TERRE II *** II ***
TERRE II - CELLULE DE DEGRISEMENT
Fyguie et Houda venaient de passer la pire nuit de leur vie. Leur corps n'était que douleur. L'effet de l'alcool s'était dissipé, et les stigmates de la veille s'étaient manifestés comme par magie pendant leur sommeil. L'action anesthésiante de la liqueur de sabran n'était déjà plus qu'un lointain souvenir. Les yeux rivés sur le plafond, les deux amis étaient encore affalés sur leurs matelas de fortune.
— Je vais mourir, Fygs..., gémit Houda.
— Ne m'en parle pas..., répondit-il, le ton faible.
Il tenta un mouvement pour se tourner vers Houda, mais la douleur le stoppa dans son élan.
— Tu crois qu'on s'est cassé quelque chose quand on est tombé ? demanda la scientifique.
— Non, je pense qu'on est juste des jeunes vieux qui ont dépassé les bornes…
Ils étouffèrent un rire, provoquant des torsions de douleur.
— Putain... Le patron ne va pas être content..., réalisa Houda.
— Tu crois qu'on va avoir des ennuis ? s'inquiéta Fyguie.
— Je ne sais pas... On devrait se mettre d'accord sur un plan !
— Un plan A ? proposa le jeune homme sur un ton moqueur.
Ils éclatèrent de rire, se rappelant leur fiasco de la veille.
— On a franchement offert un spectacle navrant..., avoua-t-il à demi-mot.
— Je trouve que notre prestation était tout à fait remarquable ! rétorqua Houda, persuadée d'avoir raison.
— Oui... Pour des gens ayant bu un semi-remorque d'alcool...
Houda roula sur le côté, se tenant les côtes en riant, quand le bruit d'un loquet qui se déverrouillait raviva chez eux la panique de la veille.
— Alors les génies ? Encore vivants ? sonda l'officier en pénétrant dans la pièce.
Aucun ne répondit, le regard dans le vide.
— Ha... Ça bouge à peine commissaire, murmura l'officier.
Elle entra dans la cellule avec la démarche d'une comédienne sur scène, la tête haute et le regard tourné vers l'horizon.
Les forces de police de Terre II étaient réputées pour leur tempérament irascible, à bout à cause du manque de moyens et de la multiplication des délits sur leur planète. Tout le monde savait qu'elles ne faisaient pas dans la dentelle, et les habitants en avaient peur, se méfiant de leurs allées et venues.
Un proverbe local disait : « Ne frotte pas d'allumette sur un officier, sinon il prendra feu. » En d'autres termes, mieux valait ne pas les provoquer.
Tous les agents portaient une fleur blanche à leur poitrine, symbole de leur incorruptibilité, souvent remise en question par de nombreuses associations de victimes qui accusaient les forces de l'ordre de bavures et d'autres bévues pouvant entacher leur prétendue honorabilité. La commissaire Lofy Birland était connue dans toute la Galaxie pour son intégrité, mais une autre image d'elle était souvent dépeinte dans les articles de presse populaire, la présentant comme une femme froide, antipathique et présomptueuse. Ce qui était certain, c'était qu'on ne pouvait lui enlever son élégance et sa beauté. Sa peau caramel, ses cheveux courts et élégamment bouclés, et son visage fin aux traits fermes et féminins dégageaient une autorité naturelle. Elle faisait partie de celles qui obtenaient ce qu'elles voulaient d'un claquement de doigts sec et franc.
— Levez-vous. On doit parler.
Retour à la case départ. Les voilà de nouveau dans les bureaux, et l'humeur n'était plus la même. Ils étaient bien conscients qu'ils étaient dans de beaux draps, qu'ils avaient déconné... Fyguie avait décidé d'entamer les pourparlers pour être certain qu'Houda ne les mette plus dans une situation délicate.
— Écoutez... C'est un malentendu.
L'officier Kal et la commissaire Birland étaient assis face à eux, les bras croisés. Lorsqu'il parlait de malentendu, leurs sourcils se haussaient en cœur, l'expression sur leurs visages disant : "Allez, mon grand, on t'écoute, sois convaincant.". Le scientifique avait pris une profonde inspiration, tentant de faire redescendre la pression.
— Nous étions ivres. Ma collègue et moi, et...
— Ivre ? Non, ce n'est pas vrai ! se moqua la commissaire.
— Oui... Je sais que tout le monde l'a remarqué. Je suis... Enfin, NOUS sommes désolés pour notre comportement.
Fyguie avait jeté un regard insistant à Houda pour l’inviter à approuver ses propos.
— Oui, vraiment, nous sommes désolés, assura-t-elle, l'air fatigué.
— Qu'est-ce que vous foutiez dans le labo ? interrogea la Commissaire.
— Un accident, un malheureux accident, Mme la Commissaire...
Il essayait de ne pas paraître trop intimidé, mais ses mains tremblaient, et son mal de tête n’aidait en rien.
— Nous faisions une course ridicule pour rentrer chez nous et avons traversé ce bâtiment.
— Le sol s'est effondré sous nos pieds ! s'écria Houda en levant la main, comme une élève. C'est pour ça qu'il y avait de la poussière partout. Vous avez bien vu le trou au plafond, non ?
L'officier réprimait son agacement en serrant les dents.
— Qui pose les questions ici ?
— Vous !
Ils répondirent en cœur, le ventre noué de peur, complètement soumis à l'autorité.
— Bien, on était d'accord sur ce point, reprit l'officier Kal. Je ne pense pas m'être présenté. Je suis l'adjoint du commissaire, Milo Kal. Pendant que vous décuviez comme deux lamentables larves, nous avions effectué quelques recherches. Arrêtez-moi si les informations sont incorrectes.
Il sortit un dossier du tiroir à sa droite, et le lâcha sur le bureau, faisant s'envoler des petits post-it un peu partout.
— Bien. Houda Monty : astrophysicienne. Vingt-cinq ans.
— Vingt-quatre, protesta-t-elle immédiatement.
L'officier resserra ses doigts sur le papier.
— J'aurai vingt-cinq ans demain... marmonna-elle, agacée.
— Bref ! coupa-t-il sèchement. Dutarienne. Originaire de Duta dans la Galaxie D'Yzon. Vous travaillez pour l'ASIPY.
L'Agence Spatiale Inter-Planétaire Yzonnienne. Ce n'était pas la plus prestigieuse des agences de l'espace, certes, mais elle était à l'origine de nombreuses découvertes scientifiques notables : la composition de la matière noire, la stabilisation des trous de ver pour la téléportation, ou encore la création d'une puce psychokinétique. Elle n’avait donc pas à rougir face aux autres agences spatiales à travers les galaxies.
— Ensuite... M. Flokart Fyguie. Physicien. Vous travaillez ensemble. Vingt-cinq ans, originaire de Terre II. Aucun d'entre vous n'est fiché chez nous.
Les deux amis laissèrent échapper un soupir de soulagement.
— Partons du principe qu'on vous croit, souligna Birland. Je ne veux plus jamais voir vos tronches dans nos bureaux, les génies. Compris ?
Alors que Houda et Fyguie s'excusèrent dans une atmosphère déjà tendue, une déflagration monumentale secoua soudainement le poste de police. L'explosion retentit comme un rugissement sourd, fit vibrer les murs et envoya un souffle violent à travers la pièce. Les vitres se brisèrent en mille éclats de verre, projetant des morceaux tranchants dans toutes les directions. La lumière vacilla, et en un instant, la pièce fut plongée dans une obscurité effrayante, déformée par la poussière qui envahit l'air. Le souffle de l'explosion projeta certains des officiers au sol, sous la violence de l'onde de choc. Ceux qui restaient debout, tremblants, tentèrent de se mettre à l'abri au milieu de cette scène chaotique. Des papiers, des dossiers et des objets de bureau furent emportés dans les airs comme une tempête de confettis.
Fyguie, qui s'était instinctivement protégé derrière son bras, retire lentement la main qu'il avait placée comme bouclier devant son visage. Son regard se posa sur le carnage autour de lui. Le poste de police, autrefois ordonné, était désormais sens dessus-dessous : des bureaux renversés, des étagères écroulées sous le poids de la destruction, et des débris éparpillés partout, certains brisés en mille morceaux. Le sol était jonché de morceaux de verre, de métal tordu, et des fragments de meubles.
Le cœur de Fyguie s'emballa.
— Houda ! Tu vas bien ?
Il aperçut Houda qui avait basculé de sa chaise sous l'impact. Elle était à genoux, cherchant à se relever, sa silhouette vacillante sous l'effet du choc. Ses yeux étaient encore écarquillés par la peur, tout comme lui, elle se demandait ce qui se passait.
— Oui... Putain, c'était quoi ça ? bredouilla-t-elle.
Avant qu'il n'ait le temps de répondre, deux silhouettes se dressèrent à côté d'eux. Birland et Kal, d'un mouvement rapide, prirent position pour les protéger, formant un bouclier humain entre Houda, Fyguie et la porte dévastée. Leurs corps étaient tendus, prêts à réagir à tout instant, l'instinct de survie dominant sur la confusion.
Puis, au milieu de la fumée qui s'élevait toujours du sol, deux ombres émergèrent des cendres comme des spectres fantomatiques. Leur apparition fut sinistre, comme si l'explosion avait ouvert la porte donnant sur les ténèbres. Elles s'avancèrent, l'une après l'autre, indifférentes à la destruction qui les entourait.
Les policiers, toujours devant les scientifiques, les empêchèrent de voir clairement ces visiteurs inattendus. Cependant, bien que leur vue fût obstruée, ils entendirent les paroles du commissaire. Un souffle, un soupir lourd de malaise, s'échappa d'elle, qui sembla reconnaître l'une des silhouettes.
— Manko Krane...
Le nom fut prononcé avec gravité, un murmure qui portait en elle une menace voilée. Fyguie, à genoux et encore sous le choc, serra la main de Houda, cherchant une échappatoire dans le chaos total qui les entourait.
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Tout le monde se regardait dans le blanc des yeux, entre méfiance et jugement. Zorth et le capitaine, dans un rôle inattendu, se chargèrent du service, et bientôt, chaque convive se retrouva avec un verre bien rempli. Du vin de Giskol ? Étrange… Kybop ne put s'empêcher de se demander pourquoi il avait choisi cet alcool. Habituellement réservé aux pactes solennels, ceux que l'on scelle dans l'urgence ou dans l'ombre.
— Bon ! Mes chers amis, princesse Lilas, annonce Zorth d’un geste respectueux de la main. Je lève mon verre à notre rencontre.
Il attendit un instant que quelqu’un suive son mouvement. Guitry fut le premier à se lever et imita Zorth, plus par impatience de s'enivrer gratuitement que par respect. Suivirent Binny, Sylice, Kylburt et Slikof. Il ne resta plus que la princesse et Kybop.
Lilas croisa son regard. Un défi tacite s'installa entre elles, un échange silencieux mais lourd de signification. Ses yeux ne quittèrent pas les siens, comme si elle attendait qu'elle se lève avant elle, comme si, en tant que princesse, il était de son droit de demeurer assise alors que tout le monde se tenait debout. Une reine et ses sujets.
Soudain, une petite tape derrière sa tête tira l'ancienne mineuse de ses pensées. Guitry, l'air malicieux, venait de briser cette guerre d'ego entre la princesse et elle, un claquement net à l'arrière de son crâne. Elle roula des yeux, soupira, mais se résigna. Une fois debout, la princesse Lilas se leva à son tour, une expression condescendante dansant sur ses lèvres.
— Je porte un toast à cette équipe incomplète, proposa la princesse.
Elle n'eut pas besoin d'ajouter davantage. Les verres se levèrent, une vague de cliquetis se répandit dans la pièce, suivie d'un silence éphémère alors que chacun se rafraîchissait le gosier.
— Demain, destination Terre II, pour récupérer le chaînon manquant, clama Zorth avec enthousiasme.
VILLE DE DURIAN - POSTE DE POLICE
Le commissariat de Durian, d'ordinaire un lieu de travail banal pour les policiers, était aujourd'hui méconnaissable. C'était un bâtiment ordinaire, encombré de bureaux, de papiers éparpillés et d’un brouhaha incessant d’affaires en cours. Mais en cet instant précis, l'atmosphère avait pris une tournure sinistre, presque irréelle. Les murs, déjà fragilisés par l'explosion, tremblaient encore sous les échos de rires glacés.
— Qui sont les deux idiots qui ont traversé le plafond de mon labo ?
La voix perça l'air, tranchante, froide et menaçante, saturée de mépris. Les mots résonnaient dans l'espace comme une menace inéluctable. Une seconde silhouette, jusqu'alors perdue dans la fumée, émergea de la poussière près de Manko Krane et prit la parole.
— N'ayez pas peur, montrez-vous, mes p'tits lapins ! lança-t-elle d'un ton moqueur et provocateur.
Les deux femmes semblaient se délecter du chaos qu'elles avaient créé. Leurs ricanements emplissaient les décombres et transformaient la scène en un étrange spectacle. La plus petite, une blonde éclatante, tenait un détonateur dans les mains, un sourire carnassier dessinant ses lèvres sous l'éclat de ses cheveux. À côté d'elle, la plus grande, charismatique, portait un FuzionS45, une arme d'une puissance destructrice capable de tout anéantir sur son passage.
Leurs postures dégageaient une assurance déstabilisante, comme si les ravages qu'elles causaient et la terreur qu'elles inspiraient n'étaient que des pièces accessoires dans leur jeu cruel et calculé. Une goutte de sueur perla sur le front du pauvre Fyguie.
— Merde... Dans quelle merde on s'est fourrés ?
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