Chapitre 13 - Derrière une glace sans tain

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Mélissa et son chef se garent sur le parking de Renault-La-Valentine. Stéphane a mis son adjointe au parfum. Les deux policiers sont venus rendre une visite de courtoisie à un certain Jani Elezi.

Les deux pénètrent dans l'antre rutilant du concessionnaire. À l’intérieur, les différents modèle de la gamme sont exposés à même le carrelage sombre. L'éclairage judicieusement dosé les place sous un angle idéal. Quelques curieux ou futurs clients vont d'un véhicule à l'autre. Un coin destiné aux enfants est aménagé afin d'éviter à nos chères têtes blondes de venir déranger leurs parents, attentifs au discours des vendeurs. Tout est prévu dans ce temple de la consommation. Tout, sauf peut-être, la visite d'un couple de flics.

— Nous aimerions voir le responsable, dit Maurin en présentant sa carte de police à la jeune femme de l'accueil.

L’hôtesse bredouille « oui, tout de suite » et cinq minutes plus tard Maurin et Mélissa sont introduits dans le bureau du gérant.

— Que puis-je pour vous ?

— Nous aimerions parler à l'un de vos employés, Monsieur Jani Elezi.

— L'Albanais ? Il travaille à l'atelier de mécanique. Ses papiers sont en règle, il nous a fourni un permis de séjour. Vous voulez le voir ?

— Non monsieur, nous ne sommes pas ici pour cette raison. Nous appartenons à La Criminelle.

— La Criminelle ! Mais qu'est-ce qu'il a fait ?

— Probablement, rien du tout, mais nous avons besoin de son témoignage dans le cadre d'une affaire en cours. Où pourrions-nous le rencontrer ?

— Je le fais appeler. Installez-vous dans la salle de réunion, il vous rejoint.

Mélissa et Stéphane n'attendent pas très longtemps.

— Bonjour Monsieur Elezi, nous devons vous poser quelques questions au sujet de l'un de vos compatriotes, Costadino Hasani, ça vous parle ?

Jani ne s'attendait pas à entendre ce nom, ici, sur son lieu de travail. Il est mal à l'aise.

— Oui, on étaient très proches car nous habitions le même village, en Albanie. Mais les choses se sont gâtées. D'ailleurs, si je suis là, en France, c'est pour ne plus avoir à le croiser au pays.

— Et pourquoi donc ?

Ils entendent l'homme raconter, peu ou prou, la même histoire que celle narrée par Marko. La jeune femme ne se contente pas d'écouter, elle analyse simultanément sa façon de s'exprimer. Mélissa remarque des pointes d'accent albanais à peine décelables dans le phrasé de Jani. Son allure générale est assez semblable à celle de Van-Hecke, si ce n'est l'expression de leurs regards et la couleur de leurs yeux qui diffèrent. Elle sait fort bien qu'il va être ardu d'identifier le client de l'Ange Bleu car il portait ce soir-là des lunettes de soleil. Elle coupe Elezi dans son récit.

— Savez-vous où se trouve votre ex ami ?

— Je sais qu'il est mort depuis plus de deux mois. Il a été assassiné à Marseille, à la sortie d'un bar.

— Comment l'avez-vous appris ?

— Notre communauté n'est pas très nombreuse. Tous les Albanais se connaissent, ici.

— Avez-vous revu Costa depuis qu'il est arrivé à Marseille ?

— Revu, non ! Mais il m'a contacté plusieurs fois par téléphone. Il voulait me parler. Je n'ai jamais répondu à ses messages.

— Comment se fait-il qu'il avait vos coordonnées ?

— C'est Djemal, le patron du Korab, qui a cru bien faire en lui donnant mon numéro.

— Vous êtes convoqué demain matin à 9 h à l’Évêché. Nous devons recueillir officiellement votre témoignage et vous faire signer le procès-verbal qui en découlera. Munissez-vous de votre téléphone portable et surtout n’effacez aucun contenu. Cela ne vous servira à rien. D'une part, en questionnant l'opérateur nous aurions tôt ou tard accès à tout ce que vous auriez supprimé, d'autre part, en attendant la réponse dudit opérateur, nous serions obligés de vous offrir l'hospitalité.

— Je ne toucherai à rien Monsieur le Commissaire.

— L'inspecteur, Monsieur Elezi.

— Euh, pardon Monsieur l'inspecteur.

L'Albanais est perplexe. Quand il a parlé du différend entre lui et Costa, il a bien vu que les flics l'écoutaient pour la forme. Il a eu le sentiment qu'ils connaissaient déjà l'histoire. Jani veut en avoir le cœur net. Une visite chez Djemal, le parton du Korab, s'impose. C'est à lui qu'il s'est confié. Son ami serait-il un indic ?


*

Maurin souhaite profiter de l'occasion pour organiser un truc, quand Jani sera présent. Il va falloir faire vite. Le patron de l'Ange bleu est l'unique témoin qui a vu l'assassin de Costa. Il faut l'avertir d'urgence que sa présence est requise. Plusieurs individus défileront derrière une glace sans tain. Tous porteront des lunettes noires, un jean et un pull bleu. Parmi eux, Messieurs Van-Hecke et Elezi seront particulièrement observés.

Cette opération doit préalablement obtenir l'aval du juge d'instruction. C'est Mélissa qui se charge de l'appeler.

— Bonjour Monsieur le Juge, ici l'officier de police Mélissa Lebrun. Nous sollicitons votre autorisation pour un tapissage dans le cadre de l'affaire Costadino Hasani...

La jeune femme n'a aucun mal à obtenir le feu vert du magistrat. Mickaël Boghossian ne pourra assister à cette séance, mais l'important est que l'enquête suive son cours.


*

Le lendemain.

Le portable de Jani est entre les mains des policiers. Son examen approfondi sera effectué par un expert. Dans le même temps, à la Crim', aura lieu le défilé des grands bruns chaussés de lunettes noires...

Amir El Fassi, le patron de l'Ange Bleu, est sagement assis sur une chaise. Face à lui, des hommes, derrière une glace sans tain, marchent de long en large. Ils sont au nombre de six. Rapidement, trois d'entre eux sont éliminés. Trop grands, trop gros, trop petits... Le trio restant est composé d'un flic et des deux suspects. Amir demande à voir leurs visages de près. Tour à tour, chacun d'eux s'approche. Le témoin se lève pour affiner son observation. Maurin le questionne.

— Alors ?

— C'est très difficile. J'ai vu le meurtrier trop brièvement, il y a plus de deux mois. Les trois sont ressemblants, mais je n'ai aucune certitude.

— Si vous deviez en désigner un ?

— J'hésite entre ces deux-là.

Amir désigne Louis et Jani. Le dernier flic, en vitrine, sort. Le Nordiste et l'Albanais demeurent debout face à Amir.

— Regardez encore.

Le pauvre Marocain se dandine d'un pied sur l'autre. Son malaise est palpable.

— Peut-être celui de droite, mais je n'en suis pas sûr.

Il s'agit de Van-Hecke. Mélissa glisse un mot à son chef en aparté.

— On dirait qu'il l'a désigné pour nous faire plaisir. On ne peut pas se baser sur ce choix auquel lui-même ne croit pas. Il est trop hésitant.

— D'accord avec vous, Mélissa.

— Et si on les faisait parler. Chacun prononcerait la même phrase ? Sait-on jamais ! Elezi pourrait reconnaître la voix de l'homme auquel il a eu affaire le soir du meurtre ?

— Pourquoi pas.

Jani et Louis sont briefés. Toujours placés derrière la glace, ils doivent prononcer les mots suivant : « servez-moi un Whisky s'il vous plaît ».

Louis est le premier à parler. Le témoin ne manifeste aucune réaction. Quand vient le tour de Jani, Amir l'écoute attentivement.

— Celui-là s'exprime avec un léger accent étranger.

— Et vous en concluez ?

— Rien de particulier ! Comme je vous l'ai dit, il y a avait trop de bruit dans la salle, ce soir-là. Et puis comment me rappeler du timbre de voix d'un type avec lequel j'ai échangé quelques secondes, il y a plus de deux mois ?

Nos flics comprennent qu'il n'obtiendront rien de plus du patron de l'Ange bleu. Louis est libéré, Jani doit rester pour signer sa déposition.

Les choses n'avancent pas et son portable n'a rien révélé. Hasani l'a bien appelé trois fois, laissant chaque fois le même message audio en albanais du genre : « Je veux te parler, Jani. J'espère que tu te rappelles que nous avons un compte à régler tous les deux ». Elezi, comme il l'a déclaré, n'a jamais répondu à Costa.

Maurin s'adresse à lui.

— Votre différend, avec la victime, vous désigne comme un potentiel suspect. Restez donc à notre disposition. Pas de déplacement dans un rayon de plus de cent kilomètres de Marseille. En cas d'absolue nécessité, vous devrez solliciter notre autorisation. C'est bien compris ? Pas de voyage en Albanie...

— Oui Monsieur l'inspecteur.

Son portable lui est restitué et Jani retrouve la liberté.

— Mélissa.

— Oui, Stéphane.

— Nous avons déjà mis sur écoute Van-Hecke, il faut en faire autant avec Elezi.

— D'accord, je m'en charge.

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