GALAXIE D'YZON *** I ***

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PIROS - SALLE PRINCIPALE

Dans le Piros, le prétendu pot de l'amitié suivait son cours sans anicroche. Binny Ristoc, enchaînait les godets de vin de Giskol. Pourtant, l'alcool semblait glisser sur elle comme de l'eau sur une tache d'huile, un exploit que les autres convives peinaient à égaler. Guitry, un peu éméché, se laissait aller à une humeur encore plus avenante que d'habitude, relatant avec enthousiasme ses mésaventures avec ce qu'il appelait son « caillou de malheur ». L'Adhara, postée non loin, paraissait étrangement captivée, suivant ses gestes maladroits d'un regard mêlé d'amusement et de curiosité.

Dans un recoin de la pièce, Sylice guettait la scène, immobile et silencieuse, tel un chat mesquin épiant des proies insouciantes. Ses yeux fendus d'une lueur calculatrice laissaient deviner un esprit en ébullition. Si elle fomentait un plan pour les assassiner dans leur sommeil, cela n'aurait étonné personne.

De l'autre côté, le capitaine expliquait à Kylburt les subtilités de l'équipement dernier cri du vaisseau. Autour d'eux, des boutons clignotaient sur des consoles de commande Tucanienne, semblant presque défier leur audace à les activer. Pendant ce temps, Zorth et Slikof trinquaient avec entrain. Leur complicité était flagrante, tout comme l'attachement visible de la princesse, qui restait perchée à leurs côtés, fragile comme un oisillon tombé du nid.

L'air de rien, Kybop faisait mine de se servir un nouveau verre ou de piocher quelques victuailles tout en tendant l'oreille. Jusqu'à présent, rien de bien digne d'intérêt ne lui parvenait. Mais alors qu'elle approchait de Zorth, un éclat de conversation accrocha son attention.

— J'aimerais m'entretenir avec vous seul à seul, princesse, murmura-t-il d'une voix à peine audible.

— Très bien.

L'Eltanienne détourna les yeux à temps, feignant de ne rien entendre, mais son esprit resta suspendu à cet échange. Lorsqu'elle se retourna, ils n'étaient déjà plus là. Slikof, lui, avait rejoint le groupe de Binny et Guitry. Il les observait avec l'air grave de celui qui disséquait chaque mouvement sans jamais se laisser aller à un sourire.

La salle bruissait de conversations éparses et de rires étouffés, un ballet distrait où chacun jouait son rôle. Personne ne semblait prêter attention à Kybop. L'occasion parfaite pour s'éclipser.

PIROS – COULOIR - PROCHE DU PONT

À l’extérieur de la salle principale, ses pas résonnaient doucement sur le sol métallique du Piros. La lumière dorée de la lune de Cebelle filtrait à travers les baies vitrées du pont, dessinant sur les parois des reflets ondoyants.

Et c'est là qu'elle les distingua. Deux silhouettes immobiles, postées à l'extrémité, avec l'espace en arrière-plan vibrant de mille éclats.

Kybop s’approcha furtivement, tapie dans l’ombre des lumières dansantes. Devant elle, l’immensité galactique se déployait : la lune jaune et la nébuleuse de la Rosette semblaient danser à l’unisson.

Ils se faisaient face, leurs visages noyés dans cette ambiance feutrée, contrastant avec l’éclat scintillant des étoiles.

— Avez-vous l'Œil avec vous, Lilas ?

La princesse ne répondit pas. En silence, elle tendit sa main, laissant apparaître la bague.

L'Œil que portait Lilas était un anneau finement forgé dans un métal blanc, soigneusement poli, surmonté d'une pierre d'un bleu clair, presque translucide. Simple à première vue, il dégageait pourtant une énergie énigmatique, comme s'il recelait un secret ancestral.

— Voilà qui est parfait, murmura Zorth avec un sourire presque imperceptible.

— Pourquoi mon père tenait-il tant à ce que je l'emporte ? Ce n'est qu'un bijou...

Zorth écarquilla les yeux, comme si la princesse venait de blasphémer.

— Ce n'est pas un simple bijou, princesse, dit-il en prenant délicatement sa main. Il appartenait à votre mère, la reine Calyssia, ainsi qu'à toutes celles qui l'ont précédée.

Il énuméra leurs noms avec une révérence presque religieuse : Gylia II, Falbila, Saranthe... Une lignée royale qui semblait remonter à l'origine des étoiles.

— Très bien, c'est une vieille bague, répondit-elle avec une pointe d'agacement.

— Non, Lilas, insista-t-il. Vous ne comprenez pas. C'est une relique. C'est une clef.

Une pause s'installa, comme s'il cherchait les mots justes pour atteindre la princesse.

— L'Œil est taillé dans une pierre énigmatique, une matière que même les plus grands scientifiques n'ont pu identifier. Cette bague... elle est intimement liée à la Prophétie.

Lilas fronça les sourcils.

— La Prophétie ?

— Celle de l'Équilibre, précisa Zorth. Votre père en a sûrement fait mention, n'est-ce pas ?

Elle hocha la tête, pensive.

— Oui... Je me souviens vaguement...

Zorth relâcha sa main et détourna son regard vers l'immensité galactique.

— Votre père faisait jadis partie d'une confrérie, une organisation secrète qu'il abandonna après le trépas de votre mère. Il croyait que son engagement en était la cause.

Lilas resta silencieuse, absorbée par ces révélations.

— Cette confrérie... Que faisaient-ils ?

— Je l'ignore, répondit Zorth en abaissant les yeux. Toutefois, je sais que leur mission était intimement liée à la Prophétie. Ces derniers mois, votre père semblait avoir renoué avec eux. Il était… bilieux. Préoccupé.

Il s'interrompit, son ton devenant plus grave.

— Avant notre départ, il m’avait confié des noms, des lieux, une destination. Et il m’a dit : "Nous devons sauver l'univers."

Lilas le fixa, son expression oscillant entre fascination et incompréhension.

— Sauver l'univers ?

— Ce furent ses mots, affirma Zorth. Et il m'avait demandé de ne rien révéler tant que nous ne serions pas tous réunis à bord du Piros.

— D'accord, murmura-t-elle enfin. Je vous fais confiance, Zorth.

Il inclina légèrement la tête, reconnaissant.

Leur conversation dériva ensuite vers des sujets plus légers. Son esprit, déjà saturé de tout ce qu'elle avait entendu, se détourna lentement. Avec une ultime observation furtive, elle décida de regagner discrètement la salle des festivités.

DURIAN - POSTE DE POLICE

Le chaos régnait en maître entre les murs dévastés du commissariat. Houda et Fyguie, perdus au milieu de ce carnage, échangeaient un regard désespéré, incapables de trouver une issue.

La commissaire, visiblement furieuse, se tourna vers la femme à la chevelure de feu. Une tension électrique s'installa alors que les mots claquèrent dans l'air.

— Quel plaisir de vous revoir, Krane.

Sa phrase fut arrachée à ses lèvres, ses dents serrées à l'extrême. En réponse, Krane esquissa un sourire carnassier, presque grotesque tant il déforma son visage.

— Plaisir partagé, commissaire Birland.

— Depuis quand faites-vous exploser des commissariats ? Vous êtes passée au niveau supérieur, à ce que je vois, plus rien ne vous arrête…

— Depuis que vous fouinez dans mes affaires ! enragea Krane.

Un silence oppressant s'installa. Personne n'osa bouger, tous rivés sur la femme qui l'accompagnait, tenant le détonateur fermement dans sa main.

— Où sont les deux abrutis qui ont atterri dans mon labo ?

Houda et Fyguie, tapis au sol parmi les gravats, tentaient de disparaître davantage.

— Pourquoi ? Ce ne sont que deux pauvres âmes qui se sont retrouvées là par accident, rétorqua sèchement la commissaire.

— Faux ! Ils ont pris quelque chose qui m'appartient.

Le visage d'Houda trahit sa culpabilité. Fyguie la fixa, incrédule.

— Houda... marmonna-t-il entre ses dents.

— Je... Je ne m'en souvenais plus, mais... j'ai pris ça quand on était là-bas, avoua-t-elle à contrecœur, sortant un papier chiffonné de sa poche.

— Tu plaisantes ? souffla Fyguie, les yeux écarquillés.

— Je ne sais pas ! J'ai vu des formules, et... mon cerveau de scientifique s'est éteint ! Je l'ai pris, voilà ! J'étais bourrée !

Avant qu'elle ne termine, Milo surgit et lui arrache le papier des mains avec exaspération.

— C'est ça que vous cherchez ? lança-t-il, brandissant le document bien haut.

Les yeux de Krane s'illuminèrent. Un sourire en coin, elle haussait un sourcil.

— Je vois que vos idiots sont aussi de petits voleurs...

— On n'aime pas les voleurs, renchérit son acolyte, d'une voix menaçante.

Le binôme de Krane avança à travers les débris, imperturbable.

Grande et élancée, elle portait une tenue qui détonnait dans cette scène de violence : un uniforme d'étudiante à carreaux jaunes et noirs, sa jupe trop courte flottant à chaque pas. Ses cheveux blonds, tressés sur le côté gauche, contrastaient avec l'imposante cicatrice en forme de croix qui ornait sa joue droite. Son teint hâlé et ses yeux noisette brillaient d'une assurance presque insolente.

Arrivée face à Milo, elle le dévisagea avec une lenteur calculée. Elle l'étudia comme un prédateur face à sa proie. Elle passa sa langue sur ses lèvres et arbora un sourire provocateur, défiant toute autorité.

— T'es mignon toi...

Il serra les dents, faisant ressortir sa mâchoire saillante. L'officier Kal lui tendit le document, qu'elle récupéra accompagnée d'un clin d'œil aguicheur avant de repartir à l'entrée du commissariat. Tout du moins ce qu'il en restait.

— Que je ne vous revois pas traîner autour de mes labos, commissaire Birland, menaça Krane.

— Sinon la prochaine fois... ajouta la jeune femme en uniforme d'écolière.

La blonde effrayante mima l'égorgement avec son doigt. Elles tournèrent toutes deux les talons sans craindre une action de la part des services de police.

Une fois disparues, Milo attrapa les deux idiots en question par le col pour les jeter à nouveau en cellule. Les policiers, hors d'eux, les tenaient pour responsables de ce fiasco. Houda ne leur avait pas tout dit ; elle avait sciemment omis de leur parler de ce bout de papier. Qui sait si elle n'avait pas encore d'autres choses à avouer ?

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