Episode 89

4 minutes de lecture

Virgil

Vingt heures, fin de la journée. Au revoir le Palais des Merveilles ! Même si j’aime bien ce squat et qu’Alice est une mine d’informations, faut bien avouer que j’ai d’autres passions que passer le balais et récurer les jacuzzis.

Dire qu’elle me prend pour son apprenti. Ahahah.

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Selon le rapport des Étalonneurs, le

jeune psyko, de 12 ans à peine,

se serait donné la mort de façon

volontaire, en se fracassant le

crâne sur le coin de l’échiquier.

Encore une de ces affaires classées. Mon mémo qui repasse sur l’holorétine. Eheh. La routine. Je croise Willy sur le chemin du retour. Je fait style de ne pas l’entendre, avec mes écouteurs vissés sur les oreilles, mais il fait de si grands signes que je ne peux pas l’ignorer. Obligé de sortir une main des poches pour lui rendre son coucou. Tsss. J’aime pas me mouiller les doigts.

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D’après tous ses collaborateurs de chez Cosm’éthique,

Barbara Heyfren prévoyait d’entamer de dangereux

remaniements dans la politique interne de la société.

C’est pareil à la maison. Je pousse la musique à fond, mais j’entends tout. Vraiment tout, à cent mètres à la ronde. Ma mère gueule : « Putain de merde, Gil, combien de fois je t’ai dit de baisser le son ? », juste parce qu’elle n’aime pas Zliperzonk.

C’est de sa faute, un peu. Si p’pa et elle étaient allés trouver un vrai chirurgien, plutôt que de sortir les ciseaux de cuisine, peut-être que j’aurais pas cette petite pointe à la con, cette cicatrice qui a enflé sur le bout de l’oreille, et que j’entendrai moins.

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La dernière mission de pacification du Désert

a profondément chamboulé l’opinion publique.

Les tentatives de répressions militaires sont

de plus en plus fréquemment pointées comme

néfastes par les organisations humanitaires

déployées sur place.

Quand je suis énervé, y a qu’un truc qui me calme. Y en a c’est la respiration, y en a c’est la musique, y en a c’est les sudoku. Moi c’est le formol. P’pa m’a appris quand j’étais petit. À cause de l’humidité, y a toujours eu un paquet de blattes au sous-sol. On remplissait ce livre ensemble, jusqu’à ce qu’il tremble trop et que je continue tout seul. Maintenant c’est à peine s’il sort du canap’. C’est à peine si m’man et lui savent qui je suis.

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Pour Audrey Lone, présidente de l’association

« Sanfautes et non fautifs » et militante pour

les droits des HPP, le conflit armé représente

« l’échec de la démocratie ». « On a besoin de

créer des repères légaux, d’intégrer une situation

qui nous dépasse depuis un demi-siècle. C’est

le seul moyen d’influencer les générations futures

dans le bon sens : celui qui va vers la tolérance

plutôt que vers l’affrontement.»

J’ai laissé la fenêtre ouverte, en espérant qu’un papillon de nuit viendrait se mettre à l’abri, attiré par la lampe du bureau. Bingo ! Attrapé !

Je fais ça entre deux e-mails, en attendant l’extinction des feux. Quand les vieux dormiront, que la rue sera déserte et les lumières éteintes, alors je sortirai. Je prendrai mon attirail. Et j’irai chasser d’autres genres de nuisibles. Ce soir, c’est la guerre à Crown Bay et les candirus n’attendent que moi.

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Car la sécurité publique est le fer de lance de

son administration, le gouverneur assure que

l’ensemble des forces de l’ordre est mobilisé

dans le but de démanteler Fate. Le secrétaire

général des affaires d’Elthior, Shamar del

Loro, est catégorique : « Membres comme

partisans : il s’agira d’enfermer, sans distinction

de classes, chaque citoyen qui prendrait part de

près ou de loin à cette folie sanglante.»

C’est la guerre, ce soir, dans les rues de la mégalopole. Les suppôts du Destin tabassent les milices et les tueurs à gage. Personne n’a fermé l’œil. Tout le monde est sur la chaussée, comme un jour de carnaval ou de fête fédérale. Tout le monde s’envoie des coups, se tire dessus. Je garde La Punition Létale bien au chaud sous la doublure de la veste. Pas question d’être un hors-la-loi. Je n’agis que sur commande, moi.

Entre deux émeutes, la devanture criarde d’un barasex. Je rentre faire un tour. Après tout, je m’y suis engagé. Impossible de ne pas grimacer avec cette odeur de baise et de rat mort, la mosaïque de visages sur l’écran de la cabine. Pas elle, pas elle, pas elle. Non, je ne vois pas sa sœur. Peut-être celle-là ? Juste pour être sûr…

Allez, je commande la fille comme sur un distributeur. Cinquante plaques quand même. Le Bashi-K arrive sur la chaîne automatique avec le corps allongé, les jambes déjà écartées. C’est pas le genre de baisodrome où les gens viennent pour les préliminaires. La fille n’est plus consciente, elle est branchée de partout, juste dopée au nibilium pour réagir aux impulsions et simuler l’orgasme.

Je laisse passer le quart d’heure sans la toucher, sans la regarder. Je suis pas un putain d’animal, moi. Un quart d’heure de répit avant que le chrono sonne et que la chaîne la rembarque. Et dire qu’on cautionne ça parce que « l’Étalonneur a dit qu’elle ne garderait aucune séquelle ». Aucune séquelle, mon cul ! L’humanité se laisse leurrer par une technologie qui l’a parasitée.

Pfff. Enfin l'air de la rue et l’odeur du cramé. La technologie a du bon aussi parfois : dix jours que je la piste sans oser lui réécrire. Est-ce que son enquête avance ? Est-ce qu’elle osera quand même me répondre ? Est-ce qu’elle me balancerait son petit secret aussi direct qu’à Alice ? Nan. J’suis pas du genre à brusquer les gens avec des sérums de vérité.

Bzzz. Oh, un e-mail. Il est débordé à ce point, le commissaire Barkley ? Ahah, je vois. Faut croire que je l’ai sous-estimée.

De : Emmanuelle Iunger

À : b4byλ0νe@altmail.pce

Monsieur Gilgamesh,

Quand bien même vous m’avez demandé de ne plus vous écrire à cette adresse, je tenais à vous informer qu’une certaine Fugu, après qui vous courez depuis un moment je crois, se trouve actuellement au 140bis, Sweet William Street, Red Hill.

Bien à vous,

E. I.

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