Episode 87.1

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Katerina


Un matin sur trois, je suis une rock-star. Le pommeau de douche pour micro, je scande à tue-tête mes chansons préférées pendant que ma cape de mousse me dégouline sur le dos. Je secoue mes cheveux bleus en sortant de la douche : séchage instantané, façon headbang.

Ça, c’est moi.

Les dalles du carrelage jouent à la balancelle sous mes pieds mouillés. J’esquive chaque risque de chute avec aplomb, un peu comme dans la vie. Un ongle cassé ? Pas grave. Un coup de vernis, personne n’y verra que du feu.

Je traverse les dix-huit mètres carrés de studio qui séparent le placard à balais qui me sert de salle de bain de la table de cuisine qui, selon les besoins, fait office de plan de travail, de bureau ou de table de toilette. En pratique, l’ordinateur côtoie le miroir sur pied, le revêtement en moumoute de mon holopad se perd dans la corbeille de ramboutans et il m’arrive de me repoudrer le nez avec de la farine.

Je me contorsionne sur ma petite chaise ronde, tends ma cheville sur la table et lance le tuto de Roxiglam pour réparer les ongles fêlés. C’était l’une des meilleures maquilleuses de tout Speccom, avant de disparaître là où je l’ai retrouvée. Sacré gachi. Même son slogan claquait : « Faites de vos défauts vos plus beaux atouts ! »

Je revisse le pinceau sur le flacon de vernis, ramène mon talon contre ma cuisse. Je tourne, et tourne, et tourne encore sur ma chaise. Séchage express, façon toupie furieuse. Mon unique pièce de vie défile devant mes yeux, trop vite, comme un folioscope. C’est petit, encombré, dépareillé, un peu moisi dans les coins.

Mais tant pis, c’est chez moi.

Je me prépare pour le boulot. La radio chante à plein volume et j’enchaîne plus de pas de danse que de boutons de chemise. Je n’ai pas encore enfilé la moitié de mon déguisement quand mon holopad sonne. C’est une ballade traditionnelle qu’on chantait dans le Nord : la sonnerie de Raina.

Pochtimat’ m’appelle au moins une fois tous les quinze jours. Ce n’est pas ma mère, mais c’est comme si. C’est presque. Une femme qui m’a vue grandir et qui s’inquiète pour moi. Elle me demande à chaque fois comment ça se passe ici, comment je m’intègre, si je me fais des amis. Je résiste à la tentation de lui mentir, parce qu’elle me connaît si bien qu’elle saurait, illico. Elle m’encourage à m’accrocher, à persévérer, à respecter du mieux que je peux le fonctionnement de mes nouvelles sœurs. J’ai envie de lui répondre que ce ne sont pas des sœurs, pas comme au Kamtchatka, même si, depuis quelque temps, j’ai commencé à changer d’avis.

Je lui demande, comme toujours, des nouvelles des autres. Tout le monde se porte bien au Simnia, parce que Raina veille au grain, parce que nous sommes une famille. J’ignore pourquoi – je m’en doute vaguement, mais je ne l’admets pas encore – pour la première fois depuis mon départ, je lui demande aussi :

— Et Adeliya ?

La réponse se fait attendre. L’hologramme de Pochtimat’ ne laisse rien paraître. Elle se maîtrise, en permanence. Ça vaut pour sa beauté incomparable, mais pour tout le reste aussi. Parce que je la connais, je devine. Je la sens qui essaye de déterminer quel côté du couteau me blessera le moins. De toute façon, la réponse ne peut être que tranchante.

— Adeliya et Stan viennent d’avoir un bébé.

Je lâche un « Oh » trop fade, sans vraiment essayer de jouer la surprise, juste le temps de trouver les mots.

— D’accord. Félicite-les pour moi.

Raina hoche la tête. Son regard est doux comme la neige.

— Tu as le droit de pleurer, Riri.

— Quoi ? Tu veux que je pleure ?

Je fais juste genre de m’offusquer, mais elle garde son sérieux.

— Non, bien sûr que non. Je dis juste que tu peux, si tu veux, si tu en as besoin. C’est normal, tu sais.

— Je sais. Mais ça va, je t’assure. J’ai fait une croix sur elle.

Elle me répète que ce ne sera pas facile, que j’ai encore le temps de faire autre chose, de devenir tout ce que je veux. Je sais qu’elle a raison. Je sais qu’au yeux du monde, ce serait plus correct. Mais moi, j’ai choisi ce métier-là. J’ai choisi de faire ce que j’aime. Alors non, celle que j’aimais n’a pas pu le comprendre, ni l’accepter, ni me pardonner toute la peine que je lui causais. Et non, sans doute que personne n’acceptera, ne saura l’endurer sans souffrir, et donc personne ne m’aimera comme dans les films, les livres ou les ballades, avec un grand A et sans aucune gêne.

Mais tant pis, c’est ma voie. Je l’ai choisie, j’ai eu cette chance.

Je fonds comme un bonbon sous une lampe à UV, engoncée dans mes fringues et dans la foule du tramway à l’heure de pointe. Je pourrais me mettre en chemin plus tard, éviter le rush et me pointer au Temple de Vénus pile-poil pour mon service de nuit. Sauf qu’il me faut bien la journée pour me mettre dans le personnage, saluer tout le monde et m’assurer qu’aucune hiérodule ne risque l’overdose par ma faute.

On me demande souvent comment je suis devenue narko. En vérité, j’ai oublié. Ça s’est fait tout seul : l’autre manquait à l’appel et je n’avais rien de prévu de particulier ce jour-là. C’est souvent comme ça que les choses se font, par hasard.

J’arrive par la porte de derrière, aussi fraîche qu’un macaron qui a fait tout le voyage en Transsibérien. Si je suis en miettes, je n’en laisse rien paraître. Je me méfie des non-sœurs, j’ai peur qu’elles me piétinent ou – pire – qu’elles me bouffent.

Une bise par-ci, une accolade par-là, je fais le tour de la maison. On fait ça de loin, selon un cérémonial hérité de la vieille Angleterre, sans jamais toucher une joue, comme si nos méplats enduits de blush étaient la partie la plus sacrée de notre intimité. Dans une certaine mesure, ce n’est pas loin de la vérité. Peu d’entre nous tiennent à exposer le vrai visage, celui qui dort sous le glaçage.

Dans les premiers temps, je ne comprenais pas la mascarade des non-sœurs, leurs façons de faire maniérées ou l’éloge de l’anonymat. J’ai bêtement cru que je pourrais me lier avec elles, parce que nous partagions la même passion et le même savoir-faire. Puis j’ai compris deux choses. La première, c’est que l’unité ne peut pas advenir là où l’égalité est proscrite. C’est un fait : je suis libre, Fugu est libre, les autres ne le sont pas. Certaines honorent leur contrat avec plaisir, beaucoup le remplissent sous la contrainte. Tenir les gens en laisse avec une muselière, ça les rend au mieux dociles, mais jamais bienveillants. La deuxième, c’est que, par nature, des bêtes en cage ne cherchent jamais à survivre de façon collective. Chacune tentera de prendre l’ascendant pour imposer sa loi. Elle aura beau saupoudrer sa gueule de belles intentions, ses crocs n’en feront pas moins mal.

Tout le monde ici fait bonne figure : Jojo joue le boss décontracté alors qu’il ne gère rien du tout et enrôlerait de force le premier joli minois, juste pour satisfaire les clients qui se lassent des têtes habituelles ; Jeringa est aux petits soins avec tout le monde, ce qui veut dire qu’elle nettoie le merdier de Jojo en lobotomisant toutes celles qui l’acceptent à grand renfort de drogues dures. Même Roxane – ou devrais-je dire, Jewel – essaye bon gré mal gré de tirer son épingle du jeu, en s’entichant d’une poule aux oeufs d’or comme Vernon, qui ne veut pas la toucher, ou en s’acoquinant avec la mortelle Fugu.

Celle-là, c’est la seule qui sort un peu du lot. Partout où elle passe, mort s’ensuit. Je ne suis pas la seule à l’avoir remarqué. Pourtant, même si ça fout les chocottes à quelques clients et en l’air notre gagne-pain, beaucoup de hiérodules la soutiennent. Il faut les comprendre : c’est la première fois que quelqu’un ici fait quelque chose pour elles. Tous les salauds qui s’éclipsent avec Fugu sont retrouvés raides froids dans les trois jours. Personne ne les pleure, on se félicite de ne plus avoir à composer avec les demandes déplacées de ces vicelards. Pour sûr, à moi non plus, ces types-là ne me manquent pas. Et, j’ai beau retourner et entortiller le machin dans tous les sens, je ne vois pas pourquoi elle se donnerait autant de peine, à part par altruisme.

Me voilà rendue devant la porte de mon idole de Speccom. Tu vas encore me rembarrer, pas vrai ? Pas grave, c’est clairement toi qui morfles le plus. Je toque, histoire d’être cordiale, mais j’entre sans attendre. Si d’aventure elle décidait de ne pas me répondre, j’aurais bel air, à faire le pied de grue comme une groupie !

Je les surprends, Fugu et elle, installées sur le lit à baldaquin comme deux vieilles copines. Elles s’empressent de ranger quelques poignées de flacons dans un gros vanity.

— Tu veux quelque chose, Gummy ? demande Roxie.

Elle prend souvent cet air supérieur, ça doit lui donner l’illusion de sauver les meubles.
— Non, rien, je venais juste vous dire bonjour. Je vous souhaite une belle journée, Jewel, Fugu… T’es là bien tôt, toi, d’ailleurs. Qu’est-ce que vous fabriquez ?

Elles échangent un regard aussi suspect que si elles étaient complices d’un crime et, je ne sais pas pourquoi – enfin si, un peu, mais ce n’est pas le moment – je me dis que j’avais bien aimé Thelma et Louise et que je retournerais bien au Festival d’Archives des Jardins Suspendus.

— Du vernis, bredouille Roxane.

Ça, dans sa vie d’avant, ça s’appellerait une prise loupée. Et malgré tout, elles agitent fièrement les doigts et je vois leurs jolis ongles, tous brillants, effet métallisé.

— C’est canon ! Tu me ferais une manucure, à moi aussi ? Je peux te payer pour ça, hein. Je voudrais pas abuser.

— Pas la peine. File tes ongles.

C’était plus facile que prévu – même un peu trop facile. Je les rejoins sur le lit. C’est comme si j’étais autorisée à rejoindre un club sélect, à faire trio avec les filles au-dessus du lot. Je confie mes mains à Roxie les yeux fermés.

Depuis deux semaines à peu près, quelque chose a changé. Ça a commencé par de petits détails. Elle qui faisait toujours bande à part, qui avait plus l’air de survivre dans son coin qu’autre chose, en attendant sa sentence ou sa libération, un beau matin, elle a pris la confiance.

Elle est arrivée au salon en tenue, dans cet ensemble en or plaqué qui lui va si bien au teint et laissait apparaître autant de peau que possible. Pourtant, elle avait l’air plus belle, plus sûre d’elle. Il m’a fallu plusieurs minutes pour tilter, pour remarquer les voilages qu’elle avait ajoutés : deux pans le long de ses cuisses pour imiter une jupe et des manches bouffantes, tout en transparence. Il m’a fallu encore plus de temps pour capter que c’était cousu main, que c’était sa patte et que ça ne pouvait être qu’une chose : les rideaux de sa suite.

Ce n’est pas de la coquetterie, c’est un message : « C’est mon corps, je le couvre si je veux. »

C’est illusoire de croire qu’on fait ce qu’on veut de notre corps. Moi, par exemple, j’adorerais me promener à poil au milieu de Century Ward, mais on me collerait un procès pour atteinte à la pudeur. Dans une mesure moins extrême, la société nous impose ses modes à n’en plus finir, ses styles vestimentaires, ses coupes de cheveux. Il n’y a pas trente-six-mille endroits où je pourrais m’habiller en Gummygun sans attirer tous les regards. Ça fait partie de ce que j’aime dans le métier : une fois réunis dans le salon, comme on sort presque tous du lot, on se fond dans la masse. Dans un endroit comme le Temple, avoir l’air banal ou juste ordinaire devient une particularité en soi.

Un petit peu de nos corps appartiendra toujours à ceux qui les regardent, qui les jugent, puis valident ou non ce que l’on propose d’être. Tant qu’une opinion extérieure suffira à nous faire changer de coiffure, tant qu’il existera des canons de beauté, tant qu’une loi pourra nous empêcher de sortir sans culotte, alors nos corps ne nous appartiendront pas tout à fait.

C’est comme ça que je vois les choses.

Donc quand j’ai vu Jewel reconquérir sa peau un pan de tissu après l’autre, lâcher ses cheveux bouclés et troquer le rose habituel de ses lèvres pour un cuivre chaleureux, j’y ai surtout lu une déclaration de guerre. La petite princesse du Temple se dresse contre la maison, contre ses macs, contre les exigences déplacées des clients. Peut-être que c’est Fugu qui lui a collé ces idées dans la tête. Elle a eu un déclic en tout cas. Puisqu’on la privait de son corps au-delà de la moyenne, puisqu’il n’y avait aucun moyen d’en reprendre possession, Roxane a simplement décidé de lui assigner une nouvelle fonction. Quitte à être un bien consommable, ce ne serait plus un objet de plaisir, mais une arme mortelle, à l’instar de son mentor.

Je sais de quoi je parle, je porte le nom d’une arme.

Avec sa tenue, c’est son comportement tout entier qui a changé. Le soir venu, et même parfois quand Vernon se pointe, Jewel quadrille le salon d’une démarche assurée. Elle jette son dévolu sur l’une des pires pourritures de l’assemblée, l’aguiche. La plupart du temps, le client la suit et on n’en entend plus parler, jusqu’à ce que les holoïds le portent disparu.

Il faudrait être aveugle pour ne pas faire le lien. Fugu et elle ont beau faire de leur mieux pour se côtoyer le moins possible en public, je les ai déjà croisées à comploter dans leur coin. Elles prétexteront qu’elles parlent de maquillage, de lubrifiant ou de mycoses. Seuls ceux qui ont décidé de faire l’autruche, comme Boss, paraissent dupes.

J’ignore comment, mais c’est un fait : Jewel est devenue aussi dangereuse que sa nouvelle copine la tueuse bénévole.

— Bouge pas, je te mets le fixateur.

Pipette en main, mon idole de Speccom lâche une goutte de liquide sur chacun de mes ongles étincelants.

— Tu ne nous as pas raconté, Gummy, m’interpelle la non-sœur vêtue de noir. Comment as-tu trouvé le Gouverneur ? Est-ce un gentleman ou un détraqué qui se contient le reste du temps avec une ceinture de chasteté ? Quel genre de fantasmes le font vibrer ?

Quand Fugu me parle, c’est comme si quelqu’un m’avait activé le sous-titrage de l’holo-traducteur. Elle sélectionne soigneusement ses mots – à croire qu’elle s’imagine qu’on peut encore la prendre pour une commère de seconde zone ! – mais le fond de sa pensée m’apparaît assez net. Ce qu’elle veut vraiment savoir, c’est si Lord Orsbalt mérite d’être refroidi ou simplement châtré.

J’ai la vie du gouverneur d’Elthior au bout de ma langue. Un mot de travers et notre Justicière en porte-jarretelles aménagera l’occasion de lui régler son compte. Je pèse mes mots. J’opte pour l’honnêteté.

— Ça m’a l’air d’être un homme ordinaire : un salaud occasionnel sans vrai mauvais fond.

Fugu semble déçue. Alors j’étaye un peu.

— Niveau sexe, c’était fade et chiant. Il a voulu que je le complimente pendant qu’il me prenait par derrière. Pas sur son physique, plutôt sur sa richesse et sa politique. Bref, du baratin. Ça n’a pas duré longtemps parce qu’il a débandé et j’ai dû passer la demi-heure suivante à le rassurer, à lui raconter des anecdotes gênantes sur d’anciens clients jusqu’à ce qu’il reprenne du poil de la bête. Enfin, façon de parler. Le monsieur c’est pas une bête de sexe. Il ne s’est pas remarié après le décès de sa femme. Il n’arrêtait pas de parler d’elle, alors j’ai compris qu’il voulait surtout un peu de chaleur. Rien d’extraordinaire. Rien de vraiment sale.

— Il me semble surtout qu’il cherchait de la chair fraîche. Tu as presque vingt ans de moins que sa défunte épouse…

— Faut dire qu’elle est morte à l’âge de vingt ans. J’suis donc théoriquement plus vieille qu’elle la dernière fois qu’il l’a vue.

Elle me contredit rien qu’en roulant des yeux. C’est alors que ça me frappe. Avec sa chevelure blonde qui dépasse de son noir intégral, Fugu ressemble à une réglisse fourrée.

La nuit tombe si vite qu’elle nous surprend, les clients se pressent devant les lanternes rougeoyantes de la porte d’entrée et le Temple s’anime. Le salon baigne dans la bonne humeur en ce début de soirée. Deux ou trois hiérodules complimentent ma manucure. Ça change des sucres d’orge ! Doré et blanc, Roxane ne risque pas de rester sur la touche comme les œufs en gélatine qu’on laisse constament au fond du paquet. Sa nouvelle meilleure amie et elle s’entraînent à la mixologie, derrière le bar que Jeringa a dû déserter pour s’occuper d’un soldat tout juste rentré au bercail. Un poumon perforé, peu d’entre nous prendraient le risque de s’occuper de lui.

Moi, je ne le prendrais pas.

Je m’approche de l’œuf en gelée et la réglisse afin de commander le cocktail du moment. Je ne prends aucune des substances dont je fournis la maison et elles le savent. Elles me proposent donc une mixture de leur invention. À savoir, l’incontournable Martini Dry de Jeringa, relevé d’un copieux tourbillon de paillettes.

— C’est quoi ce truc argenté ? C’est comestible au moins ?

— Bien chimique, mais comestible, m’assure mon idole de toujours.

Je bois le verre comme je buvais ses conseils : les yeux fermés.

Pendant que je savoure ces quelques notes de vermouth, les apprenties barmaids s’éloignent, avec chacune un plateau de boissons sur la main. Elles offrent à quelques uns des convives le nectar clinquant, assorti à nos ongles. Je me dis même que ce rappel envoie du lourd, en pianotant du bout des doigts contre la paraison. À ce moment, une légère résistance se fait sentir, comme si mon vernis se laissait aimanter par le verre.

Parfois, notre corps nous parle. Là, par exemple, la cicatrice à mon téton me taraude plus que les autres jours.

Mes yeux trouvent Roxane, j’apprends donc que je la cherchais. Parce que j’ai non seulement un degré en somatisation, mais aussi un instinct en béton. Typiquement, il me suffit d’un coup d’œil pour différencier une gentille personne d’un étron bien emballé. Il se trouve d’ailleurs que le vieux coq en trois pièces auquel Jewel vient de servir son dernier verre est un ignoble psychopathe.

Lord van Zauberstab. Un ancien colonel de la Nouvelle Inquisition. Le genre à qui la « chasse aux psykos » donnait des érections, qui ne prend son pied qu’en suppliciant ses partenaires et qui refuse à tous les coups les services des sexbots. La douleur simulée, ça ne l’intéresse pas. Son viagra à lui, c’est les larmes de souffrance qu’il parviendra à provoquer. Je me dis même que, s’il est encore là, c’est que Fugu n’a pas encore trouvé le courage de se frotter à lui.

Peut-être que Roxane à mon sixième sens, mais en moins affûté. Coupe en main, elle flatte van Zauberstab. Elle sait que c’est un salopard, elle ne mesure juste pas encore combien il sera dur d’en faire sa proie.

J’ai le cœur qui s’emballe et les jambes qui tremblent. Fugu est introuvable, probablement partie au bras d’une autre cible. Je lutte contre toute la peur qui me noue la gorge et leste un peu plus chacun de mes pas. À vue d’œil, Jewel peine à convaincre le dégénéré de la choisir. Un bref instant, je nous crois tirées d’affaire.

Je suis assez proche maintenant pour entendre ma non-sœur se gausser sans le lâcher des yeux, dans un air de défi :

— Je me suis endurcie, vous savez. Je suis quasi aussi insensible qu’une andro, maintenant. Vous aurez du mal à m’arracher un cri !

Le regard du psychopathe pétille. Forcément, l’idée de broyer son armure dorée comme on casse une cacahuète fait grimper l’excitation. Maintenant qu’il est tenté, prêt à dégainer ses plaques et à la suivre à l’étage, je n’ai plus d’autre choix.

Je passe derrière l’œuf en gelée, la prends dans mes bras et avance le menton à hauteur de sa joue.

— Deux pour le prix d’une, ça vous tente ?

— Sans façon, me snobe ce maudit monstre.

Bien sûr, il aurait les moyens de se payer deux poupées s’il le voulait. Ma promotion n’est pas un argument. Je ne suis pas non plus son style : trop colorée, trop fragile. Il a trop peur de s’ennuyer, après m’avoir brisée au bout de cinq minutes.

Je dois me dépêcher avant que Roxane disparaisse avec lui – et peut-être pour de bon. Qu’est-ce que t’as à vendre, Riri ? Qu’est-ce qui l’intéresserait ?

— Je sais !

C’est sorti tout seul, tout haut. Tant pis, faut assumer.

— Vous allez pas l’croire, mais mon ancienne maison a servi de planque à l’Armée de l’Union. Ils parquaient des Sanfaute au sous-sol pour les questionner, si vous voyez ce que j’veux dire… J’ai pas assisté à ça, mais j’ai les holempreintes de tout l’endroit. C’est interdit d’en prendre dans l’armée, je crois… Ça vous tenterais pas, une salle de torture sur-demande ?

Un léger sourire vient rompre son dédain. Il baisse les yeux, puis hoche la tête.

C’est dans la poche ! Mince, je sens que je vais le regretter…

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