de gamins, des demi-frères et sœurs que Louis ne connaît pas. Que Louis ne connaîtra pas...
Sa mère est une femme courageuse. Elle a très vite compris la véritable nature de son ex-mari, si bien qu'après la naissance de Louis, elle a fait en sorte de ne plus se reproduire avec le père de son unique enfant. Louis et sa mère sont toujours en contact, ces deux taiseux n'ont pas grand-chose à se dire, mais ils s'aiment profondément.
Louis a suivi une scolarité normale. Élève moyen, doué d'une intelligence moyenne elle aussi, il a hérité de sa mère ce côté vaillant, dur au mal et opiniâtre. Adolescent, il a suivi une formation professionnelle qui lui a ouvert les portes du petit monde portuaire de Dunkerque. Un regrettable incident l'a contraint de s'éloigner de cette ville pour rejoindre Marseille.
Cet homme, qui se trouve embarqué dans une histoire qui le dépasse, n'a pas, a priori, le profil d'un tueur !
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