Chapitre 2 - Gojo Satoru
Bibibip Bibib...
Le réveil sonnait à tue tête, aussi Reiketsu l'éteignit aussitôt d'un geste. Il se frotta les yeux ; la lumière du soleil filtrait à travers les rideaux du salon. Six heures du matin, le jeune homme se leva et rangea sa couverture et son coussin dans l'armoire prévue à cet effet, replia le canapé "clic-clac" et partit en quête de préparer le petit déjeuner. Bien que piètre cuisinier comparé à Yanagi, il savait au moins préparer la première collation de la journée avec succès.
L'affaire d'hier n'avait pas été très palpitante quand à son dénouement : le type qui avait été tué, bien qu'étant un stagiaire fort apprécié de tout le personnel de l'entreprise, avait violé une de ses camarades qui faisait également son stage là-bas. Et celle-ci l'avait maudit, encore et encore, jusqu'à qu'un fléau sente le ressentiment de la jeune fille et finisse par accomplir son désir inavoué.
Quel dommage qu'il n'est pas été se dénoncer... Au moins, ça aurait rendre les choses plus simples pour les deux partis.
Quand il eut terminé de disposer bols, baguettes et autres ustensiles, il marcha hors de la cuisine et passa le couloir jusqu'à la salle de bain. Là, il prit une douche bien froide, en faisant attention à ne pas trop toucher à sa blessure bandée. Sortant de la douche, il se brossa les dents avec un air fatigué ; il n'était pas vraiment du matin, mais c'était important de tout préparer en avance.
La première personne qui se leva fut Yanagi ; comme il était professeur dans un collège, c'était logique. Baillant comme un hippopotame, il dit bonjour d'un geste de main à Reiketsu, qui l'ignora, se lava le visage puis alla prendre son petit déjeuner. De son côté, le jeune exorciste sortit son cellulaire de sa poche ; en plus de constater que son paiement était bientôt arrivé, un message plein d'emoji qui auraient pu maudire le téléphone avait été envoyé par ce contact :
Le type beaucoup trop sûr de lui.
Le message en question stipulait que la personne la plus insupportable de cette planète allait bientôt débarquer chez les Tonisuka. Malheureusement, il ne s'agissait pas d'Uyeno. La brosse à dents toujours fourrée dans la bouche, Reiketsu fonça à l'encontre de Yanagi, qui buvait son thé avec un sourire satisfait.
- Gofo Fatoru va fenir ichi, tenta-t-il d'articuler.
Yanagi le regarda dans les yeux, et comprit immédiatement ce que voulait dire le jeune homme. Il soupira, se leva pour se diriger vers une armoire un peu élimée. Il en sortit une boîte métallique, la posa sur la table et l'ouvrit : des Mamemochi de chez Demachi Futaba, la pâtisserie la plus prisée et réputée de Kyoto.
Soudain, on toqua à la porte. En parlant du loup, râla intérieurement Reiketsu en se dirigeant vers elle à grands pas, et l'ouvrit :
- Yo !
Un grand type svelte, aux cheveux blancs et portant un bandeau sur les yeux le saluait de la main, portant un petit sachet en plastique dans l'autre. Tout sourire, il entra en ricanant et passa sa tête dans l'embrasure de la cuisine :
- M. Tonisuka, comment ça va depuis le temps ?
- On ne peut plus bien, M. Satoru, répondit-il avec un grand sourire ; il attrapa son biceps : Je pète la forme !
Comment ce type avait pu passer de l'état de zombie dégustant son thé à une pile énergétique ? Parfois, Reiketsu se disait que le vieux se shootait à l'exctasy, mais compte tenu de son côté prude et interdit sur les substances nuisant à la santé, c'était peu probable. Satoru opina du chef, puis son regard ne coula vers la boîte en métal et s'illumina :
- Oh, Tonisuka-Sensei, vous avez pensé à moi ?
Il sautilla presque jusqu'à la table pour aller chopper une patisserie hors-de-prix et y mordit à pleines dents, visiblement aux anges ; pour une raison inconnue, ce type adorait tout ce qui était sucré, et particulièrement les choses artisanales et traditionnelles. Pour un exorciste qui promulguait sans cesse le sang neuf et la réforme, c'était un comble.
- Vous êtes ici pour discuter d'une affaire spéciale avec Reiketsu ?
- Exchactement, répondit Satoru en mâchant ses mots, puis avala : Yakuseiki-kun est le seul exorciste de libre que j'ai sous la main pour m'aider dans cette affaire.
- Dites plutôt que vous voulez me refiler le sale boulot, grommela l'intéressé. Allez, qu'on en finisse (il partit prendre son manteau) Je reviens ce soir, le vieux !
- À tout à l'heure, et fais attention dehors ! lui cria-t-il tandis que lui et Satoru sortaient.
Ils marchèrent un petit moment dans la fraîcheur du matin quand ce dernier pouffa et lança avec un piètre imitation :
- "Fais attention dehors" ! (Reiketsu lui lança un regard noir, mais Satoru lui rendit un sourire narquois) Tu n'as toujours pas accepté le fait que les Tonisuka tiennent à toi ?
- Lâchez-moi la grappe, et concentrez-vous sur l'affaire dans laquelle vous m'avez embarqué.
Satoru chantonna alors pendant tout le trajet, ce qui ajouta une bonne dose d'agacement sur sa jauge déjà bien remplie. La première fois qu'il avait rencontré Gojo Satoru, A.K.A "le plus fort de tous les exorcistes", Reiketsu avait ressentit la formidable puissance qui émanait de ce type, pour finalement se rendre compte qu'il n'était qu'un clown.
Mais un clown qui pouvait vous arracher la tête en un clin d'œil.
Malgré cela, il n'arrivait pas à prendre au sérieux cette grande asperge d'albâtre. Bien que Satoru ne l'appelait que rarement, à chaque fois il le faisait pour le bisquer, lui poser des questions sur sa vie et ils finissaient le plus souvent par un Reiketsu emprisonné dans une conversation dans un bar de Kyoto avec des pâtisseries sur des sujets mondains.
- On va où, cette fois ? demanda-t-il, préférant prévenir que guérir.
- À Ulkyo-ku, répondit Satoru en prenant en photo une belle maison. Plus exactement à Ryoan-ji.
Ryoan-ji... C'était le temple bouddhiste avec son jardin sec. Très réputé comme étant un site touristique de choix, les moines vivaient là-bas toute l'année, ce qui était rare pour un temple en pleine ville. Néanmoins, qu'allaient faire deux exorcistes dans un temple qui prônait la paix, la sérénité et l'abstinence ?
Ils prirent le métro en direction du quartier, ce qui allait prendre un bon bout de temps. Reiketsu sortit son cellulaire, immédiatement zieuté par Satoru.
- Je peux jouer sur ton téléphone ? le supplia l'exorciste avec une voix infantine.
- Non, lâcha simplement l'autre en tapotant frénétiquement sur les touches. J'envoie un message à mes parents.
-...Ils ne sont toujours pas rentrés d'Allemagne ?
Reiketsu opina ; ses parents étaient deux exorcistes de classe 1, réputés au Japon mais qui avaient décidé d'aller à l'étranger. Même si les fléaux se concentraient bien plus dans le pays du soleil levant, l'Allemagne comptait beaucoup de malédictions, de part qu'une grosse partie de la population était sujette à la superstition
- Ils ont beaucoup de travail, donc pas beaucoup de temps à m'accorder.
- Et ça te dérange ? Tu peux parler à tonton Satoru si tu le souhaites !
- Pour avoir la même tare mentale que vous ? Non merci, cracha Reiketsu. Et non, ça ne me dérange pas...
- Ton visage dit le contraire.
Il se tourna vers le bandé, lui lançant un regard noir, avant de sentir la douleur dans son épaule.
- Tu as été blessé pendant ton service ? Ça ne te ressemble pas...
- J'ai été négligent.
- Ta malédiction, hein ?
Reiketsu lâcha un "tsk". Pendant sa première mission avec ce crétin de Satoru (il avait été recommandé pour un stage de trois jours), ce dernier lui avait intimé de lui montrer sa technique innée. En connaissance de cause, Reiketsu avait tout de même accepté sa requête, et avait fini au sol, en train de pleurer devant ce saltimbanque ambulant.
Être un exorciste atteint d'une malédiction conduisait le plus souvent à deux issues : être purifié, ou être exorcisé. La plupart du temps, c'était la deuxième méthode qu'on employait, parce que la malédiction était inconnue ou/et trop puissante. Et par exorcisé, on voulait dire exécuté. Lorsque Gojo Satoru avait découvert son secret, Reiketsu avait eut l'idée de l'affronter jusqu'à la mort pour éviter qu'il ne le livre aux autorités, mais ce dernier lui avait répondu :
- Je ne vais pas détruire l'avenir d'un exorciste aussi prometteur que toi !
-...Vous voulez quoi en échange ? avait-il répondu.
- Disons que cette chose que tu as en toi m'intéresse, alors faisons comme ça : tu seras mon cobaye jusqu'à que l'on comprenne la nature de ta malédiction ! Deal ?
Devant une proposition pareille, il n'y avait aucune raison logique de refuser. Aussi le contrat avait été formé à l'aide d'un Serment : Gojo Satoru ne révèlerait à personne la présence de sa malédiction, tandis que, si ce dernier ordonnait quelque chose à Reiketsu (en excluant une action qui lui était mortelle), le jeune homme devrait obéir. Si l'un ou l'autre refusait de remplir leur part du marché... Couic, pensa-t-il avec un air sombre.
- Vu ton regard, j'ai touché un point sensible, s'amusa le plus fort des exorcistes. Tu sais, tu devrais peut-être aller voir Shoko, elle est spécialiste dans tout ce qui est traitement des malédictions.
- Et aller dans votre école pour que vous me forciez à montrer l'exemple à des morveux pas foutus d'exorciser un classe 4 ? Non merci...
- Tiens ! Tu viens de me donner une idée...
Le châtain roula des yeux, qui brillèrent d'un bref éclat doré sous le soleil pourpre matinal. La brume qui s'était amoncelée sur Kyoto commençait lentement à s'effacer, découvrant les innombrables maisons abritant toutes ces personnes qui ne voyaient pas que la plupart de leurs problèmes étaient causées par des monstres invisibles, eux-mêmes créés par leur propre vision étriquée.
Un beau ramassis de conneries spiroïdal.
- Vous gagnez combien, en tant que grade spécial ? lui demanda Reiketsu.
- Intéressé par l'argent, hum ? On dirait Mei Mei ! (Satoru commença à compter sur ses doigts, puis sourit : ) Je dirais 20 millions de yens, mais surtout parce que la plupart du temps je n'ai rien à me mettre sous la dent ! Heureusement que tu es là, hmm ?
- C'est presque autant que ce que gagne mon père en Allemagne, ricana Reiketsu en agitant son cellulaire.
- Quoi ? (le blanchâtre prit le téléphone de ses mains et regarda les messages, avant de s'effondrer théâtralement) Raaah... Je suis sous-payé...
- Pour un type qu'on pourrait considérer au chômage, pas vraiment, et Reiketsu reprit son téléphone, tandis que Satoru se redressait et lui lança un regard (enfin, façon de parler) un peu trop enthousiaste :
- Plus sérieusement, ton idée de passer à Tokyo donner quelques conseils aux nouveaux pourrait-être très intéressant, autant pour eux que pour toi.
- Qu'est-ce qu'ils ont à apprendre d'un type comme moi ?
- Un "type comme toi" est cent fois plus bosseur que moi, ou même un de mes collègues, tu sais, Nanami ? (Oui, Reiketsu se souvenait de cet ancien employé de bureau qui était l'incarnation même du masochisme moderne) De plus, tu es sérieux, jamais en retard, et toujours sérieux... Tiens, je l'ai déjà dis que tu étais sérieux ?
Reiketsu détourna le regard, excédé, et Satoru lâcha un gloussement.
- Tu es aussi modeste, ça c'est sûr. Bref, pour un exorciste, tu es un peu une sorte de bête de foire. Tu ne rechignes sur aucune tâche et tu fais ton boulot sans jamais te plaindre, mais surtout sans jamais abuser de ton pouvoir.
- Ce qui est faux, nia-t-il en se remémorant les voyous d'hier soir.
- Tout le monde n'est pas parfait, et tu as des déboires, concéda Satoru en le pointant du doigt. Mais toi, toi tu dois être sans aucun doute l'exorciste le moins étrange que je connaisse. Je pourrais presque te qualifier de, hum, disons... employé municipal ? pouffa-t-il.
Oui, si Reiketsu n'avait pas été "béni" par le don de voir les fléaux et de les exorciser, il aurait sûrement pu devenir un membre actif et officiel de la société, donc éboueur, employé municipal, aider dans des assos'... Mais exorciste était le seul métier qui lui permettait de sauver des vies en utilisant le maximum de son potentiel. C'était comme ça, et ça ne changerait pas.
* * *
Après une demi-heure de trajet, ils arrivèrent enfin Ukyo-ku, prirent le bus pour débarquer près de Ryoan-ji. Là-bas, comme on était en octobre, aucun touriste n'était présent sur les lieux. Un moine chauve balayait l'entrée quand il les vit arriver.
- Ah ! Vous devez être les exorcistes qu'on a appelé. Merci d'être venus aussi vite...
- Aucun souci ! et Satoru leva son pouce. On est ravi de vous aider.
Surtout moi, en fait... Mais Reiketsu laissa son agacement de côté ; il devait résoudre cette affaire au plus vite.
D'après les infos de son collègue exorciste, deux moines avaient disparu ces deux dernières années, mais on avait retrouvé l'un d'entre eux dans le jardin sec, en train de détruire sa tête contre une pierre avant de succomber d'hémorragie crânienne. La scène avait été d'une rare violence, si bien que les moines avaient prié jour et nuit pour le salut du deuxième disparu, qui restait introuvable.
- Vous avez toujours le corps ? s'enquit Reiketsu.
- Oui, il est dans le sanctuaire... Nous le purifions avant de l'envoyer à la morgue afin d'éviter d'éventuels mauvais esprits.
Bien que ce genre de rituels était inutile sans énergie occulte, le simple fait de le faire renforcer la conviction de ces moins, et, dans un certain sens, éloignait les classe 4 à 3. Le moine les amenèrent au sein du temple, ses comparses s'inclinant tour à tour tandis qu'ils traverseraient les couloirs et les tatamis, pour arriver au sanctuaire intérieur.
La salle était placée au fond du bâtiment, un immense Bouddha de bois sculpté au sourire aussi accueillant qu'un bébé semblait regarder d'un air triste le linceul blanc posé sur un autel, entouré d'encensoirs et de clochettes. Le corps avait sûrement était imbibé de pommades anti-putréfiantes, car une forte odeur graisseuse pointait à ses narines.
Sous le regard amusé de Satoru, Reiketsu se tourna vers le moine :
- Puis-je ? demanda-t-il en montrant le linceul.
Son interlocuteur consentit par un geste, la mine à la fois fatiguée et pleine de chagrin. Le jeune exorciste souleva le voile, pour découvrir un visage brisé de part en part, au front nettoyé de toute trace de sang, dévoilant la blessure dans laquelle on avait placé une pierre sûrement récoltée dans un Temizu-ya, pour accentuer la purification.
Il se concentra : l'énergie occulte émanant de ce cadavre était bien plus forte pour un simple corps de non-exorciste, aussi en déduit-il que le fléau n'était pas vraiment ordinaire ; une malédiction pouvait agir jusqu'à la mort, mais la forme de l'énergie qui jaillissait du corps suggérait un sortilège avancé. Donc au moins un semi-classe 1, s'inquiéta Reiketsu.
- A-t-il dit quelque chose avant de mourir ?
- Euh, eh bien, c'est assez étrange mais il répétait ces mots : "Pardonnez-moi, Ô Roi Écarlate". Est-ce que cela vous dit quelque chose ?
Le sang de l'exorciste aux yeux miel ne fit qu'un tour. Il se tourna vers Satoru, qui avait capté son regard furtif et répondit par un signe de tête. Le pire était à venir.
Le Roi Cramoisi, c'était sûrement la pire des inventions de l'humanité.
Annotations
Versions