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Le soleil se leva sur la maison des Chalan.
Iséa avait terriblement mal dormi, se réveillant plusieurs fois en sueur et nauséeuse, une crampe à l'estomac persistante, comme si le stress et l'angoisse accumulée des derniers jours cherchaient à la broyer dans un étau invisible. Ce matin était une belle matinée, les oiseaux chantaient et il commençait déjà à faire chaud. Iséa descendit de son lit, enfila ses petites pantoufles et décida de s'habiller plutôt que de descendre en pyjama. Aujourd'hui, elle voulait aller faire un tour à la boulangerie, au coin de la rue, pour faire plaisir à sa mère qui devait d'ailleurs encore dormir, puisqu'elle n'entendait pas un bruit. Elle opta pour une jupe longue ample et noire, un haut sans mange marron, une paire de lunettes de soleil noires et dorés, sans oublier un grand chapeau à large bord. Doucement elle descendit les marches, pris sur l'étagère à chaussure sa paire de sandales noires et sortit. L'air était frais tandis qu'elle descendait la colline. La boulangerie se trouvait en contre bas, sur la droite, à tout juste une centaine de mètres de chez elle. Elle s'attarda sur le paysage printanier qui s'étalait devant elle : elles vivaient dans un village de campagne qui, pour autant, n'était pas du tout agricole. Alors, les champs fleuris et sauvages s'étalaient à perte de vue. Si elle avait été poëte, ce paysage lui aurait sans doute inspiré quelques proses romantiques, mais celle-ci était plutôt dessinatrice dans l'âme, comme sa mère, alors, pensant qu'elle aimerait peut-être également le peindre, elle prit une photo de ce qu'elle voyait et quelques photos macro de détails environnants : les détails d'une pierre posée là, un insecte se repaissant d'une feuille, un papillon qui se repose... Elle arriva en quelques minutes devant la facade de la boutique, l'odeur du pain chaud et des viennoiseries parvenait jusqu'à elle, malgré la porte close, lui donnant l'eau à la bouche. Elle entra.
- Bonjour !
- Bonjour, qu'est-ce qu'il vous faudra ?
- Un pain, trois pains au chocolats, trois croissants et deux tartes aux framboises, s'il vous plait.
- Bien, ce sera tout ?
- Oh, rajoutez une petite tartelette au citron aussi s'il vous plaît, je la mangerais en chemin.
- Tenez, ça fera...
La clochette d'entrée retentit, une fois, deux fois, trois fois. Iséa pensait qu'un enfant s'amusait avec la porte et regarda en sa direction, mais il n'y avait personne d'autre qu'elle ici, elle et la boulangère, une jeune femme bien en chair, au visage souriant. Elle ne pût s'empêcher de pousser un cri lorsqu'elle entendit le son de la clochette une nouvelle fois, mais cette fois-ci, juste derrière son oreille gauche. Elle se retourna brutalement contre le contoir se tenant l'oreille, le regard hagard, cherchant partout autour d'elle.
- Mademoiselle, est-ce que tout va bien ?
- Je... Par carte s'il vous plaît !
La dame semblait véritablement inquiète pour sa cliente et, très prévenante, lui proposa un verre d'eau. Iséa refusa poliment pretextant des accouphènes, paya rapidement et sans même prendre le ticket, se précipita à l'extérieur. Elle partit s'installer dans un petit parc juste à côté, sur un banc, face à une petite marre protégée par une rambarde où nageaient de gros poissons colorés. Un peu plus loin sur sa gauche, un grillage entourait une parcelle de terrain où se prélassaient quelques animaux. Des chèvres, un bouc, deux canards et quelques poules au plumage épais. L'odeur qui s'en dégageait lorsque le vent soufflait de son côté, sans doute à cause de la chaleur, n'était pas des plus agréable, alors, elle engloutit sa tartelette et partit dire bonjour à une chèvre curieuse qui s'était approchée, avant de remonter jusqu'à son domicile. Elle entra doucement dans la maison, vérifiant si sa mère s'était enfin levée, mais non, toujours aucun signe d'elle. Elle regarda dans le frigo, la portion de nourriture de la veille était toujours là, intacte, elle ne s'était pas levée dans la nuit, ni levée du tout d'ailleurs depuis hier, pas même pour aller aux toilettes puisqu'en devant traverser sa chambre, aux vues de la nuit mouvementée qu'elle avait passée, cela l'aurait sans aucun doute réveillée. Elle prépara le café, bien fort et bien sucré, qu'elle fit couler dans la tasse préférée d'Anna : une petite tasse en forme de tête de panda, qu'elle avait eu pour la fête des mères quand Iséa était petite.
- Maman, cadeau !
- Ohhh merci ma chérie !
- Elle l'a choisie toute seule comme une grande.
- Oh mon petit coeur viens dans mes bras.
Elle l'avait alors sérrée très fort, la couvrant de baisers en riant.
- T'as vu c'est Nico !
- C'est qui Nico ?
- Un petit panda dans le dessin animé qu'elle regarde tous les matins, il est trop mignon et je lui ai dit que je l'aimais bien, je pense que c'est pour ça qu'elle a choisi ce modèle.
- Maman, tu met Nico ?
- D'accord chérie mais pas trop longtemps, après on ira à la piscine si tu veux.
- Oui ! Oui ! Oui ! La piscine !
Iséa, tout en dansant, avait ensuite fait le tour de ses parents, avant d'être prise dans les bras et enlacée. C'était un miracle que cette tasse, datant de plus de quinze ans, au dessin presque éffacé dont seul subsistait les reliefs permettant d'en deviner la représentation animale, ait survécu à tous les déménagements, et surtout à sa mère, qui était terriblement maladroite. Elle se rappela le nombre de fois où elle entendait le bruit du verre ou de la porcelaine cassée, suivie du traditionnel "Je vais bien !" de sa mère qui indiquait ainsi qu'elle ne s'était pas blessée. Elle disposa la tasse sur le plateau, à côté de la petite assiette où elle avait placé un croissant et un pain au chocolat, gardant les tartellettes pour le dessert du midi - ou peut-être le goûter si Anna sautait encore un repas - qu'elles puissent les manger ensembles. Une fois que tout fût prêt et à sa place, elle se saisit du déjeuner et entreprit de monter la paire d'excaliers qui montaient jusqu'à La Tour, pour lui servir son repas au lit, ne doutant pas que ça lui ferait extrêmement plaisir qu'on prenne soin d'elle de la sorte. Sa mère était très sensible à ce genre d'attention et elle se souvenait que son père s'en chargeait tous les matins à l'époque, en tout cas pendant le week-end, lorsqu'il ne travaillais pas. Le reste de la semaine, Anna trouvait tout, déjà préparé sur la table à manger, le café encore tiède dans la machine, la tasse contenant déjà la dose de sucre adéquate. A cette époque elle rayonnait de bonheur et Iséa n'aurait jamais cru que cela puisse changer. Lorsqu'elle arriva à la porte, elle toqua doucement mais celle-ci s'ouvrit toute seule, lentement.
Tout à coup, une bouffée d'angoisse s'empara d'elle. Se souvenant de la créature qui l'avait fait fuir la dernière fois qu'elle avait pénétré ici, elle se mit à transpirer et son coeur commença à battre la chamade. Soudainement prise d'un mal de tête, elle eût un léger tournis et manqua de tomber à la renverse. Elle prit cinq minutes pour respirer avant d'entrer, tentant de garder les idées claires.
"Iséa, souffle, tout va bien, il n'y a rien, ni personne, de louche ici. C'est... c'est dans ta tête."
Elle poussa la porte d'une main tremblante.
- Maman, réveilles-toi, je t'ai préparé le petit déj'.
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