L'écran déverrouillé apparut devant elle. Sur le bureau, le fond d'écran représentait un des tableaux qu'avait fait Anna quelques années auparavant, un arbre de vie dans les tons roses et dorés, sensé porter chance et vitalité, dont la date de naissance d'Iséa ornait chaque branche. Utilisé la plupart du temps uniquement pour des recherches, les fichiers ne contenaient strictement rien d'autres que des documents de travail, elle dû donc partir à la pêche aux infos directement dans son navigateur. Dans ses historiques de recherches, qui malheureusement étaient réglés pour s'effacer de façon mensuelle, elle trouva des recherches ésotérique sur des incantations à but protectrices et des recherches sur "comment savoir si un démon nous a trouvé", et ce, quelques jours seulement avant sa mort. Elle décida ensuite de se connecter sur sa boîte mail, pré-enregistrée sur l'appareil. A cet instant, tout se révéla à ses yeux. Son traitement et sa raison d'être, sa maladie, ainsi que les échanges qu'elle avait eu par mail avec le soi-disant "sorcier" qu'elle avait eu au téléphone précédemment. Il était clair qu'il était le genre de personnage à faire très attention de ne laisser aucune trace, cependant, il avait entièrement fait confiance à Anna, persuadé qu'elle ne lui causerait jamais de tort aux vues de l'importance qu'il avait pour elle et du montant qu'elle lui offrait sans broncher régulièrement. "Rdv hebdomadaire Iséa" et "Paiement reçu" étaient les principaux intitulés des échanges, le premier consistant en un rappel de rendez-vous et le second en justificatif de paiement. Malgré ça, certains sortaient du lot et elle trouva toute une discussion dans l'un des brouillons qui lui étaient adressés, qu'elle ne lui avait finalement jamais envoyé.

La planche est-elle prête ?

J'attends votre virement.

Envoyé. Merci de confirmer.

Confirmé, passez chercher les objets rituels demain après-midi.

Je viens dans une heure. Non négociable au prix où je vous paye.

Entendu.

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C'est fait. Combien de temps avant d'obtenir des résultats.

Peut varier. Moins de 90jours. Plus vous manifestez avec foi, plus les résultats seront rapides.

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Merci Grand Maître, ça a fonctionné, j'étais sceptique mais il est là ! Cependant, tout ne correspond pas.

Peut arriver. Incantation mal réalisée ou trop vague dans la description.

Pas possible, tout à été fait selon vos indications, l'album, la bougie, les gravures, le sang.

Voilà donc pourquoi elle avait gardé ces choses putrides en bas. Elle n'avait pas osé – ou voulu – s'en débarrasser. La veille, Iséa était descendue après avoir fini par trouver de quoi se sentir plus à l'aise en présence de matières potentiellement dangereuses et elle se souvenait encore du dégoût qu'elle avait éprouvé lorsqu'elle avait trouvé cette planche aux gravures étranges, gorgée de sang, des morceaux de photos calcinées ainsi qu'une bougie presque totalement fondue sur laquelle il semblait y avoir eu d'écrit quelque chose devenu illisible avec la fonte et le ramolissement de la matière. Elle continua de cliquer sur chacune des icônes de messages qui avaient été addressés à Mr M'Noko avant de tomber sur une information qui renforça ses doutes sur le lien qu'avait cet homme avec le suicide de sa mère, pouvant même expliquer la vie qu'elles avaient menées ces dernières années et la raison pour laquelle son père avait disparu de sa vie. Ses échanges plus récents avec Anna commençaient le jour même où sa mère lui avait ordonné de partir chez ses grand-parents dans un coin perdu au fin fond de l'Auvergne profonde.

C'est affreux, j'ai fait tout ce que vous m'avez demandé, j'ai pris toutes les dispositions nécéssaires mais il me laisse désormais voir son vrai viage, je vois le démon qui est en lui, j'ai peur, grand maître, que dois-je faire ?

Vous devez mettre le feu à la planche pour faire disparaître le maléfice, mais vous devez impérativement garder les résidus. Si vous les jetez, le démon pourra les remettre en état et vous ne pourrez plus le chasser.

La planche ne brûle pas !

C'est trop tard, le démon est devenu trop fort... Dans ce cas vous devez partir le plus vite possible avec votre fille, fuyez pour qu'il ne puisse pas l'emmener avec lui car maintenant la seule façon pour lui de disparaître de votre vie c'est d'emporter le fruit de votre union. Je peux faire un sortilège de protection pour vous et votre fille mais ça demande de nombreuses ressources et beaucoup de mon précieux temps, temps que je ne pourrais pas accorder à d'autres personnes nécéssitant mon aide...

Votre prix sera le mien, j'ai les ressources nécessaires. Nous avons besoin de votre protection.

Ainsi était la façon avec laquelle il avait réussi – non sans un certain brio – a extorquer à Anna plus de cent trente-huit milles euros, juste en "protection", sans compter les coûts d'entre-vue et le reste.

"Putain d'escroc manipulateur."

Au milieu de toutes ses informations, elle trouva un mail du docteur Merez, un médecin vraiment très gentil qu'Iséa avait eu l'occasion de consulter de nombreuses fois avant qu'ils ne déménagent.

Anna, vous devez impérativement continuer votre traitement, j'ai eu écho du fait que vous ne preniez plus la médication que je vous avait prescrite et que vous ne vous rendiez plus aux scéances de chimiothérapies. Revenez me voir, je vous en prie. Vous pouvez surmonter ça, nous pouvons le faire, ensemble, pensez à votre fille ! Je suis là pour vous aider, croyez-moi, appellez-moi dès que vous aurez pris connaissance de ce mail.

"Chimio ? Mais quel est le rapport avec sa schizophrénie ?!"

Son crâne bouillonnait, le sang faisant gonfler ses paupières, celles-ci devenaient lourdes. Iséa sortit de la chambre, furieuse et perturbée.

"Qu'est ce que tu me cachais d'autre maman bordel ! Je croyais que nous étions proches, comme des soeurs ! Mais, enfait, tu m'as menti ! Tu m'as menti tout ce temps, en me regardant dans les yeux ! Tu savais que tu allais mourir et tu n'as rien dit !"

Elle sauta sur son lit, la tête enfoncée dans l'oreiller et poussa, de toute ses forces, un cri désespéré, un cri que même en enfer, on entendrait jamais. De ses deux mains elle serrait ses draps fermement, comme s'ils représentaient la vie d'Anna qu'elle aurait tant voulu sauver, les tirant contre elle dans la tentative désespérée d'un dernier contact, illusoire et symbolique, eux qui étaient devenus humides et salés. Personne n'aurait pu dire combien de temps cela dura, pour elle, ce fût une éternité sans doute, pour d'autres, le temps d'un souffle léger carressant une plume, mais sa colère s'éteignit tandis que son corps basculait dans un sommeil profond et agité, le soleil se couchant lui aussi.