Chapitre 32 :
Face à son reflet dans le miroir, Laurène n’aurait su prédire sa réaction : s’énerver ou pleurer ? Elle ne savait pas. De toute façon, elle restait toujours prisonnière dans sa cellule. Les jours qui s’écoulaient, paraissaient si longs pour elle. La jeune fille n’avait plus la notion du temps. L’adolescente ne savait pas si Noël et le nouvel an étaient passés… elle ne savait plus. Rien. Laurène massa son poignet droit qu’ils avaient blessé, la douleur revenait de temps à autre. Elle ne pouvait plus utiliser son partage à cause de la douleur !
Soudain, la lumière s’alluma vivement. Laurène ferma les yeux et les cligna. Ce n’était pas le type bizarre qui lui proposait de l’aide mais Luc, avec les deux gardes. À force de le voir, elle pensait qu’elle connaîtrait certaines choses sur lui, mais il ne lui avait même pas dit son nom.
– Pourquoi c’est toi qui viens ? demanda Laurène en se levant.
– Parce qu’à partir d’aujourd’hui, tu vas vivre avec mes parents et moi, soupira Luc très peu ravi.
– Tu déconnes là ?
– J’aimerais, mais non.
– Mais sérieux… qu’est-ce que vous prenez comme substance illicite ? C’était avant qu’il fallait bien m’accueillir pour me mettre en confiance ! Vous avez deux neurones pour mille personnes ou c’est comme ?
« Laurène ! » la réprimanda Ignisaqua.
« Mais faut bien quelqu’un pour pointer du doigt leur mauvaise stratégie ! Pas étonnant qu’aucun Lié les aide s’ils font ça depuis des décennies aussi ! »
« Et tu penses que leur montrer leur défaillance est bien ? »
« Je suis l’élue. Ils n’ont pas besoin des autres Liés. »
« Tu marques un point. »
« Tu pourrais pas venir me sauver là ? »
« Ce n’est pas le moment. »
« A t’entendre ça ne sera jamais le moment. »
Luc lui broya le bras et l’entraîna rapidement avec lui. Dehors, il faisait bon, sans que la chaleur soit écrasante. Laurène identifia donc que cela devait être le printemps, or ils l’avaient kidnappé en automne… cela la terrifiait et la soulageait à la fois. Ce temps lui avait semblé des années, mais quelques mois… c’était déjà trop ! La jeune fille se laissa guider sans se débattre.
Ils passèrent dans le centre du village entre le lieu de culte et la fontaine. Près d’une terrasse du café, la jeune fille reconnut Henry parlant avec d’autres garçons. Il avait perdu énormément de poids ce qui lui donnait un air moins innocent et fragile. Malgré les changements, cela ne trompa pas Laurène. Et son sang ne fit qu’un quart de tour. Sous l’impulsion de la colère, elle se détacha subitement de l’emprise de Luc. Ce dernier ne fit rien, comprenant son attitude. Laurène s’avança à grands pas, à une table de la terrasse, elle subtilisa rapidement un gros couteau coupant et pointu. En deux enjambées, elle s’approcha d’Henry et enfonça l’ustensile dans son ventre.
Elle ne lâcha pas l’arme. Les autres jeunes hommes furent trop choqués pour réagir. Henry, quant à lui, écarquilla les yeux, ébahi. Il baissa la tête et fixa le couteau dans son ventre alors que du sang s’échappa de sa bouche. Apeuré, il releva la tête et regarda Laurène, en détresse.
– Laurène…
– Tu es qu’un putain de connard Henry, susurra-t-elle. Voilà ce qui arrive aux personnes fourbes et dégoûtantes comme toi. Tu t’es bien foutu de ma gueule ! Je suis ton retour de karma.
Henry bougeait les lèvres sans rien dire. Laurène n’osa pas retirer le couteau. Cela pouvait le tuer. On la jeta au sol pour l’éloigner du jeune Dresseur qui s’écroula. Alors qu’elle allait se faire taper par les amis du Dresseur, Luc s’interposa pour les en empêcher. Le doyen ne lui pardonnerait pas si elle était encore une fois blessée.
– Au lieu de venger votre pote minable, allez plutôt lui porter secours, ordonna le jeune homme. Je m’occupe d’elle.
Surveillant les faits et gestes des autres, il s’apprêta à aider la jeune fille à se relever mais l’adolescente était déjà sur pied. Il lui prit le bras et l’entraîna avec lui. Les deux autres qui les escortaient, s’occupèrent de leur camarade blessé. Ils se retrouvèrent donc seuls, dans le silence. Laurène se demandait pourquoi elle n’avait pas retiré le couteau… Tuer l’avait toujours dégoûté et profondément marqué… comment avait-elle pu le planter aussi facilement alors ? La haine. Les rancœurs l’avaient dirigé. Non… elle n’avait pas pu faire cela ! Elle s’arrêta et regarda ses mains en sang.
– Oh non, non, murmura-t-elle prise de panique.
– Il ne va pas mourir, assura Luc.
– Pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi ne m’as-tu pas arrêté ?! Tu savais que j’allais péter un câble. Tu le savais.
– Car je ne l’aime pas, c’est tout, répondit Luc en éloignant le poing de Laurène qui avait frappé son torse.
– Donc tu laisses quelqu’un se faire tuer juste car tu ne l’aimes pas ? Tu es affreux !
– Oui je sais, je suis une horrible personne qui va finir au enfer ! Je savais juste que tu ne le tuerais pas. Tu n’es pas ce genre de personne.
– Tu ne me connais pas.
– Jure ! Je pensais que je te connaissais depuis dix-sept ans !
L’adolescente s’immobilisa sans rien dire et observa les feuilles bien vertes. Elles venaient sûrement tout juste de pousser en plus. Rien avoir au paysage qu’elle voyait juste avant son enlèvement. Cette constatation lui faisait mal, très mal.
– On est en quel mois ?
– Début mai 2020 Miss. Cela fait six mois un peu près que tu as été enfermée.
– Mes dix-sept ans… nos dix-sept ans, murmura Lauène la voix tremblante.
– Pardon ?
– J’ai eu mes dix-sept-ans, loin de mon frère jumeau, à être torturée et enfermée.
– Heu… joyeux anniversaire en retard ?!
Le ‘‘tais-moi’’ resta sur les lèvres de l’adolescente. Mais c’était étrange… Elle n’avait même pas su le jour de son anniversaire. Elle n’avait même pas pu le souhaiter à Lucas… et dire qu’elle n’avait même pas eu seize ans lorsqu’elle était arrivée au campus ! Le temps passait. Trop vite à son goût.
« As-tu des nouvelles des autres ? », voulut savoir la Liée.
« Non, je suis cloîtré dans une grotte. Je te rappelle que mon état dépend du tien. Donc je ne dois absolument pas sortir pour le moment. »
« Désolée… repose-toi comme tu peux. »
« Toi, repose toi. Et n’abuse pas. Regarde-toi. Tu es la personne qui a le plus besoin de repos. », insista Ignisaqua.
« Si tu as des nouvelles… tu me le dirais quand même ? N’est-ce pas ? »
« Écoute… je suis vraiment navré de ne pas pouvoir te révéler plus. Vraiment, j’essaye de te protéger comme je peux. Trop d’informations ne pourraient pas t’avantager. »
« Comment ça si ça ne tenait qu’à toi ? »
« J’en ai déjà trop dit… je sais que tu doutes de nous et que tu as du mal à avoir confiance en moi. Je te l’accorde, je suis secret. Un jour, je te promets que tu comprendras tout. Mais ce n’est pas l’heure. »
« Juste… je veux que tu me donnes des nouvelles des autres quand tu en auras. »
« J’essayerais. »
Laurène ne répondit pas à son dragon. Elle savait bien qu’il ne cherchait pas d’excuses. Il disait vrai. Peut-être était-ce le pire… sa relation tendue avec lui l’usait : elle s’entendait très bien avec lui avant. Ça lui donnait l’impression de perdre son meilleur ami. Elle se sentait coupable, mais en même temps, le comportement d’Ignisaqua avait causé la tension entre eux.
Luc la fit rentrer dans une maison typique d’un lotissement. Ils tombèrent directement sur les parents de Luc qui ne lui ressemblaient pas du tout ! Laurène fut vraiment frappée par ce détail là !En effet, la maman avait les cheveux blonds et des yeux bleu-gris alors que le père au teint mâte avait les cheveux crépus et des grands yeux marron. La jeune fille dissimula sa surprise mais ne comprenait pas que le jeune homme soit apparenté à eux. Peut-être était-il adopté ? Ou quelque chose dans le genre…
Mais lorsqu’elle vit une vieille dame aux cheveux roux et un vieux monsieur aux yeux verts, elle se dit que cela devait être une histoire de génétique. Luc referma la porte derrière lui et alla saluer ses grands-parents sans grand enthousiasme. Laurène resta planter face aux parents du jeune homme. Soudain, la mère du jeune homme s’approcha d’elle puis la prit dans ses bras. L’adolescente se crispa. La jeune fille n’avait jamais été spécialement tactile mais là… elle voulait juste pleurer, et se rouler en boule, loin de tout être humain. Se rendant compte de son mal être, le mari appela son épouse qui s’éloigna un peu. Laurène fut plus vive en s’écartant de plusieurs pas, la respiration coupée, elle avait l’impression de manquer d’air. Non. Elle ne pouvait pas survivre ici. Ca n’allait pas aller. Ça…
« Il faut que tu te calmes, Laurène. Le partage. », lui rappela doucement Ignisaqua.
Elle porta automatiquement sa main à son bras meurtri, sans oser regarder les deux adultes qui la fixaient. Son mouvement avait aussi été capté par Luc et ses grands-parents. Ils la regardaient tous, pourtant le message qui passait était très clair : ne me touchez pas !
– Je… je vais aller préparer le repas, décida la mère de Luc. Laurène, vaudrais-tu manger quelque chose en particulier ? As-tu un plat préféré peut-être ?
Évidemment qu’elle en avait un, elle adorait la tartiflette. Quand elle vivait chez ses parents, elle passait son temps à insister auprès d’eux pour qu’ils en fassent. Peut-être qu’en avoir aurait été un réconfort, cependant elle ne souhaitait pas voir sortir des choses qu’elle aimaient… d’eux.
– Ce que vous voulez, ça m’ira très bien, murmura-t-elle.
Le père de Luc s’approcha doucement d’elle et elle dut se faire violence pour réprimer l’instinct de reculer. De le savoir aussi proche la rendait malade. Peut-être que ça ne lui faisait pas ça avec Luc car elle le voyait depuis quelques temps… les inconnus ici la terrifiaient, la pétrifiaient.
– Tu es ici comme chez toi, Laurène. Si tu as besoin de quelques choses, n’hésite pas à demander.
L’adolescente hocha doucement la tête mais se recula vivement quand il allait poser sa main sur son épaule.
– Ne me touchez pas ! hurla-t-elle les larmes aux yeux.
Elle se tourna vers la porte. Avant qu’elle n’ait pu faire un pas vers, Luc la saisit et l’entraîna avec lui dans les escaliers. Il lui indiqua les différentes salles et la mena à sa chambre. La Liée ne savait pas à qui elle avait appartenu, mais cette personne ne semblait plus en vie au vue des photos d’enterrements plus ou moins éloquentes…
– Lâche-moi !
Luc le fit. Tout deux restèrent silencieux. Le Dresseur ne comptait pas revenir sur l’attitude de la jeune fille et cette dernière ne souhaitait pas du tout s’excuser. Elle ne voulait pas lui adresser la parole pour le moment, et encore moins croiser un des membres de sa famille.
– Si tu sors, je viens avec toi. Toujours.
– Comment tu t’appelles en faites ?
– Luc. Je m’appelle Luc… Ah oui d’ailleurs ! On est en guerre depuis quelques mois si tu veux savoir.
– Pardon ?
– Le premier ministre l’a annoncé en janvier. Ils veulent te récupérer. Et leur seul moyen, c’est de nous attaquer pour te retrouver. Donc, nous sommes en guerre car ils nous accusent de tuer des gens, de tout détruire et d’enlever des personnes.
– Mais vous détruisez tout, tuer des gens et enlever des personnes. Si vous ne vous rendez pas compte que c’est mal, c’est que vous êtes juste des psychopathes en faites.
Étrangement, même si cette annonce pouvait donner de l’espoir, cela n’en procura pas à Laurène. Mais qui pourrait réellement la sauver ? La réponse semblait évidente pour la jeune fille : elle-même. Peut-être qu’Aaron essayerait, à moins qu’il soit trop occupé avec Sara ! Mais elle restait quand même son amie , il ne l’abandonnerait pas, non ?
Laurène revint à la réalité. L’adolescente se dirigea dans la salle de bain pour prendre une douche. Elle poussa un cri, pétrifiée devant la glace.
– Laurène ? demanda la mère de Luc derrière la porte. Tout va bien ?
– Je… oui, oui. Tout va bien !
La voix de la jeune fille laissait surtout penser le contraire. Pourtant la Dresseuse eut la décence de en rien ajouter. Malgré elle, Laurène lui en fut reconnaissante. Elle resta tout de même étonnée : la femme se montrait extrêmement gentille. Des ennemis… gentils ? Ça devait être un subterfuge, se convainquit Laurène. Mais… s’ils n’étaient tous pas méchants ? Non. Ils l’étaient. Il l’étaient tous. L’adolescente soupira en croisant son regard à travers la glace.
Elle y voyait un monstre incarné juste en analysant ses bras et sa tête ! Les larmes lui montèrent aux yeux et elle tenta tant bien que mal de ne pas les laisser s’échapper. Sa gorge la piquait et elle tremblait. Des cicatrices striaient son bras droit totalement meurtri, elle en avait un petit sur le côté gauche de son cou. Heureusement, le bras gauche et son visage avaient été épargnés, cependant ce dernier reflétait toute sa fatigue et malnutrition. Les traits creusés, les cernes énormes… le chiffre sur la balance la dérouta encore plus : elle avait perdu quinze kilos. Même pour une personne avec quelques kilos en trop et aussi petite que Laurène, c’était beaucoup trop ! Elle fut tentée d’utiliser le mètre et elle ne résista pas. Habituellement, la Liée aurait été heureuse de voir qu’elle faisait un mètre cinquante désormais, mais ce n’était plus ce qu’elle désirait le plus.
Elle voulait de tout son cœur s’enfuir. Elle désirait être libre. Ou mourir. Un des deux. Laurène essuya l’eau sur ses joues puis se déshabilla avant d’entrer dans la douche. Elle ne sut pas combien de temps elle y restait. Mais à un moment, elle s’écroula ! Elle se laissa glisser au sol de la douche, observant ses jambes parsemées de quelques cicatrices de toutes tailles. Il y en avait plusieurs, partout sur son corps. C’était horrible pour elle.
Laurène s’effondra en larmes qui se mêlèrent à l’eau du jet de la douche. L’adolescente pleura pendant de longues minutes. Son corps, elle… ils l’avaient transformé. Cela lui faisait peur, elle redoutait. Avec ses transformations, ses amis l’aimeraient-ils encore ? Physiquement elle ne ressemblait plus à la jeune fille kidnappée. Psychologiquement, elle se retrouvait plus parano que jamais et plus meurtrie qu’autre-chose. Mais elle devait tenir le coup. Mais Laurène ignorait si elle possédait la force de tenir encore.
Quand elle retourna dans la chambre, des vêtement bien pliés reposaient sur le lit. Laurène les enfila avant de s’étaler sur le lit. Maintenant qu’elle était hors de sa cellule, elle n’avait plus qu’à attendre que le type bizarre lui laisse des occasions. S’il tenait sa parole !
« Attention Laurène. Si tu te rates, ils ne seront sûrement pas tendre. »
« Ils n’ont jamais été tendre. Mais… je suppose que c’était encore un avertissement pour me dissuader de partir. Je suis censée rester, c’est ça ?»
« Reprends des forces, c’est l’essentiel. »
« Et après, je pourrais m’enfuir. Peut-être… »
« Tu dois tenir. Tu n’as pas le choix. »
« Et à quoi ça va me servir ? Hein ?! A quoi ça va me servir dans cette putain de prophétie ?! »
Laurène s’y attendait de ne recevoir aucune réponse. Elle attrapa l’oreille le plus proche et le balança à l’autre bout de la chambre en se retenant d’hurler. La jeune fille ne savait pas si ses hôtes avaient connaissance du lien télépathique entre dragon et Lié, mais autant ne pas ramener toute la maison ici en devant expliquer qu’elle se disputait avec Ignisaqua.
« Je n’ai jamais eu de réponse à mes questions, lui reprocha-t-elle. Alors peut-être peux-tu au moins me dire à quoi ça va me servir de rester loin des gens que j’aime ? »
« Avoir un meilleur point de vu Laurène. Un point de vu plus global. »
L’adolescente laissa son poing suspendu, à quelques millimètres du mur qu’elle comptait frapper. Son séjour risquait d’être long si elle persistait dans cet état d’esprit.
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