La solitude est un mal qui nous ronge avec une extrême lenteur. Van-Hecke ne déroge pas à cette règle. Seul chez lui, les heures s'écoulent, monotones. L'absence de lien social lui fait perdre, peu à peu, tous ses repères. Il ne lit pas beaucoup et les programmes TV l'ennuient profondément. Dès lors, que lui reste-t-il ?

Face à l'écran de son ordinateur, Louis pianote fébrilement. Il est en chasse. Il n'a plus eu de rapport intime depuis plus d'un trimestre et cherche comment apaiser au plus vite cette soif de contacts physiques. Les sites de rencontre habituels ne sont plus adaptés à sa condition actuelle. Quelle femme accepterait d'envisager une liaison, même éphémère, avec un homme ceint d'un bracelet électronique à la cheville ?

Sophia lui manque. Le Nordiste a bien compris qu'elle se planquait. Sinon les flics auraient déjà organisé une confrontation entre elle et lui. Inutile de lui téléphoner, son propre appareil est probablement mis sur écoute. Par ailleurs, la police lui a déconseillé de solliciter les services des belles de nuits. Les Albanais, avec lesquels il s'est battu en prison, doivent surveiller les lieux chauds de la nuit. S'ils le repèrent, Van-Hecke risque de passer un sale quart d'heure...

Il réfléchit. Il lui reste une dernière option. Pourquoi ne pas surfer sur les sites Internet secrètement dédiés à la prostitution ? Louis, à l'époque où il était actif sur les pages web de Meetic, eDarling ou Elite, avait remarqué que d'autres options générées par des cookies s'affichaient. Un soir, cliquant sur un lien qui apparaissait de manière un peu trop ostentatoire, il eut la surprise de visualiser des images clairement pornographiques, illustrant des propositions de prestations sexuelles réelles et tarifées. Van-Hecke en avait conclu, le racolage sur Internet étant interdit par la loi, que certains avaient détourné le problème en se faisant passer pour des sites de rencontre conventionnels.

Cette option lui paraît excellente, elle lui permettrait de choisir la fille qui lui convient, tout en ayant la connaissance des prix pratiqués.

Il se lance et se connecte sur un portail honorablement connu. Louis attend une dizaine de secondes, arrêtant volontairement toute exploration. Très vite, une bulle parasite surgit.

« NOUVEAU ! Si tu n'es pas un accro du Cyber-sexe, que tu désires serrer une vraie femme dans tes bras, alors clique ici.»

Louis s’exécute et se met en quête d'informations. La ville de domiciliation de celle qui se présente comme une escort-girl est proche. Avignon n'est situé qu'à 95 kilomètres de Marseille. Il pourra s'y rendre s'il le souhaite, la limite de 100 km fixée par le juge des peines est respectée.

La jeune femme se prénomme Natacha. Du moins, c'est le nom qu'elle a choisi...

Avant de pouvoir visualiser son visage et le reste de son anatomie, il doit choisir un pseudo et renseigner un mot de passe.

Une fois la chose faite, et avant toute autre chose, Louis doit lire le barème des prestations. Il concerne le choix du temps passé avec la belle : l'heure, la soirée complète ou la nuit. Louis pense que ces tarifs sont très au-dessus de ses moyens, mais il est curieux de voir qui se cache derrière ce prénom. Il accède à la page suivante.

Un beau visage aux cheveux brun et au sourire aguichant occupe soudain tout l'écran.

Le Nordiste n'en croit pas ses yeux. Il ne rêve pas.

Natacha n'est autre que Sophia !

*

Face à son écran, Sophia recense les connections. En peu de temps, un nombre impressionnant de curieux a visualisé son profil. Elle ignore si elle doit s'en réjouir ou pas. La jeune femme ne répond qu'aux demande sérieuses et sait d'instinct qui est motivé.

Le déménagement dans la Cité des Papes est récent. Son mec a trouvé le geek qu'il cherchait. Contre une modique somme, ce dernier a créé le site qu'il désirait.

Sophia, alias Natacha, ignore qu'une vieille connaissance l'a reconnue. Un certain "Kevin Alouches" lui a dressé un message.

Elle lit.

"Bonjour Natacha, la solitude me pèse, accepterais-tu de me rencontrer. Tu es très belle ?"

Elle écrit.

"Moi aussi, je me sens très seule, mais tu connais mon métier. Si tu es vraiment intéressé, il te faudra payer le prix..."

"Les tarifs sont élevés, mais je veux bien essayer une première fois. Je suis un homme plutôt timide et je ne sais rien de toi. Peux-tu me confier quelque chose de personnel ? Un truc que personne ne peut savoir sans te connaître intimement ? "

Sophia n'est pas du genre à confier quoi que ce soit à un inconnu. Elle décide de lui dévoiler un détail sans importance.

"Tu es un petit curieux Kevin. Bon voici une information relative à mon corps. Tu n'auras qu'à fermer les yeux et à imaginer la chose. J'ai un grain de beauté sur chacune de mes fesses. C'est à toi maintenant, dis-moi un petit secret te concernant. "

Il n'est pas utile à Louis de fermer les yeux. Il lui suffit de se rappeler... Il sait maintenant avec certitude qui est réellement Natacha. Quand il a vu la photo sur l'écran, il s'est posé cette question : et si l'image de Sophia avait été utilisée à son insu, de nos jours, cette pratique est hélas devenue courante ? La révélation qu'elle vient de lui faire a chassé ses doutes. Le Nordiste évacue les idées qui occupent son esprit. Il doit répondre. Le pseudo qu'il a choisi est l'anagramme de son nom et de son prénom : Louis Van-Hecke = Kevin Alouches. Il va jouer avec elle...

"Excuse mon temps de réaction, mais c'est ta faute, j'ai fermé les yeux trop longtemps ! Voici mon petit secret, ne ris pas s.t.p. Ma copine m'a quitté récemment. Ça c'est pas drôle. Mais figure-toi qu'elle s'appelle Anna."

"Et alors ?"

"Son nom est Gramme. Elle s'appelle Anna Gramme."

Elle éclate de rire. Louis ne peut l'entendre, ce qui n'est pas le cas de Santoni. Il surgit et s'adresse à elle.

— Sophia, je t'entends rigoler de l'autre côté de la maison. Sois sérieuse. Notre avenir dépend de la réussite de notre entreprise, alors mets toi au boulot, compris !

Elle ne lui répond rien et il sort. Notre entreprise ? Mais il se prend pour qui ce mec ? On ne parle pas du CAC 40, là. Il n'est question que d'un petit proxénète qui l'exploite et qui se roule les pouces en attendant que l'argent tombe du ciel.

"Hello Kevin, tu m'as fait la journée sur ce coup-là. Dis-moi que c'est une blague, ses parents sont tarés ou quoi ? Lui choisir ce prénom, c'est débile !"

"C'est pas vraiment une blague, mais c'est pas non plus une vérité. Disons qu'il y a un sens caché derrière mes mots. À toi de résoudre l’énigme..."

"Je ne suis pas très douée pour ces jeux. Tu es toujours d'accord pour un rendez-vous ?"

"Oui, je suis OK et j'ai choisi l'option la plus courte, donc la moins chère."

"Quelle date te conviendrait ?"

Louis veut se laisser le temps de réfléchir. Comment va-t-elle réagir quand elle va le reconnaître ? Il choisit de repousser leur rencontre à une semaine plus tard. Le port du bracelet électronique lui impose d'être chez lui avant 19 h. Le rendez-vous est fixé à 14 h, ce créneau lui laissera le temps de rentrer à temps.

"J'ai une question Natacha. Je dois te payer comment ?"

"Avant de consommer et en liquide. Je sais bien que la mode est au numérique, mais pour ce qui est de la question financière, je fonctionne toujours à l'ancienne. Bon, alors on se dit à bientôt, beau mâle ?"

"J'ignore si je suis beau, mais je suis absolument certain de te surprendre."

En quittant la conversation, Sophia se dit que ce mec est très mystérieux, que son histoire d'énigme est tirée par les cheveux. Elle ne sait de lui que deux choses : son pseudo et l'identité présumée de son ex. C'est un peu léger pour trouver la clé du problème...