PALAIS ROYAL *** II ***
ZOLDELLO - FORET
Pendant ce temps, sur la planète verdoyante, tout semblait paisible en surface, mais la réalité était bien plus sombre. Le peuple souffrait en silence, ses ressources s'amenuisant à une vitesse alarmante. Les signes d'un déclin inexorable obscurcissaient les paysages jadis enchanteurs : des forêts entières gisaient en ruines, leurs troncs noircis par des feux dévastateurs, et les ruisseaux, jadis chantants, n'étaient plus que lits de graviers asséchés.
Les luttes internes faisaient vibrer une colère sourde parmi les habitants, qui cherchaient désespérément à revendiquer leurs droits, tandis que la royauté, déchirée entre le devoir et l'impuissance, tentait de maintenir un semblant d'ordre. Le palais, perché majestueusement sur sa colline, brillait tel un bijou dans une boîte dorée, semblant protégé et inaccessible. Pourtant, cette façade luxueuse n'était qu'un leurre ; la menace d'une révolte grondait à l'intérieur même de ces murs de pierre.
Un petit vaisseau venait de se poser au cœur d'une forêt en désolation, non loin du village de Zoldello. Fiora et ses sbires émergeaient rapidement de la cabine, l'urgence de leur mission se lisant sur leurs visages. Avec un geste autoritaire, elle leur jetait de grandes capes sombres, comme pour dissimuler leur présence dans cet écrin de verdure désormais meurtri.
— Voilà ce que l'on va faire. On fait profil bas. On avance à pas de chat en direction du palais sans se faire remarquer. Enfilez ça. Et ne dites plus un mot !
Drike et Bogz Tane s'exécutèrent immédiatement. Fiora fit de même.
— Je parle, vous me suivez et vous la fermez. Si je ne parle pas, vous la fermez aussi. Est-ce que c'est clair ?
— Oui ! répondit Bogz avec entrain.
— Oui ! reprit Drike avec la même énergie.
Elle leur lança une pierre qu'elle venait de ramasser avec rage.
— Je viens de vous dire de la fermer !
Golt se retourna, pleine de colère et engagea la marche en direction du palais.
ZOLDELLO - AILLEURS DANS LA FORET
Plus à l'est, Krane et Brizbi atterrissaient à leur tour sur Zoldello. Elles n'avaient jamais mis les pieds sur cette planète, et la galaxie d'Ultya paraissait à des années-lumière de celle d'Yzon.
— Qu'est-ce qu'ils foutent ici ? s'interrogea Krane, à peine atterrie.
Les deux femmes scrutèrent les environs, lorsqu’un bruit sourd capta l'attention de Krane. Elle leva les yeux au ciel et aperçu un vaisseau imposant qui se posait à son tour.
— Le vaisseau... C'est celui qu'on a vu sur Durian, s’étonna Brizbi.
— Oui... c'est bien celui-là. On a été rapides. Ils avaient dû être retardés par la lenteur de ce paquebot spatial.
Krane fronçait les sourcils. La rumeur du vaisseau en route pour Zoldello leur était parvenue en même temps qu'au commissaire Birland et l'officier Kal. Elles s'attendaient bien entendu à les croiser d'ici peu. Le timing était serré.
Les deux femmes s'approchèrent discrètement du lieu d'atterrissage. Se faufilant derrière un fourré, elles observèrent silencieusement la scène. Le pont du vaisseau s'ouvrit alors, libérant deux silhouettes qui se dessinaient sur le sol poussiéreux de la planète. Un Rigélien et un autre homme, grand, imposant, à la peau ébène. Brizbi saisit brusquement le bras de Krane, ses yeux fixés une personne plus en retrait.
— Là ! La fille derrière !
Manko Krane suivit le doigt de Varane et y découvrit ce qu'elle cherchait.
— La fille à la cicatrice... confirma-t-elle dans un murmure.
— On fait quoi ? On suit les deux gigolos ou on entre dans le vaisseau ?
— Je ne pense pas qu'elle soit seule là-dedans... C'était trop risqué.
— Va pour les deux gigolos alors, s'amusa Brizbi.
Elles ricanèrent en se lançant sur leur trace.
PIROS - CABINE DE LILAS
La princesse se rongeait les sangs depuis que leur vaisseau avait atterri sur sa planète natale. Elle s'était repliée dans ses quartiers après avoir exprimé ses inquiétudes. Les minutes s'étiraient depuis que Slikof et Kylburt avaient quitté le Piros. Tout le monde attendait avec espoir leur retour, porteur de bonnes nouvelles. Mais Lilas n'était toujours pas réapparue. Kybop décida de lui rendre visite.
Elle se trouvait devant sa porte. Il aurait été sage de s'annoncer, la princesse ne semblait pas dans son assiette... Elle frappa doucement trois fois sur la porte métallique.
— Qui est-ce ? demanda-elle avec délicatesse.
C'était le moment de faire preuve d'un peu d'humour et de légèreté. L'Eltanienne décida de jouer le rôle d'un livreur de pizza. Elle n'avait aucune idée de si ce plat d'exception existait sur Zoldello, mais sur Eltanin, c'était une véritable institution. Un vieux bonhomme au charme désuet s'était autoproclamé meilleur pizzaiolo de l'univers, vantant avec un accent chantant sa recette ancestrale, à la fois fine et traditionnelle. Ces rondelles de pâte, agrémentées de tout ce qu'il pouvait dénicher sur leur caillou de malheur, avaient le don de réchauffer les cœurs quand ceux-ci venaient à geler de chagrin.
— C'est le livreur de pizza !
Elle crut entendre un rire étouffé, mais la porte resta close.
— Une pizza ? s'amusa la princesse à son tour.
— C'est un plat exceptionnel, de forme circulaire, composé d'une fine pâte recouverte d'aliments savoureux éparpillés avec soin par-dessus. Le tout est délicatement emballé dans une boîte, décrit-elle, s'imaginant dans la peau d'un livreur prêt à présenter cette merveille culinaire.
Son oreille collée sur la paroi de la porte, elle entendit un autre petit ricanement, puis elle crut reconnaître un bruit de pas qui se dirigeaient dans sa direction. Kybop retira son oreille rapidement lorsque la porte s'ouvrit. Elle était face à elle, un petit sourire à peine perceptible sur le coin de la bouche. Impossible pour elle de lui donner la satisfaction de la voir rire de ses bêtises.
— Vous êtes vraiment nulle pour décrire les pizzas.
Sans qu'elle n'ajoute un mot, elle devina qu'elle était agitée, mais ne comprenait pas pourquoi. Elle l'invita à entrer tout en s'éloignant.
— Pourquoi vous mettez-vous dans un tel état ? Ils vont juste demander un renseignement. Ils reviendront vite.
— Vous ne comprenez pas !
— Non... Je ne comprends pas... avoua-t-elle, embêtée.
— Je m'inquiète pour mon père, pour mon peuple, pour ma planète... Tout n'est que traîtrise ici depuis les dernières éclipses. De vils traquenards se sont levés contre la famille royale. Ma défunte mère en a fait les frais.
Elle essuyait une larme tout en continuant son récit.
— Dernièrement, le peuple s'est rebellé. Je comprends... Il souffre. Et nous, nous sommes responsables du bien-être de Zoldello. Mais tout ceci n'est pas de notre fait. Nous ne possédons pas de levier d'action, si ce n'est de faire des choix. Des choix compliqués... Devoir choisir quelle bouche le Royaume nourrirait n'était pas quelque chose de concevable... Et nous en payions les pots cassés. Nous étions des privilégiés, certes. Mais nous portions le poids des drames et des défaites. Et parfois plus.
Kybop ne savait pas ce que c'était que d'être, reine, roi ou princesse. Et cette qualification ne serait certainement jamais notée sur son épitaphe. Mais elle voyait bien que rien n'était simple pour Lilas. Elle avait elle-même du mal à choisir entre un vin et une liqueur. Alors qui devait vivre ou mourir serait clairement du domaine de l'impossible.
— Les défenseurs de la prophétie des Sang-Rouge menaient la vie dure à mon pauvre père. Ce que je ne savais pas avant de m'exiler. Je craignais qu'il lui arrive quelque chose. Je craignais qu'en l'absence de ses plus fidèles serviteurs et amis, personne ne soit capable de le protéger. Je craignais que mon royaume ne s'effondre comme un château de cartes sous une brise d'été !
Elle la voyait perdre pied. Sa panique l'enfonçait dans les sables mouvants de l'incertitude.
Sa méfiance envers son statut royal s'était atténuée à mesure qu’elle avait appris à la connaître. L'ancienne mineuse avait envie de lui rendre les instants de tendresse qu'elle lui avait offerts dans ses moments de faiblesse. Sa main rencontra alors la sienne, pour la saisir fermement, dans l'espoir de lui faire comprendre qu'elle n'était plus seule. Lorsque son emprise se resserra, elle sentit ses doigts faire de même. Elle expira de soulagement et retint ses larmes en fermant les yeux. Elle se tenait paisible à ses côtés, laissant libre cours à ses émotions. Cependant, elle ne se sentait pas assez légitime pour lui partager des paroles rassurantes. Qui était-elle pour penser que tout irait bien ?
Elle préféra l'honnêteté d'un instant silencieux.
Au bout de quelques minutes, la princesse lâcha sa main et décida de prendre la parole.
— Merci. Vous avez raison. Nous n'avons qu'à espérer... J'ai juste du mal à ne pas me laisser envahir par mes inquiétudes.
Elle posa son regard sur le sol, presque honteuse.
— Je ferais une terrible reine... Incapable de gérer ses émotions.
Elle lui releva la tête avec le bout de son index sous son menton.
— Au contraire, rien n'est plus enclin à être partagé que les émotions. Vous faites bien d'en parler. Personnellement, je ne suis pas douée pour ça. Mes émotions meurent dans ma colère.
Ses larmes avaient fini par se mettre à couler.
— La prochaine fois, je vous autorise à les partager avec moi, proposa-t-elle timidement.
— Je n'y manquerais pas.
Elle ne put retenir un sourire. Ce moment semblait suspendu dans le temps : son doigt toujours au contact de sa peau et ses yeux intensément plongés dans les siens. Quand quelque chose de bruyant vint déraciner cet instant de complicité.
C'était l'alarme du Piros.
Un sentiment d'urgence l'envahit. Sans perdre une seconde, elle quitta la cabine, saisissant instinctivement la main de Lilas pour la garder près d’elle.
— Suivez-moi. Il se passe quelque chose.
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Dans la salle principale, Zorth confirma ses craintes.
— Prenez place, tout de suite ! Nous décollons en urgence !
— Que se passe-t-il ? s'affola Houda.
— Je vous expliquerai plus tard, une fois que nous serons en sécurité. En attendant, j'ai besoin des scientifiques !
Sans réfléchir, Houda, Fyguie et Sylice lui emboîtèrent le pas. Leur départ en fanfare les laissa, Lilas, Binny et Kybop, dans cette grande pièce vide, sans plus d'informations.
— Où sont Slikof et Kylburt ? demanda-t-elle à Binny.
— Je les ai vus. Ils sont dans le vaisseau. Mais ils avaient l'air mal en point... répondit-elle, confuse.
Lilas, qui avait toujours sa main dans la sienne, était en train de la broyer entre ses doigts.
— Où sont-ils ? ordonna-t-elle sur un ton royal.
— Zorth les a amenés au labo, répondit Binny inquiète.
Kybop comprit maintenant pourquoi il avait demandé aux scientifiques de le rejoindre. Ils devaient avoir besoin de soins médicaux. Lilas la tira en direction de la porte de sortie. Certainement pour aller voir comment allaient ses amis. Elle la retint fermement en la tirant vers elle. Une fois face à face, elle attrapa sa seconde main.
— Vous restez là ! Ils sont en train de s'occuper d'eux. On va attendre ici sagement, ok ?
Elle fondit en larmes et lui tomba spontanément dans les bras. Un peu décontenancée, elle ne lui rendit pas son étreinte immédiatement. Puis, enroulant ses bras autour de sa taille, elle se résigna à lui dire ce que tout le monde dirait dans ses cas-là :
— Tout ira bien, princesse.
Annotations
Versions