GROTTE DE L'AUGURE *** I ***
EREDET - GROTTE DE L'AUGURE
Ils avancèrent prudemment dans cette pièce inconnue, et Kybop dut admettre qu’elle ne s'attendait pas à un tel spectacle. Les murs de pierre, d’un jaune pâle presque doré, s’élevaient autour d'eux avec une majesté impressionnante, formant une enceinte qui défiait l’imagination. Ces blocs colossaux, assemblés avec une précision défiant toute logique, étaient si massifs qu'on se demandait comment ils avaient pu être transportés jusque dans ces profondeurs souterraines. Chaque pierre était un chef-d'œuvre, témoin d’une prouesse technique depuis longtemps perdue.
Le plafond, si haut qu'on en oubliait qu'ils se trouvaient dans une grotte, se dissolvait dans l'obscurité. De massifs piliers jalonnaient l’espace, dessinant un chemin cérémonial. Ils se dressaient tels des gardiens, gravés de symboles anciens, guidant leur regard vers un escalier monumental qui menait à un endroit encore plus imposant que cette salle déjà impressionnante.
L’émerveillement se lisait sur les visages de ses coéquipiers, confirmant la magnificence de cet endroit. L’atmosphère était si solennelle que personne n’osait briser le silence, comme s’ils se trouvaient dans un sanctuaire. Un temple sacré, s’imagina Kybop.
— Nous sommes dans le temple sacré ! s’écria Binny, rompant le calme avec une ferveur presque enfantine.
Qu’est-ce que je disais, s’amusa-t-elle.
— Où sommes-nous, Binny ? demanda Lilas à voix basse.
L’Adhara, elle, s’était déjà précipitée vers les murs couverts d’écritures mystérieuses, semblables à de vieux hiéroglyphes. Elle effleurait les gravures du bout des doigts, parcourant chaque ligne avec passion, comme si elle touchait l’Histoire elle-même. La lumière des torches vacillait, illuminant des larmes de joie dans ses yeux, révélant son intense émotion.
— C’est ici, murmura-t-elle, presque incrédule. Comme dans les écrits ! Ils parlent d’un lieu gravé de toutes les prédictions de l’Oracle. Et c’est exactement ça. Partout, littéralement partout !
Elle tourna sur elle-même, ne sachant plus où regarder, subjuguée par la splendeur de ce sanctuaire millénaire.
— Ici !
Binny pointa une inscription et s’y précipita pour la lire, ses mains tremblant d’excitation.
— Ils évoquent la première éclipse... la Terre... tout ! C’est... l’histoire de l’existence. La genèse du peuplement de l’univers. Les colonisations, les destructions, les guerres, les cataclysmes... Il leur faudrait des années pour tout lire. Tout répertorier ! Tout comprendre !
Ses paroles, portées par l’écho, résonnèrent dans l’immensité du temple. Son enthousiasme rebondit sur les parois, vibrant comme une pierre qui ricoche sur l’eau d’un ruisseau.
— Toutes les inscriptions sont signées, chuchota-t-elle, le souffle court.
— C’est-à-dire ? demanda Kybop, un peu confuse.
— Chaque prédiction est signée par son Oracle. Mais je n’arrive pas à trouver le nom de l’actuel.
— Il faudrait que l’on trouve la prédiction d’un des derniers événements en date, proposa Fyguie incrédule.
— Oui. Mais je ne comprends pas la disposition. Rien n’est écrit dans l’ordre chronologique. C’est assez fouillis.
Tout le monde aimerait l’aider, mais personne n’était capable de lire ce qui était écrit.
— Comment peut-on t’aider ? désespéra la princesse.
Binny se tourna vers eux en pinçant ses lèvres. Elle savait très bien qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Puis une voix s’éleva dans le fond du temple.
— Bonjour porteuse.
Ils se tournèrent dans un sursaut. Sa voix était impressionnante. Profonde, rauque et grave.
Binny s’avança, hésitante. L’Oracle, tout en haut de l’escalier monumental, descendait lentement. Lorsqu’il arriva à leur niveau, Ristoc s’agenouilla et récita ce qui semblait être une parole tirée de l’un de ses récits sacrés.
— Oracle, je vous porte la lanterne. Éclairez-moi.
Il lui sourit. Son visage dégageait une grande bienveillance.
— Je vous ai tant attendu... Et je vois que vous m’avez amené de la compagnie !
Elle se releva pour lancer un coup d’œil au reste du groupe.
— Venez, ordonna Binny d’une voix basse mais autoritaire.
Zorth la rejoignit immédiatement, présentant ses hommages à l’Oracle dans une révérence. La princesse également, suivie de près par Fyguie.
— Bonjour Oracle, déclara Fyguie avec solennité.
Vint alors le tour de Kybop de le saluer.
— Salut.
Binny la fusilla du regard, les yeux exorbités. Lilas soupira d’exaspération et Zorth tapa sa main sur son front, agacé. Fyguie, quant à lui, se retint d’exploser de rire. L’Oracle haussait les sourcils, amusé par tant de familiarité. Puis il reprit la parole, imperturbable.
— La lanterne, les Sang-Rouge, l’Œil... Une Prophétie se réalise-t-elle ? insinua-t-il, non sans amusement.
Zorth s’avança d’un pas pour lui répondre.
— C’est la Prophétie de l’équilibre qui nous a menés jusqu’à vous Oracle.
L’Oracle, les mains derrière le dos, se pencha légèrement.
— Oui, j’ai connaissance de cela. Je vous attendais. Veuillez me suivre. Je crois que nous avons des choses à nous dire.
Ils s’enfoncèrent dans l’obscurité puis gravirent des escaliers qui semblaient s’étirer à l’infini. À chaque marche, son souffle devenait plus court, comme si une force invisible les aspirait vers des révélations longtemps attendues. Lorsqu’ils atteignirent enfin le sommet, une vaste pièce cylindrique s’ouvrit devant eux, surplombée par un plafond si haut qu’il en défiait toute estimation.
Au centre, l’Oracle trônait sur un siège de bois sculpté, d’une simplicité élégante mais imposante. Une énergie vibrante émanait de lui, faisant frémir l’air alentour. Il n’avait pas besoin de mots pour imposer sa présence : tout en lui inspirait un respect teinté de crainte.
D’un geste lent et mesuré, l’Oracle les invita à prendre place. Ses mouvements, empreints de grâce, semblaient suivre le rythme d’une mélodie silencieuse connue de lui seul.
— Bien. Je vais parler. Vous n’allez faire qu’écouter. Ne me posez pas de questions tant que je n’aurai pas fini mon récit. Pas d’interruption inopinée.
Ses directives étaient très claires. Mais derrière son sourire et son calme apparent, elle décelait un soupçon de menace.
— Vous n’êtes pas sans savoir que nous ne sommes pas seuls. Ni ici, ni nulle part, par-delà l’univers. Nombre d’habitants fréquentent cet espace qui est le nôtre. Plusieurs prophéties se disputent la vérité. Plusieurs Originels, plusieurs croyances, plusieurs fins... La Prophétie dont vous embrassez les préceptes revendique le bien-fondé de l’équilibre. Étant moi-même un Sang-Rouge, je ne peux que vous féliciter d’en prendre part.
L’Oracle était un Sang-Rouge ! hurla Kybop dans sa tête.
Puis il reprit le cours de ses explications.
— Mais qu’est-ce que l’équilibre ? Et qu’est-ce que le déséquilibre ? demanda-t-il en scrutant chacun d’eux. Parce qu’en toute chose, existe son contraire. À l’image du bien et du mal. Du chaud et du froid. De l’amour et de la haine. La liste serait bien longue... Le déséquilibre est celui que nous vivons depuis bientôt cinq siècles. Depuis l’an deux mille huit cent cinquante-sept, année de la première éclipse, preuve que notre univers tend vers celui-ci. L’origine de ce mal réside dans l’ouverture du portail. Faisant glisser insidieusement les divergents vers la catastrophe.
Putain, je ne comprends rien... marmonna Kybop dans sa barbe.
L’Oracle semblait avoir fini son discours indéchiffrable pour le cerveau étriqué de certain. Mais s’il en avait terminé, l'Eltanienne avait quelques questions pour lui.
— Excusez-moi, mais que sont les divergents ?
— Il s’agit de l’autre nom des univers jumeaux sur lesquels nous évoluons.
— Les quoi ? s’interloqua-t-elle.
L’Oracle reformula ses propos pour les rendre plus accessibles.
— Imaginez une pièce de monnaie. Deux faces. Nous sommes sur l’une de ses faces. D’autres sont sur la deuxième. Nous coexistions. Ensemble, formant un Tout. Mais si un déséquilibre se crée, d’un côté comme de l’autre, le Tout vacille. La survie est compromise. La fin se dessine. Les univers jumeaux s’effondrent dans le néant.
— Mais comment ce déséquilibre a-t-il vu le jour ? interrompit Lilas, l’air pressé.
— Le portail. Répondit l’Oracle, d’un son grave et caverneux.
— Vous parlez de quel portail ? s’agaca-t-elle.
— Celui qui permet le passage entre les divergents.
— Où se trouve-t-il ? s'empressa-t-elle de demander.
— Je n'ai pas cette réponse.
— En quoi ce portail crée-t-il un déséquilibre ? interrogea Fyguie, avec un sérieux scientifique.
— Je n'ai pas cette réponse.
— Qui peut s'en servir ? lança Lilas avec bien trop d'attentes.
— Je n'ai pas cette réponse.
Putain, mais ce type ne sait rien ! s’insurgea Kybop.
— Tout ce que je sais, c'est ce que dit la prophétie : rassembler les divergents en un seul tout. Ce qui a été interprété à travers les siècles comme rétablir l'équilibre. Mais je ne sais pas comment.
C'est l'Oracle le plus éclaté de tout l'univers... grogna-t-elle discrètement.
L'Oracle se leva et marcha en direction de Lilas. En s'approchant, Kybop commença à distinguer ses traits. C'était un véritable géant, dont la carrure dégageait une force tranquille marquée par le temps. Son visage, raviné par des rides innombrables, évoquait la végétation luxuriante de cette planète, comme si chaque pli racontait une histoire, une mémoire ancrée dans le passé.
Sa vieillesse portait les marques d'une sagesse et d'un savoir qui imposaient l'admiration. Ses yeux, d'un violet très pâle et translucide, semblaient capables de percer les mystères de l'univers lui-même, envoûtants et étrangement apaisants. Son crâne chauve, ponctué de taches de vieillesse, trahissait les siècles qui avaient laissé leur empreinte sur lui, et pourtant, il dégageait une sérénité presque surnaturelle.
Il était vêtu d'une grande robe blanche, simple et sans artifice. Le tissu, un modeste coton, n'avait rien de majestueux, mais cela semblait parfaitement en accord avec son être : une humilité qui n'avait pas besoin de parures pour imposer le respect. Une fois face à Zorth, sa stature imposante se révéla d'autant plus : Zorth ne lui arrivait même pas à la ceinture. Un véritable géant... Sa main immense prit délicatement celle de la princesse.
— Porteuse de l'Œil. Cela faisait si longtemps que je ne l'avais pas vue... C'est une merveille. À travers l'Œil s'en vient le chemin, cita-t-il gravement.
— Qu'est-ce que cela veut dire ? questionna-t-elle avec douceur et curiosité.
— Vous le découvrirez au fil de votre cheminement. Ne soyez pas si impatiente, répondit-il en lui souriant, tapotant gentiment sa main.
Il la libéra avant de se tourner vers Binny, qui l'observait avec admiration.
— Porteuse de lanterne.
Elle lui sourit, les yeux prêts à laisser couler quelques larmes.
— Ton voyage n'aura pas été vain. Ton peuple a longtemps été mon messager. Porteur du Savoir. Sauveur des peuples. Transmets ce message à Adhara.
Le géant se pencha autant qu'il le pouvait pour lui révéler quelque chose à l'oreille. Alors qu'il lui soufflait son intime confidence, une lumière éclatante jaillit de Binny. C'était une lueur intense, mais qui n'éblouissait pas. La scène devint surréaliste : Binny n'était plus qu'une source de lumière, tandis que l'Oracle se penchait au-dessus d'elle. Le terme "Porteur de lanterne" prit alors tout son sens. L'Adhara se transforma en une immense sphère lumineuse. Puis, cette étincelle diminua progressivement, jusqu'à disparaître alors que l'Oracle se redressait.
— Il est temps pour vous de partir. Le présage de la dernière éclipse m'est déjà parvenu. Mais cela ne signifie en rien l'irréversibilité de l'événement. Cependant, il ne vous reste pas beaucoup de temps. Trouvez le portail.
Zorth afficha une mine déconfite. Il était inquiet.
— L'Univers est immense, Oracle. Comment le trouver ?
— Je n'ai pas cette réponse.
Il retourna à son siège. Tout en s'asseyant, il émit un soupir.
— Néanmoins, quelqu'un l'a peut-être.
Zorth et le reste du groupe se pendirent soudainement à ses lèvres.
— Les Golts. Mais je ne vous conseille pas d'aller leur demander. Les Golts ne sont pas vos amis. Rapprochez-vous plutôt de la Confrérie.
— Des Hématiens ? intervint Lilas.
— Oui, princesse. Partez maintenant, répondit-il dans un grognement.
Sans cérémonie, il leur désigna la porte par laquelle ils étaient entrés. Un à un, ils se retournèrent pour quitter le temple sacré. Avant de disparaître, Binny jeta un dernier regard à l'Oracle, puis scruta la pièce, comme si elle voulait en graver chaque détail dans sa mémoire. Il l'observa, les sourcils froncés, et lui adressa une dernière phrase :
— Tu peux partir, porteuse. Nous aurons tout le temps de discuter plus tard.
Alors qu'ils quittaient le temple, l'écho des mots de l'Oracle résonnait encore dans la tête de Kybop, la suivant jusqu'à leur vaisseau.
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