Chapitre 4

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Deux jours avant le meurtre...

Il est 22 h 30 et Costadino Hasani, dit Costa, arpente la contre-allée du boulevard Michelet. Pour qui connaît Marseille la nuit, il est inutile de préciser que ce périmètre, tout à fait respectable le jour, se transforme en haut lieu de la prostitution dès le coucher du soleil.

L'albanais observe "ces dames" avec intérêt, lorsque à l'angle d'une ruelle, il l'aperçoit. Elle ? C'est Sophia, une habituée du coin. Elle est si naturellement jolie que sa panoplie ostentatoire de tapineuse ne parvient pas à l'habiller de vulgarité. Costa l'aborde en lui parlant albanais, il sait qu'elle est française, mais il veut tester ses réactions.

Mirëmbrëma, e dashura ime, sa janë çmimet tuaja ?

— J'ai rien compris, parle français, s'te te plaît.

— Excuse-moi, tu ressembles aux filles de mon pays. Aux jolies filles de mon pays.

— Et d'où viens-tu, beau brun ?

— Je suis Albanais. Et toi, tu es Française ?

La fille recule d'un bon mètre et le regarde d'un air inquiet. Le métier qu'elle pratique lui a enseigné que de nombreux ressortissants de ce pays sont à la tête de plusieurs réseaux de prostitution. Généralement, ils font venir de force des filles de l'Est. Ils sont réputés pour ne pas être des tendres...

— N'aie pas peur de moi, je ne te veux aucun mal. Mon nom est Costa, quel est le tien ?


Il a l'air aimable et il est plutôt jeune et beau mec. Elle semble à moitié rassurée.

— On m'appelle Sophia ! Ne me dis pas, vu ton physique, que tu as besoin des services d'une prostituée pour satisfaire ta libido.

— Détrompe-toi. Tu as vu ta réaction quand je t'ai dit d'où je venais ? Nous autres, les Albanais, avons très mauvaise réputation, nous inspirons la peur aux femmes. Et puis, je peux bien te l'avouer, tu me plais vraiment. Tu ressembles à celle que j'ai laissée la-bas.

— Tu as un excellent niveau de français, ce qui veut dire que tu es ici depuis quelque temps déjà. Tu dois donc connaître beaucoup de filles...

— Je suis en France depuis six mois seulement. Dans le lycée où j’étudiais, en Albanie, le français était la langue qu'on enseignait et j'étais très assidu.

— Que veux-tu de moi ?

— Ce que les hommes demandent aux filles comme toi.

— D'accord, Costa. Voici mes tarifs...

— Je paierai le prix, inutile de m'en dire plus.

Sophia a un mec, ou plutôt un mac. Il lui loue un studio à une cinquantaine de mètres de son lieu de racolage. C'est ici qu'elle fait monter ses clients. Niveau sécurité, un système de surveillance vidéo filme les parties communes de l'immeuble. Quand elle attire un nouveau client, elle lui montre les caméras. Cet avertissement dissuade les plus téméraires de franchir certaines limites... En cas d'agression ou de comportement inapproprié, ils savent qu'on peut les identifier...

*

Costa et Sophia, encore nus, sont étendus sur le lit. La passe a duré plus longtemps qu'à l'accoutumée. Le jeune homme avait très envie... Costa ne la laisse pas indifférente et elle doit reconnaître qu'il fait bien l'amour. Cependant, un truc l'a gênée. Durant l'acte, alors qu'il lui faisait face, ses yeux noirs sont venus se planter dans les siens. Son regard exprimait quelque chose d’inquiétant, comme une menace voilée. Elle décide d'écourter ce moment et de se remettre au travail.

— Tu dois partir et me payer maintenant.

Il se retourne brusquement et se jette sur elle. Son corps l'écrase. D'une main, il enserre ses poignets, elle ne peut plus bouger. De l'autre, il l'étrangle lentement. Sophia est dans l'incapacité de crier. Elle sent sa dernière heure arriver, mais soudain, sans raison apparente, il relâche son étreinte et s'assoit au bord du lit. Il lui sourit à présent. Elle le regarde sans mot dire. Costa se lève et lui demande de rester où elle est.

— Je crois qu'une mise au point s'impose. Je vais donc t'expliquer comment ça va se passer maintenant, entre toi et moi. JE ne vais pas te payer et TU vas me donner 60 % de TOUT ce que tu gagneras. Ce changement interviendra dès demain.

Elle ne le laisse pas finir.

— Mais j'ai un mac. Il ne va pas être d'accord.

La gifle arrive sans qu'elle ne l'ait vu partir. Une vraie taloche qui résonne en elle et provoque un sifflement aigu jusqu'aux tréfonds de son crâne.

— Ne m'interromps plus jamais. Ne te fais aucune illusion, ton mac, je sais qui c'est. Je vais lui expliquer calmement que la situation a changé. C'est moi qui te reprends en mains et il n'a plus son mot à dire. S'il ne comprend pas ça, j'en parlerai à mes amis. Nous autres, expatriés, savons nous montrer solidaires quand l'un de nous est contrarié dans ses projets...


*

Costadino Hasani est mort à présent, deux jours après cette scène violente qui a révélé sa cruauté, un homme l'a tué. À l'exception des quelques compatriotes émigrés, ceux qui forment une des composantes de la pègre de la ville, il ne manquera à personne. Cet homme de vingt-cinq ans n'était qu'une petite frappe. Il n'avait d'autres ambitions que de gagner du galon en exploitant la misère de ce bas monde. Les pauvres filles, sous sa coupe, n'étaient qu'une marchandise, une monnaie d'échange. Corvéables à merci, elles devaient obéir et se taire, sinon il les battait, les humiliait. Costa était un homme sournois qui ne connaissait qu'une seule loi, celle des rapports de force et de la crainte qu'il inspirait. Néanmoins, sa mort n'est pas une bonne nouvelle, car ceux de sa communauté vont vouloir le venger. En faisant cela, ils ne songeront pas spécialement à lui, beaucoup le trouvaient antipathique et prétentieux. Non, ce n'est pas de la mémoire de Costadino Hasani dont il sera question. En tuant un Albanais, le meurtrier s'est attaqué à tous les Albanais. Les lois du milieu sont ainsi, un crime ne doit pas rester impuni. Sinon, c'est la totalité de la communauté qui s'en trouverait affaiblie. Encore les rapports de force...

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