Chapitre 8 - Quand le doute s'invite au parloir
L'avocate se présente à l'accueil et demande à voir son client.
— Veuillez patienter, Maître Bergeron, Van-Hecke doit être extrait de la cellule disciplinaire dans laquelle il séjourne actuellement.
— Au mitard ! Mais que fait-il là ?
— Hier, un grave incident s'est produit lors de la promenade. Une bagarre a éclaté. Il est blessé, mais ce n'est rien en comparaison de son adversaire qu'il a sérieusement amoché. Il est encore à l'hôpital à l'heure où je vous parle.
La jeune femme dissimule sa surprise.
— Combien de temps devrais-je attendre avant de pouvoir le rencontrer ?
— Il vous faudra patienter vingt minutes, les procédures de sécurité sont renforcées pour ce type de détenus.
Une demi-heure plus tard, Annick Bergeron et Louis sont face à face au parloir. En constatant les stigmates encore présents sur le visage de son client, elle a un mouvement de recul.
— Je suis l'avocate, commis d'office, chargée de votre défense. Que s'est-il passé, hier ?
Le suspect lui relate sa version de l'incident, insistant bien sur le fait qu'il a été agressé sans raison par un Albanais et ses trois amis.
— Je ne leur avais rien fait à ces mecs, merde.
— Vous êtes accusé d'avoir tué Costadino Hasani de deux coups de couteau, les faits se sont déroulés le jeudi sept mars à 02 h 10 du matin. Le meurtre a eu lieu dans le périmètre du quartier de l'opéra, face à la devanture du bar l'Ange bleu. La victime était de nationalité albanaise. Il est probable que ceux qui vous ont attaqué connaissaient votre identité et la raison de votre présence ici. Dois-je comprendre que vous ignoriez cela ?
— La police ne m'a rien dit à ce sujet.
— Il est vrai que les policiers n'ont pas l'obligation de vous informer de tous le détails de l'enquête, par contre, ils auraient dû insister, auprès du juge des peines afin qu'on ne vous incarcère pas avec de potentiels amis de la victime. La communication inter-administrations n'est pas toujours irréprochable, elle peut donc générer des problèmes de ce type.
Elle reprend.
— Êtes-vous coupable des faits qui vous sont reprochés ?
— Non ! Le 7 mars, à 02 h 10 du matin, j'étais dans mon lit.
— Expliquez-moi alors pourquoi, la même nuit, une consommation a été réglée avec votre carte bancaire dans l'établissement, l'Ange bleu ? Pourquoi, la caméra qui a filmé le crime montre un profil du tueur qui vous ressemble beaucoup ?
— Quelqu'un veut me faire porter le chapeau. Quand les flics m'ont interpellé, ils ont trouvé ma carte bleue au sol, sur le seuil de mon domicile. Comme si on me l'avait piquée, qu'on s'en était servie et qu'on était venu la glisser sous ma porte pendant mon sommeil. Vous me croyez assez con pour payer avec ma carte et, juste après, zigouiller un type devant le même bar ? Il y a trop d'éléments qui m'accusent, ça arrange bien les flics d'avoir un coupable sous la main. Par exemple, pourquoi le jour même, mon appartement a été cambriolé. Bizarrement, on ne m'a rien volé, par contre, on découvre mon téléphone que les poulets n'avaient pas vu lors de mon arrestation. Je suis sûr qu'il a été ramené chez moi par le mec qui a crocheté ma serrure.
— Bien, je suppose donc que vous voulez plaider non-coupable. Faites attention, Van-Hecke, cette après-midi, nous sommes entendus par le juge d'instruction. L'enquête se poursuit et il faut nous attendre à ce que de nouveaux éléments soient dévoilés. Soyez prêt !
— Vous savez, Madame, je n'ai plus rien à perdre car tout m'accuse. Je continuerai à dire la vérité.
L'entrevue est terminée et deux matons viennent chercher Louis. Les box sont situés au centre d'un espace bordé par deux couloirs. D'un côté, les prisonniers regagnent leurs cellules, de l'autre, les visiteurs sont dirigés vers la sortie. Ce sont toujours les portes dédiées aux détenus qui sont ouvertes en premier, un système automatisé verrouille l'autre issue de chaque parloir pour parer à tous risques d'évasion. Annick observe son client s'en aller. Dans son esprit, des pensées contradictoires se télescopent. Le dossier ne plaide pas en sa faveur. Sera-t-elle à la hauteur de l'enjeu ? Une affaire de meurtre place toujours celui qui en a la charge devant une responsabilité singulière. En temps normal, pour ce type de dossier, la défense est assurée par, au minimum, deux juristes dont les compétences se complètent, ils se répartissent les tâches. Hélas, le prévenu n'a pas les moyens de se payer une ribambelle d'avocats. C'est comme ça depuis toujours, selon que vous soyez puissant ou misérable... Maître Bergeron a néanmoins la volonté de faire son boulot du mieux possible. Ce qui la perturbe, c'est ce sempiternel questionnement : mon client est-il coupable, a-t-il froidement assassiné un autre homme ? Pour l'instant, elle n'a pas tranché.
Louis est de retour dans sa cellule disciplinaire, son moral est au plus bas. Le sort s'acharne sur lui, il se dit qu'il n'a pas tiré le bon numéro à la loterie de la vie et que, depuis peu, ses malheurs s’accélèrent. Avant qu'il ne soit accusé de ce crime, il avait retrouvé un semblant d'équilibre. Oh, rien d'extraordinaire, pas de quoi grimper au rideau, mais il commençait à apprécier Marseille, si différente de Dunkerque, la cité de Jean Bart. Son nouveau job lui convenait et il espérait se constituer un cercle d'amis. Parfois, il surfait sur Meetic ou Élite et assouvissait des besoins qu'il souhaitait ne pas être exclusivement d'ordre sexuel. Hélas, les deux contacts ayant réellement abouti l'ont mis en présence de femmes mariées à la recherche d'un plan cul et dont la discrétion et l'aspect éphémère étaient les conditions. Mais là, à cet instant, ses pensées le ramènent à cette prostituée qu'il a rencontrée, il y a quelques semaines. Une jolie fille, ou plutôt une belle-de-nuit comme on appelle celles qui exercent cette activité. Paradoxalement, elle lui apporte plus que ces nanas des réseaux. Il sait qu'il a droit à un traitement de faveur car une fois la chose faite, ils passent du temps à bavarder tous les deux. Ces quelques minutes volées lui font le plus grand bien, Sophia est intelligente et sensible. Parfois, il se demande comment elle a pu en arriver à vendre son corps. Il ne la blâme pas, derrière chaque être humain se cachent des fantômes qui nous guettent et ne demandent qu'à nous entraîner au fond d'un gouffre...
Louis sait que sa convocation devant le juge va marquer un tournant. Il souhaite qu'à travers les nuages qui s'amoncellent apparaisse un petit coin de ciel bleu. Son avocate lui inspire confiance et elle l'aidera du mieux possible, mais il n'ignore pas que c'est de lui que doit venir son salut. Or, il n'a pas tout dit aux enquêteurs. La nuit du crime, il ne se rappelle pas ce qu'il a fait. La dernière chose dont il se souvient, c'est qu'il était attablé à la terrasse d'un café proche du Vieux-Port et qu'il buvait beaucoup. La conscience lui est revenue quelques heures plus tard. Quand il a entendu les flics tambouriner à sa porte et qu'il leur a ouvert. En les voyant il a compris qu'il avait peut-être fait une connerie...
Au fond de lui,Van-Hecke est convaincu qu'il n'a pas tué Costa, mais il ne se souvient de rien et ça le glace intérieurement.
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