GROTTE DE L'AUGURE *** II ***
PIROS - CABINE DE KYBOP ET GUITRY
Ils étaient retournés au vaisseau sans encombre, mais dans un silence total. De longs échanges avaient eu lieu dans la salle principale. Ils avaient rapporté au reste de l’équipage tout ce qu’elles avaient vu, entendu, ressenti, comme un trophée brandi devant une foule en délire. Kybop n’aimait pas ces effusions. Elle s’était rapidement retirée dans sa cabine.
Après une douche apaisante, elle s’était mise dans des vêtements confortables et s’était allongée sur le lit. Son esprit était à la fois plein et vide. Des mots tournaient en boucle dans sa tête, comme une petite musique agaçante : Originels, Portail, Équilibre, Déséquilibre, Divergent, Œil, Golts, Univers, Sang-Rouge... Fyguie... Mon frère jumeau ?
Comment cela estt-il possible ?
Sa vie lui revenait à la figure, violente, comme un coup porté dans le plexus, lui coupant la respiration, lui arrachant ce qu’il lui restait de certitudes. Pourquoi n’avait-elle aucun souvenir ?
Elle fouillait dans sa mémoire, creusait avec désespoir, mais tout ce qu’elle trouvait, c’était un abîme silencieux. Aucun visage, aucune voix, rien qui puisse lui rappeler qui elle était avant Eltanin. Juste cette cicatrice, fine et pâle, trace muette du dernier événement marquant de sa vie. Son seul héritage.
Peut-être que ce sont toutes ces années dans les mines qui ont effacé les fragments de sa vie d’avant. Ces bas-fonds suffocants, emplis de ténèbres et de poussières, ces nuages toxiques qui s’immisçaient dans la chair, dans l’esprit, jusqu’à dissoudre tous ses neurones restants. Ces roches saturées de gaz neurotoxique... Peut-être les avaient-elles rongées, tout comme elles rongeaient les corps. C’était une pensée froide, presque apaisante, car elle donnait un sens à ce vide. Cela expliquerait bien des choses.
Mais il y avait des jours, sombres et amers, où elle ne pouvait s’empêcher de croire qu’il y avait une intention derrière tout cela. Que ceux qui l’avaient envoyée là-bas savaient exactement ce qu’ils faisaient. Qu’ils espéraient qu’elle n’en ressortirait jamais. Et pourtant, elle était là. Vivante. Emportée dans une épopée qui la dépassait... Cette rencontre avec l’Oracle en était le parfait exemple.
Qu’a dit l’Oracle à Binny ? Où est cette foutue confrérie ?
Il fallait qu’elle stoppe le fil de ses pensées...
Soudain, une envie irrésistible de voir la princesse la traversa. Dernièrement, ses preuves d’empathie à son égard lui avaient fait du bien, et elle savait où la trouver. Il était évident qu’elle se trouvait là, collée à la vitre du pont, admirant les étoiles.
PIROS - PONT
Kybop se hâta de la rejoindre et réalisa qu’elle commençait à la connaître, car la princesse se trouvait exactement à l’endroit où elle avait pensé la trouver.
— Bonjour.
Lilas reconnut sa voix, mais ne se retourna pas et continua son observation silencieuse.
— C’était une sacrée journée, n’est-ce pas Mlle Flokart ?
— Oui. C’était... intéressant... et inutile à la fois.
Son ton sarcastique ne lui échappa pas.
— Pourquoi inutile ?
— Nous n’avons pas appris grand-chose. J’avoue que quand on m’a parlé d’un Oracle, je m’attendais peut-être à un peu plus. Je pensais qu’il me sortirait nos noms, nos adresses, votre numéro de compte en banque...
Lilas mordilla sa lèvre pour retenir un ricanement.
— Vous n’êtes vraiment pas quelqu’un de positif. N’est-ce pas ? lança-t-elle en levant un sourcil.
— Parce que vous l’êtes ? rétorqua-t-elle les bras croisés.
— Oui, je pense. Une personne positive ne refuse pas de voir le côté négatif des choses, elle refuse juste de s’attarder dessus, affirma-t-elle en inclinant légèrement la tête.
Son petit ton moralisateur ne lui échappa pas.
— Alors heureusement que je suis là. Sinon, qui s’y attarderait ?
— Mais est-ce bien nécessaire ? demanda-t-elle, l’air perplexe.
— L’Oracle a dit : en toute chose, existe son contraire, imita-t-elle grossièrement. Vous êtes positive, je suis négative. Ainsi, nous pouvons exister.
Elle remua la tête avec un certain amusement.
— Vous vous cachez derrière l’humour et le sarcasme pour ne pas montrer votre inquiétude.
— C’est une bonne cachette, finit-elle par avouer.
Sa main rencontra la sienne, avec la délicatesse que Kybop lui connaissait. S’attendant à ce qu’elle lui dise quelque chose, la brune tourna la tête dans sa direction. Mais rien. Elle demeurait silencieuse, le regard plongé dans l’immensité de l’espace. Alors qu’elle était entièrement absorbée par les objets célestes qui les entouraient, Kybop la contemplait, ses yeux s’égarant sur les contours de son visage, révélant une beauté sans égale. C’était comme mettre à jour un trésor caché, un objet précieux qu’elle découvrait pour la première fois. Ses traits étaient si parfaitement dessinés que chaque courbe semblait avoir été soigneusement sculptée. Ses lèvres, fines et délicates, formaient un arc parfait, tandis que ses yeux en amande, d’un noisette très clair, lui conféraient un air félin et une grâce naturelle qui la captivaient instantanément.
À cet instant précis, la musique agaçante qui tournait en boucle dans la tête de l'Eltanienne s’arrêta. Tout sembla s’arrêter d’ailleurs...
Qu’est-ce qu’il m’arrive ? pensa-t-elle en remuant la tête.
DURIAN - COMMISSARIAT
La commissaire Birland et son bras droit, Milo, échangeaient d’une voix tendue.
— Il faut comprendre ce qu'il se passe, rugit Birland, les poings serrés. Cette fille, ce vaisseau, les scientifiques... Krane, Varane... Ce chaos !
— Oui, un vrai merdier, approuva Milo en hochant la tête.
L'agacement était palpable. Milo détestait perdre le contrôle, tout comme Birland. Il se redressa pour sa collègue.
— On doit consulter les caméras de la ville et demander l'appui du SIS, décréta-t-il. S'ils sont fichés, on les retrouvera.
Le SIS était le Service Intergalactique de Sécurité. L'agence possédait tous les moyens biométriques d'identification possibles : ADN, Digital, Iris... Si la personne était fichée, ils la retrouveraient. Lofy acquiesça et rajouta :
— Et on garde un œil sur Krane et Brizbi. Hors de question qu'elles s'échappent sans qu'on le sache.
L'officier Kal esquissa un sourire crispé.
— Exact. C'est fort probable qu'elles tentent quelque chose...
Une fois cette procédure tacitement conclue, chacun s'activa à sa tâche.
GOLTON II - LES TRESFONDS
Fiora attendait avec impatience le rapport de ses deux gorilles, quand Drike fit enfin son apparition.
— On a deux noms et quelques infos, proclama-t-il fièrement.
Sans répondre, elle leur fit comprendre d’un regard assassin de se dépêcher de tout déballer.
— Un Capitaine de vaisseau du nom de Crylon Dogast.
— Et le fidèle conseiller du roi. Zorth Kydine, ajouta Bogz d'une voix incertaine.
— Encore ce petit connard ! Ce vaurien est une plaie... cracha Fiora avec fureur.
Bogz et Drike se turent. Ils savaient que lorsqu’elle s’énervait, il valait mieux ne pas l’interrompre.
— Continuez ! exigea-t-elle d'un ton menaçant.
— La princesse a été évacuée du palais, annonça Drike.
— QUOI ?! Où est-elle ?!
Drike eut du mal à ne pas tressaillir sous son cri.
— Nous pensons qu'elle est avec Zorth, finit-il par avouer.
Fiora descendit les marches dans un silence oppressant. Elle s'approcha lentement des deux frères. Fiora Golt dégageait une aura funeste, comme si une ombre noire la suivait à chaque mouvement. Bien que petite, elle inspirait une menace imminente, une soif de vengeance qu'on percevait jusque dans ses gestes. Son visage était marqué par une colère profonde, les rides du lion profondément gravées entre ses sourcils, témoins de ses fureurs passées et de son caractère impitoyable.
Ses cheveux noirs étaient plaqués contre son crâne, lisses et brillants, presque fusionnant avec sa peau bronzée et métissée. Ce contraste accentuait ses yeux dorés, perçants et scintillants, comme ceux de tous les Golts. Elle ne portait que du noir, une couleur qui devenait une extension d’elle-même et qui enveloppait sa silhouette d’une froideur intimidante. Fiora était une force silencieuse, et son apparence ne laissait aucun doute : elle était dangereuse, et prête à tout. Sa mâchoire était tendue comme un arc, prête à lâcher sa flèche. Son visage se rapprocha de celui de Drike, ses mots soufflés contre lui.
— Et depuis quand tu es autorisé à penser, Drike ? articula-t-elle lentement, comme un prédateur prêt à sauter sur sa proie au moindre faux pas.
Il déglutit de peur.
— Nous allons vous confirmer cela, Fiora, trembla Drike, détournant le regard vers le sol.
Elle le fixa sans cligner des yeux.
— C’est ça... Confirme-moi tout ça, répéta-t-elle en abaissant la voix.
La tension redescendit.
— Mais je vais venir avec vous cette fois. Plus on est de fous, plus on rit, n’est-ce pas ?
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