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Cachée sous sa couette telle une enfant, elle s'était mise à pleurer à chaudes larmes, genoux contre sa poitrine et mains devant le visage, tremblante. Elle n'arrivait pas à sortir cette image de son esprit. Son visage, il ressemblait tellement à la créature du miroir qui volait parfois son apparence, ne se révélant sous son vrai jour que lorsqu'elle était seule pour l'affronter. Un poids, léger mais insistant, se fit sentir au niveau de son épaule, glissant, lentement vers le haut de sa tête. Elle sentait les mains osseuses et les ongles qu'elle imaginait noirs de crasse agripper au passage les plis de ses draps faisant crisser désagréablement le tissu juste au niveau de ses oreilles.
Elle sentit tout à coup, au niveau de sa mâchoire, un souffle, haletant, chaud à l'odeur putride, comme si juste avant, son propriétaire s'était repus de cadavre de rats. Elle ferma les yeux le plus fort possible, priant intérieurement que quelque chose – quoi que ce soit – la sauve tandis que la couverture glissait doucement d'elle. Elle sentait déjà que ses cheveux n'étaient plus couverts, il ne faudrait encore que quelques secondes avant que son visage se retrouve nez à nez avec la "chose" et, cette fois-ci elle n'avais aucune possibilité de repli. Qu'allait-il lui arriver ? Qui, ou qu'est ce que c'était ? Pourquoi était-il là-bas, caché sous le lit de sa mère et depuis combien de temps ? Son cœur était prêt à exploser dans sa poitrine. Elle retint sa respiration et garda les yeux fermés, même lorsque son visage fut mis à découvert d'un coup sec.
Deux mains l'agrippèrent violemment au niveau des épaules et se mirent à la secouer violemment tandis qu'elle continuait de simuler la mort.
- LAISSE-MOI SORTIR !
Elle ouvrit grand les yeux d'un coup, toujours face à la monstruosité devenue plus que menaçante, s'attendant à voir sa mère puisque la créature en avait volé la voix. Son visage était presque collé au sien, sa gigantesque bouche s'étant tordue à l'inverse d'un sourire, sa bave visqueuse et froide, glissant le long de sa mâchoire et de son menton étrangement triangulaire, tombant sur ses jambes dénudées. Elle poussa un nouveau un cri et referma les yeux, se cachant derrière ses deux bras, comme s'ils pouvaient être suffisants.
- Iséa ?!
La voix venait d'en bas et la chose poussa une sorte de grognement interrogateur et mécontent, grave et métallique. Elle entendit alors comme un coup de vent tandis que la porte de sa chambre qui menait au balcon, qu'elle n'avait pas fermée claqua violemment, la faisant sursauter alors que son cœur était sur le point de défaillir.
- Iséa, tout va bien ?! Je monte.
Sentant l'urgence, elle ouvrit à nouveau précautionneusement les yeux et remarqua qu'elle était désormais seule. Sans réfléchir une seconde de plus, elle sauta du lit et dévala les escaliers. Dans la précipitation, elle loupa une marche et s'étala de tout son long cinq marches plus bas. Sans même penser à la douleur elle se releva, et les yeux humides prétendit rire de sa chute. Sa mère la regarda, l'air triste, sans rien dire ni bouger.
- Je vais bien !
- Je sais.
Iséa allait parler, mais l'attitude d'Anna la choqua, lui laissant la bouche entrouverte.
- Tout va bien maman ?
- Le repas n'est pas prêt à ce que je vois.
Elle sortit son téléphone de sa poche : l'écran était fissuré de toute part, sûrement abîmé dans la chute. Elle pouvait encore l'utiliser, mais lire ce qu'affichait l'écran relevait d'une gymnastique mentale impressionnante. Il était bientôt 13 heures.
- C'est impossible !
- Incroyable, non ? Quand tu ne prépares pas, ça ne se fait pas tout seul.
- Non, je parlais pas de ça ! Y a dix minutes à peine, il était onze heures !
- Qu'est-ce que tu racontes... Bon, met la table, je vais nous faire chauffer une pizza...
Anna ne semblait pas dans son état normal. Elle traînait des pieds et restait muette tandis qu'elle sortait du frigo, une pizza encore congelée.
- Sinon, comment s'est passé ta journée ?
Aucune réponse.
- Maman ?
- Tu as fait tes devoirs ?
- Non, pas encore.
- Pense à les faire s'il te plaît.
D'ordinaire, sa mère était terriblement colérique, s'enflammant à la moindre contrariété, mais, aujourd'hui, il semblait qu'elle se trouvait dans un état catatonique, totalement insensible à son environnement, comme si elle était là sans y être. Elles se mirent à table environ quinze minutes plus tard et Anna – bien qu'elle se soit servi une part ainsi que quelques feuilles de salade – ne toucha pas son assiette. Avant même que sa fille ait terminé et que le dessert n'ait été servi, elle se leva de table et se dirigea vers les escaliers.
- Je vais dans ma chambre. J'ai laissé mon téléphone dans ma poche de veste du salon, le code est 3356, tu peux le garder puisque le tien est mort... Et va faire les courses. Ma carte est dans mon sac, c'est le même code. Je t'aime.
Iséa aurait aimé à cet instant, se faire toute petite. Toute petite et toute discrète, s'enfoncer dans sa chaise ou se faufiler dans un tout petit trou telle une petite souris, dans tous les cas elle aurait voulu devenir invisible. Elle compta dans sa tête, le nombre de secondes qui la séparait de l'affrontement final : Maman VS Iséa. Elle imagina alors un combat où elle et Anna se faisaient face, pixélisées comme sur les jeux d'époque. À peine le timer fût-il lancé que sa mère lança son attaque "extermination" et ce fût un one shot, l'écran affichait la mention suivante : "T'es foutue" à la place du "YOU LOSE" habituel. Elle enfonça la tête dans ses épaules et attendit.
Les minutes défilèrent tandis qu'elle n'entendait toujours aucun bruit. Peut-être que sa mère, épuisée, ne s'était rendu compte de rien et était simplement partie se coucher. Elle termina alors tranquillement de manger, soulagée. Lorsqu'elle eut fini son repas et sa glace aux amandes et à la noix de coco, elle débarrassa, comme à son habitude. Dans le couloir, les affaires de sa mère avaient été déposées juste devant la porte de façon négligée.
"Toi qui râles toujours quand je laisse traîner mes affaires..."
Elle prit dans son sac à main en cuir sa carte et plongea sa main au fond de la veste d'Anna pour y récupérer le téléphone. Ses mains sentirent dans la même poche, le coin d'un morceau de carton et la curiosité l'emporta. Il s'agissait d'une carte de visite. Entièrement noire, recto-verso, sans aucune inscription, ni aucun numéro, ni même aucune autre information.
"Bizarre..."
Elle la reposa à sa place et se saisit du téléphone portable. Avant d'en retirer la puce pour l'intervertir avec la sienne, elle se souvint de la suite de nombres qu'elle avait trouvé sur l'ordinateur portable d'Anna. Malheureusement, son écran étant complètement fichu, elle ne pouvait pas lire correctement le RIB et la comparaison serait donc difficile si elle avait enregistré plusieurs bénéficiaires. S'il ne correspondait pas à un numéro enregistré et donc régulier, ce serait beaucoup plus compliqué. N'ayant pas le code de la puce de sa mère, mais uniquement de l'appareil, elle ne pouvait pas se permettre d'intervertir les puces à volonté le temps de recopier sur un papier l'information. Elle se maudit alors d'être aussi adepte des technologies.
"Sérieux Isé', t'aurais pas pu noter ça sur un bout de papier comme tout le monde ?!"
Elle ouvrit l'application bancaire, fort heureusement, celle-ci n'était pas sécurisée, le mot de passe étant sauvegardé en saisie automatique, chose que d'ailleurs, sa fille trouva loin d'être prudente pour une application aussi sensible et importante. Elle cliqua directement sur l'icône de virement et décida de commencer par regarder les bénéficiaires enregistrés ainsi que les virements programmés : rien, ni dans l'un, ni dans l'autre.
"Ce n'est donc pas régulier..."
Elle tenta de déchiffrer sur la photo qu'elle avait prise de l'écran, faisant zigzaguer l'image entre les fissures afin d'en voir le plus possible et remarqua rapidement les quatre premiers chiffres qu'elle avait pris pour un code.
"Et si c'était pas un code, mais... une date ? Vingt-trois, zéro, cinq... Le vingt-trois mai, voyons voir."
Elle tapa dans la barre de recherche la date recherchée, ce qui lui donna la possibilité d'avoir directement l'ensemble des mouvements bancaires ayant été fait à cette date sur les 3 dernières années. Magasins alimentaires, vêtements, loisirs, seulement deux entrées sortaient du lot : un virement sortant, et un virement entrant, toujours du même montant depuis plusieurs années déjà. Les deux provenant de comptes non-identifiables, sûrement le genre de choses qu'on peut faire dans un bar tabac. Alors qu'elle comparait les numéros, son téléphone s'éteignit et refusa de se rallumer, s'en était fini de lui.
"Bordel, sept cents euros pour que ça casse pour une chute dans l'escalier sérieux !"
De ce qu'elle avait réussi à garder en tête, il s'agissait du virement sortant que sa mère avait noté, ce qui paraissait plutôt logique, si jamais un virement devait ne pas être oublié, c'était sans aucun doute un paiement, mais pourquoi versait-elle...
"Quoi ?! Quarante-six mille euros ?! Chaque année ?! Mais..."
Le virement bénéficiaire quant à lui était de mille euros. Ce qui ne couvrait largement pas les frais. Iséa savait que sa mère œuvrait dans l'investissement et qu'elle possédait de nombreux revenus différents, mais cette dépense déraisonnable et pourtant annuelle depuis au moins trois ans – si ce n'est plus – semblait étrange, et ne lui ressemblait pas. Elle venait d'une famille plutôt pauvre et avait fait fortune en commerce à l'aube de ses trente ans, elle connaissait la valeur et l'importance de l'argent, et bien qu'elle aime malgré tout se faire plaisir et dépensait sans compter pour elle et sa fille, en mobilier, en vêtements ou en sorties et en activités, elle n'était pas adepte du "dépenser pour dépenser" dans des choses inutiles, ni à jeter l'argent par les fenêtres.
Alors qu'elle était absorbée par sa réflexion, elle fut déconcentrée par des bruits étouffés à l'extérieur.
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