Chapitre 2 - Tout accuse Van-Hecke
Le grand rush des Marseillais qui vont au boulot ou des banlieusards qui gagnent la cité pour la même raison n'a pas encore commencé. Le trajet à fond les ballons, sirène hurlante, est rapidement bouclé. À peine sorti du tunnel Saint-Laurent et la cathédrale de la Major apparaît. Sur sa droite, se trouve l’évêché qu'on ne présente plus.
Louis est introduit dans le bureau de l'inspecteur. L'interrogatoire, en présence de sa charmante adjointe, Mélissa Lebrun, va débuter.
— Que faisiez-vous cette nuit, Monsieur Van-Hecke ?
— La même chose que vous, je présume. Je dormais.
— À votre place, j'éviterai de faire le malin. Vous vous doutez bien que si je vous pose la question, c'est que je dispose de quelques éléments qui me permettent d'en douter. Est-ce que vous voulez dire que vous n'avez pas quitté votre domicile durant la nuit ?
— Oui, j'ai regardé la télé et ensuite, j'ai dormi.
Maurin se tourne vers Mélissa. Elle prend la parole.
— Pendant la nuit, un meurtre a été commis à 2 h 30 précises dans le secteur du quartier de l'opéra. La victime a reçu deux coups de couteau, l'un dans le cœur, l'autre dans le cou, au niveau de la trachée-artère. L'homme qui a donné la mort sortait du bar "L'ange bleu". Il a attendu que sa victime le rejoigne avant de la poignarder. Une caméra de surveillance a filmé la scène, c'est pour cette raison que nous connaissons l'heure exacte des faits.
— Je ne comprends pas pourquoi vous me racontez tout ça, Madame.
— Pour au moins deux raisons. La première étant que le meurtrier a consommé une boisson dans ce bar et vous savez quoi ? Il a payé avec sa carte bancaire. Ce détail est fâcheux pour ce qui vous concerne, car nous avons demandé à la banque émettrice les coordonnées du client.
L'inspecteur lui coupe la parole.
— Et vous savez quoi ? Le titulaire de la carte est un certain Louis Van-Hecke, domicilié rue Paul Codaccioni à Marseille.
Louis perd pied, il ne semble pas comprendre ce qui lui arrive.
— Mais c'est pas moi, à 2 h 30, je dormais. Je n'ai rien consommé dans ce bar que je ne connais même pas.
— Dites-moi alors pourquoi le paiement a été réglé avec votre carte. De plus, il faut un code pour utiliser ce moyen de paiement, un code confidentiel que vous seul connaissez.
—Non ! Avec un sans contact tout le monde peur utiliser une carte, si la somme est inférieure à 50 €. Ma carte m'a été volée, voilà tout.
Maurin interroge des yeux Mélissa. Celle-ci lui tend le ticket de caisse. La somme indiquée est de 12,50 €. L'inspecteur paraît contrarié.
— De toute façon, la carte a été retrouvée à votre domicile, donc le montant de la somme payée n'a que peu d'importance.
— On l'a aperçue au moment de sortir derrière ma porte d'entrée. Le voleur me l'aura dérobée et après l'avoir utilisée pour qu'on m'accuse, il l'aura glissée sous la porte.
La jeune femme qui sent son patron excédé intervient.
— Je vous ai parlé d'une seconde raison susceptible de vous mettre en cause. L'enregistrement de la caméra, même s'il n'est pas tout à fait net, laisse apparaître la silhouette d'un homme aux cheveux courts et noirs, d'une stature de 1,80 mètre. Ce qui vous correspond. Il était vêtu d'un Jean et d'un blouson noir.
Van-Hecke ne répond rien.
— Nous allons vous boucler pour l'instant et aller interroger le patron du bar. Ensuite, nous nous rendrons à votre domicile pour contrôler que vous êtes bien en possession du type de vêtements que vous a décrit mon adjointe. Nous comptons bien y retrouver aussi votre téléphone. Inutile de vous dire que s'il a borné du côté du quartier de l'opéra cette nuit, vous êtes cuit.
— Mais enfin Monsieur l'inspecteur, tout le monde a chez lui un jean et un blouson noir. C'est pas une preuve ça !
Maurin est réellement agacé par ce type qui nie l'évidence.
— Arrêtons de plaisanter. Qu'avez-vous fait du poignard après le meurtre, Van-Hecke ? Vous en êtes-vous débarrassé ? Vous devriez coopérer, la justice vous en saurait gré. Nous savons que vous êtes l'assassin. Dites-nous qu'elle était le différend qui vous opposait à la victime. Que...
Sa phrase est interrompue par la sonnerie du téléphone. La jeune femme s'en saisit.
— Mélissa Lebrun, c'est pour quoi ?
Elle repose le combiné.
— Une voisine de monsieur Van-Hecke a averti la police que la porte de son appartement avait été forcée, les scellés ont donc été rompus.
— Vous voyez, quelqu'un est venu chez moi pour me nuire.
— Ou, si c'est un complice, pour vous aider à faire disparaître d'éventuels indices.
— Nous allons nous partager les tâches Melissa. Prenez un gars et allez interroger le patron de l'Ange bleu, je retourne faire un tour chez ce Monsieur.
*
9 h 30, Mélissa et un jeune flic se pointent devant l'Ange bleu. Il s'agit d'un ancien bar à hôtesses qui a délaissé cette activité aux accents sulfureux pour le commerce classique des ventes de boissons, alcoolisées ou pas. Cet établissement tire l'essentiel de son chiffre d'affaires de la fréquentation d'une clientèle particulière : celle des couche-tard. Y aura-t-il quelqu'un ce matin ? Le policier secoue le rideau métallique à demi baissé. Un homme vient remonter le store.
— Bonjour.
Mélissa lui présente sa carte professionnelle. Précaution inutile, car son collègue est en uniforme.
— Nous devons parler à la personne qui officiait au comptoir cette nuit. Pouvons-nous entrer quelques minutes ?
Le gars s’efface pour les laisser pénétrer et repositionne le rideau comme il l'était.
— C'est moi. Je suis également le gérant ici. Je suppose que cela concerne ce qui s'est passé.
— Vous avez déjà eu affaire cette nuit à mon chef, l'inspecteur Maurin, mais il n'a pas eu le temps de vous interroger en détail. L'urgence était d'appréhender le suspect. Son identité a été révélée par la banque émettrice de la carte ayant servi au paiement. Nous avons donc besoin d'un complément d'informations, C'est la raison de notre visite ce matin. Pour la procédure, j'ai besoin de connaître vos coordonnées. Vous êtes ?
— Amir El Fassi, je suis d'origine marocaine, mais j'ai la double nationalité.
— Bien Monsieur El Fassi. Reprenons les choses dès leur commencement.
Le pauvre Amir, qui espérait se reposer d'une longue nuit, pressent qu'il va attendre un peu avant de dormir. Fataliste, il fait bonne figure et se plie à ce complément d'interrogatoire...
— La caméra de surveillance a pu déterminer que le meurtrier venait de sortir de chez vous quand il a agressé la victime. Pouvez-vous nous dire combien de temps, il est resté à consommer dans votre bar ? Et vers quelle heure il y est entré ?
— Il a dû rester vingt minutes au plus, mais j'avoue que je n'ai pas particulièrement fait attention à lui. Il a commandé un whisky et il l'a consommé à une table éloignée du comptoir. Quant à son heure d'arrivée, je me souviens qu'en prenant sa commande, il m'a dit qu'il était 2 h 10 et qu'il était pressé. Il devait sans doute avoir une obligation, ou bien un rendez-vous.
— Vous l'avez vu de près quand il est venu régler. Essayez de vous souvenir. À quoi ressemblait-il ?
— Il était plutôt grand et athlétique, brun, les cheveux courts, vêtu sobrement d'un sweat de couleur bleue, je crois.
— Comment ça, vous croyez.
— Vous savez madame, je n'avais aucune raison particulière de le détailler de la tête au pied, d'autant plus qu'il y avait du monde... Ce dont je suis certain, c'est qu'il portait un blouson noir et un jean. C'est tout ce que je peux vous dire.
— Vous avez tout de même vu son visage.
— Je me souviens qu'il avait un visage aux traits réguliers, sans cicatrice. Le gars devait avoir entre trente et quarante ans. Il y a tout de même un détail qui m'a intrigué, il portait des lunettes suffisamment teintées pour qu'on ne distingue pas la couleur de ses yeux.
— Vous voyez quand vous voulez ! Voici une information qui peut avoir son importance... Comment s'exprimait-il, avait-il un accent ?
— Le bar était bondé, nous avons dû hausser le ton pour nous comprendre. Je ne me rappelle pas s'il avait un accent ou pas.
— Autre chose que vous auriez remarqué ?
Le barman secoue la tête négativement.
— Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé ainsi que pour vos efforts de mémorisation. D'ailleurs, si de nouveaux détails vous revenaient...
Mélissa Lebrun lui refile sa carte et les deux flics prennent congé.
*
— Allô, Monsieur Maurin ? C'est Mélissa.
— Je vous ai déjà demandé de m'appeler Stéphane. Nous bossons dans la même équipe à présent. Vous n'allez pas me servir du Monsieur Maurin ou du Monsieur l'inspecteur à tout bout de champ ! Vous voulez me rappelez mon âge, c'est ça ? C'est pas vieux cinquante ans, Non ?
Elle s'esclaffe.
— Excusez-moi Stéphane, je vais encore essayer. Non c'est pas vieux cinquante ans, c'est juste un peu moins jeune que vingt-sept...
Il rit lui aussi, leur différence d'âge est un prétexte à ce type d'échanges bon enfant.
— Vous avez interrogé le Barman de l'Ange bleu ?
— Oui, c'est l'objet de mon appel. Van-Hecke, si c'est bien lui qui était dans son bar cette nuit, portait un sweat de couleur bleue sous son blouson. Un détail lui est également revenu, l'homme était équipé de lunettes de soleil si bien qu'il n'a pu voir la couleur de ses yeux et...
L'inspecteur l'interrompt et crie à l'intention de ses hommes : « Chercher un sweat-shirt bleu et des lunettes de soleil, les gars ». Puis, il se tourne vers Mélissa.
— Autre chose ?
— Selon Amir El Fassi, c'est le nom du gérant, notre suspect est resté environ vingt minutes dans le bar. Le meurtrier lui aurait lui-même dit, en commandant un whisky, qu'il était 2 h 10 et qu'il était pressé, car il avait un rendez-vous. Or, à 2 h 30, il poignardait sa victime en sortant de l'Ange bleu ! Ça colle vraiment, non ?
— Oui, effectivement.
— Un homme qui donne rendez-vous au type qu'il projette de tuer ne s'affiche pas en public et ne paye pas ses consommations avec sa carte bancaire. C'est comme signer officiellement son crime pour faciliter le travail des flics. Nous savons que l'assassin s'est immédiatement jeté sur la victime dès qu'il l'a vue. Le meurtre était donc prémédité. Beaucoup de choses accusent Louis Van-Hecke, Stéphane. Ou plutôt, trop de choses l'accusent.
— Vous cherchez la petite bête, là. Heureusement pour nous, tous les criminels ne sont pas des lumières et Van-Hecke n'a pas l'air très futé. Arrêtons d’interpréter et basons-nous sur le dossier et les indices concordants. Les preuves ne vont pas tarder à tomber.
— Et de votre côté Stéphane, avez-vous avancé ?
— L'appartement n'était pas un modèle d'ordre et de propreté et depuis qu'il a été "visité", c'est encore pire. Nous avons néanmoins trouvé son portable et on vient de me rapporter un sweat-shirt bleu qui pourrait correspondre. Nous n'avons pas vu de paire de lunettes solaires.
— Qu'est-ce qui a été volé ?
— Apparemment rien, mais il est difficile de l'affirmer en l'état.
— Il est tout de même étonnant que le cambrioleur n'ait pas emporté le téléphone, c'est un objet de valeur.
— Je vous vois venir Mélissa, arrêtez de vous faire des films. D'ailleurs, vous savez quoi ? Ledit téléphone va probablement nous en dire plus...
*
Stéphane Maurin est un besogneux, il a cinquante ans, mais il en fait plus. Célibataire endurci, il consacre l'essentiel de son temps à son travail. Il est parfois buté, par contre il possède une qualité rare : il sait reconnaître ses torts, mais il lui faut tout de même du temps pour l'admettre...
Lors d'une enquête, il est convaincu qu'il faut s'attacher aux faits et uniquement aux faits. Néanmoins, il n'applique pas toujours ce principe, car il pense avoir, ce que nous nommerons de l'intuition, mais que lui appelle du flair. Il fonctionne un peu à l'ancienne, quand on lui parle de profileur, il sourit d'un air entendu. Encore une connerie qui nous arrive des States... Pourtant, il gagnerait à s'ouvrir aux nouvelles techniques d'investigation quelles qu'elles soient. Les profils psychologiques des personnages jalonnant le parcourt d'une enquête, il ne fait que les effleurer. Stéphane n'est pas du genre à entrer dans la tête d'un criminel. Cependant, l'inspecteur Maurin est un bon flic, considéré ainsi par ses pairs.
Depuis six mois, il fait équipe avec sa jeune adjointe, Mélissa Lebrun. Cette collaboration est prometteuse, car la jeune femme aborde les affaires qu'ils ont à traiter de manière différente. Elle sait lui apporter la contradiction, quand c'est nécessaire, sans le braquer.
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