LA MAISON DE GLACE *** II ***

8 minutes de lecture

— Tu veux donc dire que le peuple m'appellera Régente Saranthia pendant que tu parcourras l'univers ?

Lilas acquiesça, une détermination indéniable dans les yeux. En réponse, sa cousine arqua un sourcil malicieux et afficha un sourire entendu, un éclat de complicité apparaissant entre elles.

— Quelle idiote refuserait un tel honneur ?

Elle leva son verre avec un sourire radieux, son visage s'illuminant. La pièce sembla se remplir d'une énergie nouvelle, comme si un poids invisible venait de se lever. Un soulagement partagé envahit l'espace, comme un souffle reprenant après de longues minutes d'apnée. Lilas, ravie, laissa sa tension se dissiper. Saranthia, elle, sembla accueillir le rôle royal que sa cousine lui proposait avec une grâce déterminée. La Régente se dessinait déjà sous leurs yeux, prête à embrasser son destin, à porter le fardeau d'un royaume tout en acceptant la mission qui l'attendait.

— Allez, assez de paroles. Buvons !

Alors que le repas se poursuivait sans encombre, l'ancienne mineuse décida de faire plus ample connaissance avec quelques membres de l'équipage. Son regard se porta tout d'abord sur Houda. Elle restait en retrait, comme une pièce rapportée.

Ou peut-être un dommage collatéral dans cette histoire ? Kybop ne savait pas...

La seule différence entre elle et Guitry, c'était qu'elle était utile. De manière concrète, elle pouvait vraiment apporter quelque chose en tant que scientifique. Guitry, lui, ne faisait que distraire avec des blagues douteuses. Un sourire se dessina sur ses lèvres rien qu'à l'imaginer faire le clown. Mais en réalité, ce n'était pas si mal. L’idée de mourir dans cette mission un sourire accroché au visage lui parut plus rassurant.

Elle eut envie de s'installer à côté d’Houda, de papoter sans pression, juste pour changer un peu de l'atmosphère tendue. Elle n'était pas une princesse, ni une Sang rouge, elle n'était rien de tout ça. Elle s'était juste retrouvée là, au mauvais endroit, au mauvais moment.

— J'peux me mettre à côté de toi ?

Houda tourna la tête, surprise de la voir la rejoindre.

— Oui, bien sûr, installe-toi.

Visiblement, elle n'était pas mécontente. À la façon dont elle interagissait, on aurait dit qu'elle était du genre sociable.

— J'ai tellement faim... Je pourrais avaler un poulet d'Astrageon entier !

Les poulets d'Astrageon, ces géants de la galaxie du Sextant, étaient aussi gros qu'un mouton et aussi stupides qu'un Glatorien.

— Avec des petites pommes de terre, cuites dans son jus.

Ses yeux brillaient d'appétit. Elle était drôle, malgré elle. Houda Monty avait ce côté un peu naïf, toujours enjouée, prête à s'amuser mais qui, sans le vouloir, les embarquait souvent dans des situations improbables. Fyguie pourrait en témoigner. Elle dégageait une énergie rassurante qui donnait envie de la suivre, quitte à le regretter.

Kybop décida d'en savoir un peu plus sur la rouquine au teint ambré. Il était temps de savoir d'où elle venait.

— Tu es née sur Terre II ?

— Non. Je suis née sur Hasture, mais j'ai grandi sur Duta.

— Hasture, la planète des cerveaux ?

Houda éclata de rire, sans retenue.

— Eh oui...

— Pourquoi Terre II, alors ?

— J'ai suivi un garçon. Et puis il m'a quittée. Une histoire banale d'amour déchu ! Mais j'adore Terre II. Durian est une ville sans chichis. Sur Hasture, j'avais la pression tout le temps. Duta, pas mieux... Toujours à devoir être à la hauteur des attentes de ma famille... C'était ennuyeux à mourir...

— Et tes parents, qui sont-ils ?

— Diago et Félira Monty.

Ces noms lui parurent étrangement familiers.

— J'ai déjà...

— Entendu ces noms, oui, l'interrompit-elle en levant son verre. Mes parents sont des superstars.

Elle semblait agacée par cette idée et son visage se déforma en une moue enfantine boudeuse.

— Pourquoi ça ?

— Leurs inventions, leurs découvertes, tout ça... Maintenant, ils sont dans la politique. Ce sont les deux Guidants d'Hasture.

Les Guidants étaient des sortes de gouverneurs, des figures de pouvoir. D'autres communautés les appelleraient peut-être rois, présidents, voire prophètes... Bref, finalement, Houda n'était pas aussi ordinaire qu'elle le laissait croire.

Décidément... jura Flokart intérieurement.

— Et ils savent que tu vas sauver l'univers ? taquina Kybop.

Houda haussait les sourcils, un sourire espiègle aux lèvres. Elle lui donna une tape dans le dos et éclata de rire.

— Oui, je leur dirai ! Quand ce sera fait !

Elles rirent encore un peu, avant qu'un bruit lourd ne se fit entendre. Kylburt, le molosse de Zoldello, s'approcha à son tour. Kybop savait que derrière son air rustre et taciturne se cachait en réalité un sacré rigolo. Du moins, c'était ce que lui avait dit la princesse lors de leurs nombreuses petites discussions sur le pont du Piros.

Elle n'avait rien à perdre à entamer la conversation avec lui. Au pire, elle s'ennuierait, au mieux, elle se fendrait d'une bonne rigolade. Mais après réflexion, l'option la plus probable lui semblait être la première, vu ce qu'il avait traversé récemment. Et puis, plus elle le regardait, plus elle remarquait qu'il n'avait pas vraiment envie de discuter. Ni de blaguer, d'ailleurs. Il était complètement absent, les yeux perdus dans le vide. Elle s'approcha de lui, lui posa la main sur l'épaule, comme on le ferait en contournant un cheval pour éviter un coup de sabot. Il tourna la tête, le regard un peu hagard, et la vit.

Il lui sourit simplement.

— Désolé, je risque de ne pas être de bonne compagnie, confia-t-il sans réserve.

— Pas de souci. Tu as de bonnes raisons. Moi, je ne le suis jamais. Même dans mes bons jours.

Un rire discret s'échappa de ses lèvres.

— Je n'arrive pas à me dire qu'il n'est plus là, confia-t-il soudainement.

Ses yeux se posèrent sur son assiette vide, et il sembla perdu dans ses pensées.

— Le roi ?

— Oui. Il était un peu comme un père pour moi. J'ai grandi dans ce satané palais... Quand mon père est mort, au large de Zoldello, il a pris le relais. Il s'est occupé de mon éducation. Gotbryde m'a offert des opportunités. J'aurais pu mal tourner, mais grâce à lui, je suis devenu l'homme que je suis aujourd'hui.

Elle reconnaissait la sincérité dans ses mots. Kylburt ne bluffait pas, il parlait avec le cœur.

— T'es un chanceux, toi, t'as eu combien de papas ?

Il rit encore, un peu plus fort cette fois.

— Et toi ?

— Je n'en ai pas eu. Ni de vrai, ni de substitut. Juste Guitry.

— C'est un type bien.

— Oui. Le meilleur, affirma-t-elle avec certitude.

Kybop tourna son regard vers son meilleur ami et le surprit en train de blaguer, gesticulant dans tous les sens. Elle osa à peine imaginer ce qu'il était en train de raconter comme âneries.

— Sache que tu peux compter sur moi ici. Je t'apprécie.

Il lui tendit la main, et elle la lui serra sans hésitation. Elle disparut presque dans la sienne, qui était gigantesque. La chaleur de cette poignée de main la rassura ; Kybop savait qu'elle avait désormais une nouvelle personne de confiance à ses côtés.

MAISON DE GLACE- ESCALIER

Plus tard dans la soirée, Lilas s'était isolée dans un escalier de la Maison de Glace, loin du tumulte du repas. Appuyée contre un mur froid, les yeux perdus dans le vide, elle pouvait presque entendre la voix de son père, comme un écho lointain. Les souvenirs de son rire, maintenant silencieux, la frappaient comme des vagues acérées s'échouant sur les rochers. Elle ferma les yeux et resserra ses bras contre elle pour se réchauffer, tentant de chasser ces pensées qui la remplissaient de chagrin. Se pensant seule, elle laissa échapper quelques larmes, bien à l'abri des regards.

Soudain, la porte s'ouvrit avec un grincement, et Saranthia fit irruption en plein milieu de ce moment de vulnérabilité. Voyant sa cousine s'effondrer face à une peine qu'elle ne connaissait que trop bien, elle ne put s'empêcher de lui offrir son soutien. Lilas s'en saisit et se réfugia dans ses bras, sa voix tremblante la mettant en garde.

— Tu dois prendre la Régence en ayant connaissance de ce qu'il se passe. Je veux que tu puisses te protéger autant que possible. Je ne me pardonnerais jamais qu'il t'arrive quoi que ce soit.

La nouvelle Régente empoigna les mains fébriles de sa cousine.

— Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi. Comme tu l'as très bien dit, le peuple m'apprécie. Je serai peut-être tranquille assez longtemps avant de subir quelque offense. Cela me laisse un temps précieux pour me mettre à l'abri.

— Méfie-toi des étrangers, d'accord ? Une confrérie tapie dans l'ombre tente de nous faire taire.

— Pour faire taire quelqu'un, il faut déjà qu'il ait quelque chose à dire, Lilas. Mon ignorance est dans mon intérêt. Ne me révèle rien, je ne veux rien savoir. Tu me raconteras tes aventures lorsque tout cela sera derrière nous.

Saranthia posa l'une de ses mains sur la joue de Lilas.

— Je prendrai le plus grand soin de Zoldello en ton absence. Tu peux partir sereine.

Saranthia garda son regard fixé sur Lilas un instant, comme si elle cherchait à y lire une promesse tacite. Puis, d'un geste, elle retira sa main et se tourna lentement vers la fenêtre, où les étoiles scintillaient dans l'obscurité lointaine de l'univers.

— Va, Lilas. Fais ce que tu as à faire. Je serai prête à te suivre quand le moment viendra.

Lilas, les épaules légèrement plus légères, hocha la tête. Elle savait qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible, mais l'assurance dans les yeux de Saranthia lui donna une étrange sérénité.

PIROS - CELLULES

Zorth s'était extirpé de la soirée pour ramener à manger aux officiers encore dans les cellules. Il avait clairement un petit coup dans le nez. Son ton était étrangement enjoué.

— Bonjour à vous !

Tous deux sursautèrent, ne s'attendant pas à cette visite nocturne.

— Zorth ! Faites-nous sortir de ce trou ! ordonna Milo Kal.

— Je suis navré, mais par soucis de sécurité, je ne peux concéder à votre demande.

— Soucis de sécurité ? C'est une plaisanterie ? Nous sommes la sécurité ! Je suis COMMISSAIRE !

Ils étaient excédés, mais Zorth ne prêta pas attention à leurs revendications.

— Je vous ai ramené une délicieuse nourriture, offerte par la nouvelle Régente de Zoldello.

— Écoutez Zorth. Zorth Kydine, c'est ça ? grinca-t-il en tentant de se contenir devant son indifférence.

— C'est exact !

— Nous voulons comprendre ce qu'il se passe ici. C'est tout. Prévenir nos supérieurs.

L'index du conseiller se redressa.

— C'est impossible. Personne ne doit savoir où nous sommes.

— Pourquoi ?

Zorth sembla résigné. Il pensa qu'il allait falloir passer aux aveux.

— Est-ce que vous avez un peu de temps devant vous ?

La commissaire prit une profonde inspiration avant de lui répondre sur un ton d'une condescendance à peine voilée.

— Nous sommes enfermés dans une cellule d'un vaisseau inconnu, sur une planète lointaine. Nous avons tout le temps nécessaire.

— Très bien !

Il était tout joyeux de pouvoir s'installer avec eux, leur tendant de la nourriture et un peu d'alcool pour accompagner le festin. Zorth passa une bonne partie de la nuit à raconter les tenants et les aboutissants de cette histoire, captivant les deux policiers, qui, bien que fascinés, peinaient à croire ce qu'ils entendaient. Au fil des questions, la suite des événements commença à se dessiner clairement. De verre en verre, les trois nouveaux amis, de plus en plus loquaces, finirent par s'endormir. Zorth acheva ses récits dans la cellule, étendu sur le sol, la porte grande ouverte sur leur liberté. Milo, lui, était assis, dormant contre le mur, son verre toujours à la main. Birland, quant à elle, était confortablement installée sur le lit, telle une Reine dans son château.

Voilà maintenant que l'équipage avait deux nouveaux aventuriers à son bord, sans oublier une Régente.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire A.Gimenez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0